Chapitre 13

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J’ignorais ce qui me fit revenir à moi dans cette bagnole qui me ramenait dans la Fange. Je suis seulement qu’un nid de poule me secoua sur la banquette arrière, réveillant la douleur qui rodait à hauteur de mon cou. Le moindre mouvement de tête m’infligeait un martyre insoutenable, cette sensation de poignard brûlant qu’on m’enfonçait sous la peau ne me quittait pas.

Mouez était assis sur ma droite à coté de moi, admirant le paysage lugubre et sans relief du marécage où tout se perdait. Il avait les mains libres contrairement aux miennes. Deux Protecteurs nous tenaient compagnie, devant nous.

Inutile de tirer sur les menottes pour ne pas accroître la douleur plus que nécessaire.

– Hé, fis-je pour appeler Mouez.

Il consentit à me regarder.

– Reste tranquille, me décocha-t-il.

Il se comportait rudement, comme si j’étais redevenu un étranger. Sa figure était boursouflée de bleus et le sang séché sur sa figure lui donnait un air plus farouche.

– On n’est plus copains, c’est ça ?

– La ferme ! Marmonna-t-il.

Il évita mon regard, préférant laisser ses pensées s’égarer dans la Fange. Je le sentais plus nostalgique et maussade qu’à l’accoutumée. Sans doute ne cessait-il de se souvenir de son frère, sans doute se demandait-il ce qui avait motivé Hamid à rejoindre les Éclairés. Le goût du défi, l’appel d’un idéal qui transcendait ses convictions ou peut-être le besoin basique de prouver quelque chose à soi-même ou à d’autres ?

Ou peut-être tout cela à la fois.

Sans doute regrettait-il de ne pas avoir pu parler à Hamid lorsqu’il avait déserté après la perte de sa femme et de son fils. Sans doute aurait-il voulu faire la paix avec lui et apprendre à mieux le connaître.

Sans doute ressentait-il de l’amertume de ne pas pouvoir y faire grand-chose, de ne pas pouvoir changer le passé. À Rain City, pourquoi se préoccuper du passé alors que notre avenir connaîtrait une impasse imminente ?

Sans doute comprenait-il comme moi qu’il ne restait plus qu’à tenter de survivre pour se soustraire au Jugement Dernier. Dieu n’aurait de clémence pour aucun d’entre nous. Mon père lui-même me l’avait confirmé.

Le Grand Projet serait bientôt déclenché.

Après des kilomètres, la voiture pencha, se garant sur le bas coté. Je fus étonné qu’ils ne prennent pas la peine d’emprunter un sentier pour pousser jusqu’au Styx. Ils ne prenaient plus cette peine, parce que ce n’était plus important.

Un cadavre de plus ou de moins à découvert ne freinerait pas le Grand Projet. Les deux Protecteurs et Mouez ouvrirent la portière , et les pleurs de Rain City m’accueillirent à mon tour lorsque le conducteur me tira par les épaules, réveillant ma plaie noire qui frottait près de mon cou.

Ce con ria lorsque je le traitais d’enfoiré.

Mouez demeura quant à lui, impassible, alors que l’autre Protecteur lui offrit un flingue. Il l’arma après avoir vérifié le chargeur.

Je fus jeté à genoux face à lui, avant que les deux ripoux ne se mirent en travers de la Route du Pèlerin pour profiter du spectacle.

– Dommage, je commençais à t’apprécier, avouai-je.

Il parvint à sourire, cette fois.

– Tu m’en diras tant.

Il braqua son flingue sur ma tête, les yeux emplis d’une intense détermination. Celle d’un survivant qui souhaitait voir le lendemain et qui ne doutait pas de ce qu’il avait à faire.

– Allez fume-le, Mouez. On commence à cailler, ici.

– Dans ce cas, je vais vous expédier là où vous pourrez vous réchauffer.

Sa réponse les surprit et bien plus encore, lorsqu’il fit volte face vers eux. Quatre détonations, deux balles pour chacun d’eux. Ils n’avaient pas eu le temps d’esquisser un geste pour dégainer. Mouez passa ensuite derrière moi et tira dans mes menottes.

– C’était quoi ça ? Demandai-je en me relevant.

Il haussa les épaules avec nonchalance.

– C’est plutôt clair, non ? J’ai changé de camp.

Je me massai les poignets avec délicatesse pour ménager ma blessure. Le choix de Mouez l’empêchait pour toujours de rejoindre les Protecteurs. Il ne nous restait plus qu’une seule porte de sortie.

– Nous devons retrouver les Éclairés, proposai-je.

Sans en dire plus, nous montâmes dans la voiture et nous abandonnâmes les cadavres frais derrière nous.

Il était temps de retrouver Mila et d’essayer de sauver cette ville. Le temps commençait à nous manquer.

******

Mouez nous amena tous les deux dans les ruines qui abritaient les Éclairés de Mila, là même où nous avions parlé la dernière fois. Eric discutait avec elle sous la toile lourde et trempée, près d’un feux de poubelle.

Leur visage s’illumina de joie en nous revoyant vivants. Avec dans les yeux une lueur d’inquiétude néanmoins lorsqu’ils étudièrent notre état physique un peu piteux.

– Eh ça va aller ? S’enquit Eric.

Je lui agrippai le poignet vivement alors qu’il s’apprêtait à me prendre par les épaules.

– On a connu de meilleurs moments, lui accordai-je.

– David, m’appela Mila. Que s’est-il passé ?

Je ne pus éviter l’intensité de son regard alors que Mouez resta en retrait. Des Éclairés s’approchaient lentement pour écouter ce que nous avions à dire..

– Le Duc a vu clair dans notre jeu, avoua finalement Mouez après une hésitation pesante.

– Et le Grand Projet va bientôt être déclenché, annonçai-je.

Je l’avais clamé haut et fort et des murmures parcoururent les rangs des Éclairés. L’angoisse déformait leurs traits et l’incrédulité de certains fut telle qu’ils refusèrent de croire ce qu’ils avaient entendu.

Comme cette femme à l’âge indéfini, vieillie par les privations et la faim.

– Il ment ! Ce sont peut-être les Protecteurs qui l’ont renvoyé chez nous !

Tout le monde ne sut quoi penser jusqu’à ce Mila intervienne en ma faveur.

– Nous savons tous ce que David a fait pour cette ville et pour notre cause. Tout ce qu’il a risqué et sacrifié. Tout ce qu’il a perdu, comme nous tous.

Mila. Guerrière et commandante. Je ne cesserais jamais de l’admirer pour cela, ses mots qu’ils prononçait avec douceur et conviction, emportèrent une nouvelle fois l’adhésion de tous.

– Si je vous dis que nous pouvons lui faire confiance, vous lui ferez confiance, affirma-t-elle d’un ton tranchant. Comme vous nous faites confiance, à moi et à Eric.

Personne ne protesta avant qu’elle ne se tourna vers moi.

– Tu es sûr pour le Grand Projet ?

– Le Duc me l’a dit, lui répondis-je.

Son joli minois était crispé, signe qu’elle prenait conscience de la gravité de la situation.

– Y a moyen d’empêcher ça ? Lança Eric, que Esa venait de rejoindre.

Elle tenta de le rassurer d’un sourire alors que je déclarai :

– Nous devons retourner en ville, avant qu’il ne soit trop tard.

Je regrettai d’avoir parlé trop vite. Tous les Éclairés avaient quitté leur nid l’un après l’autre et Mila commença le décompte.

Bien avant d’être décimés par la trahison de Sébastian, nous étions plus d’une centaine, peut-être deux cents. Maintenant, nous étions réduits à un peu plus de trente clochards miteux et à la mine pessimiste.

Mouez se rangea à ma hauteur.

– Ils nous verront arriver, me fit-il remarquer en faisant allusion aux Protecteurs.

– Oui, si nous passons par la grande porte, mais ce n’est pas ce que j’avais en tête.

Mila donna l’ordre à tous de vérifier les armes. Personne ne resterait à garder ces foutues ruines le long du Styx, en plein milieu de la Fange. Rain City attendait le retour de ses enfants.

Le sang nous réunirait tous.

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