Chapitre 17 partie 2

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Le Duc m’étudia intensément pour tester mon inflexibilité puis me prit au dépourvu en me demandant :

– D’abord, sais-tu en quelle année nous sommes ?

– Cela ne m’intéresse pas. Il y a bien longtemps que j’ai perdu la notion du temps ainsi que la notion de pas mal de choses.

Il n’eut pas l’air décontenancé.

– Veux-tu au moins savoir comment tout cela a commencé ? Insista-t-il avec sarcasme.

Je serrai les dents.

– J’attends.

Il hocha la tête puis repoussa sa chaise sans m’inviter à m’asseoir. Il se colla devant la grande fenêtre qui lui offrait le même paysage de néant que d’ordinaire. Les gouttes de pluie coulaient sur la vitre, comme autant de larmes versées, qui n’étaient pas asséchées.

– Ce monde dans lequel tu es né et a grandi, n’est que le vestige de notre apogée perdue. Une époque lointaine où tous nos besoins, tous nos caprices étaient satisfaits sans que nous ayons à nous soucier des lendemains. Une époque où le soleil nous était offert en bienfait.

Il but une gorgée de son verre.

– Notre arrogance et notre insouciance nous ont masqué le prix à payer pour ce confort que nous pensions avoir mérité. Cette eau pure, cette nourriture abondante provenant de champs immenses à perte de vue étaient en réalité polluées, souillées par nos déjections, nos excréments. Par notre mépris total et irréductible de la nature qui nous choyait.

– Que s’est-il passé ?

– La nature s’est vengée de notre avarice, Dieu s’en est assuré. Nous avons tant méprisé la nature, que le cycle de la vie en avait été bouleversé, que le climat en avait été déréglé. Les précipitations se sont raréfiées, les glaces ont fondu, les sols se sont appauvris, et les températures sont montées en flèche. La sécheresse a empiré au point de provoquer des famines, des épidémies, des guerres. L’humanité était en train de s’asphyxier dans les miasmes du désastre qui s’annonçait.

– Le désastre ?

– La fin de notre civilisation. La fin de notre espèce.

– Et vous avez voulu empêcher ça.

Il me tournait le dos mais je devinai son approbation.

– Ceux pour lequel je travaillais voulaient changer le cours des choses. Alors nous avons décidé de prendre les choses en main.

– Le Conseil, dont vous faites partie sous le titre de Duc.

– Exact, David. Tu as d’ailleurs croisé l’un de leurs Conseillers lorsque nous nous sommes fait face pour la première fois, tu te souviens ?

– Comment pourrais-je l’oublier ?

Le tonnerre roula, s’accentuant à mesure qu’il se rapprochait du Manoir Mélinart. Les vitres tremblèrent, vibrant sous le hurlement de la nature démente qui nous arrosait.

– Le Conseil a décidé de sauver l’humanité avant que tout cela ne devienne irrémédiable.

– Mais quelque chose a mal tourné, devinai-je.

Son rictus marqua une nouvelle approbation.

– Nous avons infiltré ou pris directement le contrôle des gouvernements existants, à l’insu du commun des mortels.

– Personne n’a bronché ?

– Nous représentions leur dernier espoir, David.

– Et vous l’avez piétiné.

Il haussa les épaules, comme si ma dernière remarque coulait de source.

– Nous avons engagé les meilleurs scientifiques, les meilleurs experts pour trouver la solution qui sauverait notre monde. Nous l’avions trouvé ou du moins, pensions l’avoir trouvé.

Il se rassit devant la table, posant son verre pas tout à fait vide.

– Je n’entrerai pas dans les détails puisque toutes les recherches faites à ce sujet ont été détruites majoritairement lors de la Grande Catastrophe.

– La Grande Catastrophe ?

– Oui, David. Celle qui a failli provoquer notre extinction définitive, alors que nous pensions avoir trouvé le salut.

Mon cœur battait la chamade, la vérité n’allait pas me plaire. Papa m’avait prévenu.

– Pour mettre fin à la sécheresse qui nous tuait lentement, nous avons provoqué le destin. Nous avions trouvé le moyen de déclencher les pluies.

– Comment ?

– Je te l’ai dit, j’ignore les détails. Je sais seulement qu’il s’agissait de larguer des obus spéciaux dans le ciel.

Il leva ses paumes épaisses vers le plafonds, avec une nonchalance déconcertante. Il se moquait bien des détails techniques de cette technologie.

– Cela n’a pas fonctionné, persiflai-je.

– Bien au contraire, David. Cela avait fonctionné bien au-delà de nos attentes les plus folles. Mais nous avons réappris à nos dépens qu’il ne fallait pas jouer avec les forces de la nature comme le feraient des enfants. Dieu a décidé de nous faire expier pour tous nos péchés.

– Ce qui signifie en langage clair ?

– Lorsque les pluies ont été déclenchées, elles n’ont pas cessé. Tout simplement. Au lieu de retarder la fin, nous n’avions fait que la précipiter.

Le fatalisme s’entendait clairement dans sa voix. Il avait sans doute participé activement à ce projet, peut-être même l’avait-il initié.

– Ce qui s’est passé sur la Route du Pèlerin est un chaos qui s’est répété à d’autres endroits. Nous n’avons pas le chiffe exact du nombre de morts ou de disparus, mais il doit s’élever à plusieurs centaines de millions.

– Rain City connaissait la sécheresse ?

– Pas du tout, c’était l’un des endroits les moins sévèrement touchés.

Je fus choqué par cet aveu.

– Pourquoi l’avoir choisi ?

Il haussa de nouveau les épaules, avec indifférence.

– Cette décision a été prise par le Conseil et je n’en faisais pas encore partie à cette époque, même si je devais assumer déjà de sacrées responsabilités.

– Vous avez sciemment provoqué la ruine de cette ville. Vous êtes le responsable de tous nos malheurs en ayant voulu jouer aux apprentis sorciers, en manipulant des éléments dont vous ne comprenez rien.

Il acquiesça calmement.

– Ce qui s’est passé est regrettable et le Conseil en est coupable. Ils n’ont jamais accepté d’assumer cette catastrophe et m’ont chargé de gérer cette affaire. Ils m’ont demandé de cacher ce désastre au reste des mortels.

Je compris ce que cela signifiait. Nous, les pauvres diables qui tentions de survivre, sous les larmes incessantes du malheur, étions devenus la honte de ce Conseil. La rage bouillonnait en moi, comment avaient-ils osé nous traiter de cette façon ?

– Alors j’ai pris le contrôle de cette ville, en éliminant ceux qui avaient le courage de s’opposer à moi.

– Vous vous êtes arrogé tous les droits et vous nous avez coupé du reste du monde.

Il me décocha un sourire suffisant.

– Il le fallait pour préserver les gens de l’Extérieur et cela n’a pas été difficile de leur mentir. Tu sais, tu n’as pas idée à quel point le citoyen est prêt à s’abaisser pour se prémunir des épidémies et de la criminalité.

– Vous les manipuliez.

– Pour leur bien, David. Pour le salut de l’humanité, enfin celui du Conseil, en tout cas.

Il remplit de nouveau son verre, qu’il éleva à hauteur de visage comme pour célébrer un toast.

– Pour être tout à fait franc, fiston, il était déjà question de raser cette ville comme si elle n’avait jamais existé. Mais il existait quelques bonnes âmes qui avaient pitié de ces malheureux parqués et livrés à eux-mêmes. Sébastian en faisait partie.

Il me fixa avec ironie.

– Tu seras étonné d’apprendre que notre rencontre débuta par une amitié sincère. Bien évidemment, nos trajectoires ont quelque peu divergé, comme tu dois t’en douter.

– C’est donc grâce à lui que la ville était ravitaillée.

– Avec discrétion. Le secret était bien gardé pendant tout ce temps mais des petits fouineurs ont mis récemment leur nez là où il ne le fallait pas. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que le scandale n’éclate. Le Conseil m’a donc chargé de mettre en œuvre l’étape finale.

– La Vipère Jaune, le Grand Projet.

– Vous êtes tous devenus des témoins gênants, nous ne laisserons pas la vérité éclater et ce que le Conseil tente de rebâtir, être réduit à néant.

Un éclair déchira les cieux et éblouit la pièce.

– Je ne vous laisserais pas faire ! M’écriai-je.

Il leva la tête au plafonds, soupirant devant ma réaction qu’il devait juger puérile.

– David, m’as-tu pris pour un méchant d’un conte pour enfants ? Penses-tu que je t’aurais laissé arriver jusqu’au Manoir si j’avais jugé que tu avais la moindre chance de m’arrêter ? Il serait temps de grandir.

Il repoussa sa chaise pour contourner son bureau et me faire face.

– Les soldats qui gardaient le manoir sont partis et vont bientôt revenir en nombre.

Je pensai alors aux deux soldats qui gisaient dans le couloir et il devina alors ma question muette.

– Pas tous, visiblement, lui fis-je remarquer.

– Ah oui, j’avais oublié ces deux imbéciles. Ils avaient reçu l’ordre de t’abattre de la part du Conseil, indépendamment de ma volonté.

Décidément, certains à l’Extérieur ne semblaient pas porter mon paternel dans leur cœur.

– Je ne vais pas vous remercier.

– Oui, il est évident que tu n’es pas venu pour ça, mon cher fils. Pour en revenir à ce que je disais, les soldats ne tarderont pas à revenir en force. Personne ne pourra empêcher l’inéluctable.

Il saisit la télécommande pour éteindre les écrans. Les éclairs qui zébraient le ciel au-dessus de nos têtes constituaient maintenant notre unique source de lumière intermittente.

– Rain City va être détruite, souffla-t-il d’une voix basse. Il est temps que l’Enfer se déchaîne.

– Pas tant que je serai de ce monde.

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