Chapitre 17 partie 1

5 minutes de lecture

Je quittai le salon pour grimper au second étage là où se trouvait le bureau de mon père. Au sommet des marches, je failli trébucher sur les corps de deux soldats. La nuque de l’un d’eux était dans un angle pas très naturel. Ses yeux fixes regardaient le plafonds, figeant l’instant de surprise qui avait marqué le moment de son trépas.

Pas de trace de sang, leurs armes gisaient au sol, sans doute inutilisées. Ils avaient été tués avant d’avoir pu se défendre.

Cela me rendit circonspect et je me mis à progresser très lentement, le cœur battant, vers mon objectif. La porte de son bureau était entrouverte, aucun bruit n’était émis depuis l’intérieur. J’hésitais entre la discrétion et une approche plus directe.

Je validai finalement la seconde option. Je reculai et pris de l’élan pour écarter la porte d’un grand coup de pied horizontal. Avec un peu de chance, je pourrai le prendre par surprise.

À travers les grandes fenêtres luisantes, l’orage brillait à l’horizon. Des éclairs déchiraient les moutons noirs en cavale pour frapper le sol à des kilomètres de là. Par flashs intermittents, le bureau était ainsi éclairé.

Il n’était pas assis à sa table mais se tenait debout sur ma gauche, face au mur, ses mains épaisses croisées dans son dos. Enfin, il se dressait plus exactement face à des écrans de télés qui s’empilaient les uns sur les autres, une demi douzaine au moins. Sa gigantesque silhouette de gorille tapi silencieusement, me masquait les images.

– J’en déduis que monsieur Stakes n’est pas parvenu à t’arrêter.

À la fin de cette phrase, il se retourna et cilla à peine lorsque je braquai mon flingue sur lui. Il ne paraissait pas du tout effrayé alors que je l’espérais.

– Vous n’avez plus qu’à engager un autre majordome, Stakes a terminé son service.

Il m’accorda un sourire.

– Je sais que ce n’est pas évident mais je suis content de te voir.

– Ah ouais ? Fis-je, perplexe. Ben moi aussi, alors.

– Malgré le fait que j’ai donné l’ordre de t’éliminer. Tu as montré que tu étais bel et bien mon fils, tu as prouvé que tu étais doué pour la survie.

Je baissai mon flingue, ne désirant pas choper une crampe dans le bras.

– Tu mérites de te tenir à mes cotés pour assister à ce grand moment, à cet accomplissement que je préparais depuis longtemps.

– Désolé de vous gâcher la fête, mais j’ai quelques mauvaises nouvelles à vous annoncer, papa.

J’étais motivé à lui effacer son foutu sourire de grand seigneur.

– Les Éclairés ont repris le commissariat, les Protecteurs se sont rendus. Olson est mort. Nous ne serons plus les jouets de vos caprices et de ceux qui vous ont envoyé ici. Rain City va connaître une nouvelle ère.

Ma diatribe à peine achevée, je me sentis profondément ridicule. Surtout lorsque le rictus narquois du Duc s’accentua.

– Ah oui, la prise du commissariat et la reddition des Protecteurs. J’ai évidemment suivi cela avec un grand intérêt du début jusqu’à la fin. Toi et tes amis avez montré une remarquable inventivité. Oui, remarquable.

Il s’écarta des écrans et je pus constater de quoi il en retournait. Les images montraient un paysage terne et très familier, les contours d’une ville en phase terminale dont les rues étaient éclairées par des feux de poubelle sous une pluie larmoyante.

– Tu ne t’en doutais pas jusque là, mais nous gardions un œil sur vous depuis le blocus et la mise en place du bouclier. Oh, je te rassure, nous ne pouvions transgresser votre intimité mais nous en voyions suffisamment pour découvrir quotidiennement à quel point les hommes pouvaient s’abaisser jusqu’à renier leur propre humanité.

Il s’assit à son bureau alors que je réalisais que nous tous dans Rain City, n’avions été que des foutus rats de laboratoires.

– Tu penses que vous avez reconquis enfin cette liberté. Mais je ne suis pas certain que tu comprennes ce que cela implique vraiment.

Il saisit une télécommande et la manipula. D’autres images se succédèrent et je vis une foule anarchique à tous les coins de rue, tenter de prendre d’assaut des voitures de police bloquées au milieu des rues ou à des carrefours.

Les Protecteurs qui erraient, se défendaient avec acharnement contre cette masse qui voulait leur reprendre le soleil.

Un écran me montra le commissariat qui commençait à partir en fumée, des flammes en léchaient les parois. Je vis Mila, Eric, Esa, Mouez et les autres Éclairés commencer à évacuer les lieux et entraîner avec eux les Protecteurs qui avaient été prisonniers.

Je surpris Mouez tenter d’appeler et de convaincre la foule des paumés qui marchaient hagards sans objectif. Il leur expliquait que les Éclairés pouvaient les aider à remonter la pente. Il fut tout à coup agrippé et bousculé par deux de ceux à qui il tentait de venir en aide.

Des Éclairés lui vinrent en aide et l’arrachèrent à ses assaillants. Mais ils se trouvèrent rapidement encerclés et comprimés par tous les autres mendiants. Mila tendit le bras pour donner des ordres et ses hommes lâchèrent des rafales en l’air pour les obliger à reculer.

Les Protecteurs prisonniers étaient livides, terrifiés. Tout comme Eric et Esa, blottis l’un contre l’autre.

Ils étaient à la fois si loin et si proches, je ne pouvais pas vraiment les aider. J’étais coincé dans ce foutu manoir.

– Les Protecteurs garantissaient l’ordre, me rappela mon père.

– Ils vous aidaient à nous affamer et à nous empoisonner avec votre Vipère Jaune.

– Peut être bien.

Il avait répondu avec un détachement effrayant.

– Mais tu vois la même chose que moi, mon fils. La liberté que tes amis Éclairés veulent apporter à leurs semblables, est un facteur de chaos. Et le Conseil ne peut pas le permettre, c’est trop dangereux. Ce que nous représentons a besoin de stabilité durable.

Je dédaignai les écrans pour m’avancer implacablement vers lui, lentement.

– Alors c’est pour ça que vous nous avez isolés et enfermés derrière ce bouclier ? Que vous avez maintenu une ville entière coupée du reste du monde ? Parce que nous sommes une cause d’instabilité ?

La colère tant emmagasinée en moi faisait trembler mes cordes vocales.

– Dites-moi ce qui s’est passé pour qu’on en soit réduits à ça. Dites-le !

Il demeura aussi impavide que si je n’étais qu’un simple commis chargé de lui apporter le dîner sur un plateau d’argent.

Il tira un tiroir puis posa sur la table un verre et une bouteille de gnôle. Il l’ouvrit et se servit sans m’en proposer davantage. Il avait compris que je déclinerai son offre. Jouant avec ma patience, le Duc leva son verre et se mit à l’agiter entre ses doigts, pour contempler la tonalité citronnée qui le colorait.

– Tu as survécu envers et contre tout, David. Tu as gagné le droit de connaître la vérité.

Il sourit au moment où l’orage éclatait au loin. L’enfer nous guettait.

– Mais je doute que l’histoire te plaise.

Je sentis le calme revenir en moi, ma colère assoupie.

– Aucune importance. Je vous écoute.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Galetta ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0