Chapitre 17 partie 3

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Je levai mon flingue et pressai la détente, deux fois. Je le vis tituber, m’attendant à le voir s’écrouler en un tas de viande insignifiant. Mais ce ne fut pas le cas.

Il resta sur ses appuis et se redressa en éclatant de rire, comme si les balles l’avaient à peine égratigné. Bordel, il était fait en quoi ? Je décidai que je ne souhaitais pas connaître la réponse et crispai mon index.

Mon joujou émit à mon désarroi, un clic ridicule.

Merde, enrayé… il ne manquait plus que ça.

– On m’a déjà tiré dessus, David. Je suis le maître de ce monde et j’ai le droit de mort sur tout ce qui y survit. Ta mère a essayé avant que je la prenne, des Éclairés ont essayé avant je leur broie le crâne comme un œuf. Des Conseillers eux-mêmes s’y sont risqués avant que je ne m’en débarrasse d’eux. C’est pour cela qu’ils ont appris à me craindre.

Tout en parlant, il s’était rapproché de moi en boitant. Les deux pruneaux qu’il avait dégustés devaient quand même l’incommoder un peu, juste un peu. Avec fébrilité, je secouai le pistolet, enlevant le chargeur pour l’armer de nouveau.

Un nouvel éclair me permit de remarquer les deux trous sanglants en travers de sa poitrine. Il se comportait comme s’il n’en ressentait aucun effet. Sous le coup de la panique, j’armai maladroitement pour l’aligner à nouveau. Il fut bien plus rapide que moi et attrapa mes deux poignets d’une seule main.

Pire qu’un piège à loups.

– Quand cette ville ne sera plus que cendres et poussière, quand nous aurons exterminé tout ses habitants jusqu’au dernier charognard, ce sera au tour de ce qu’il reste. Un nouveau Déluge éradiquera la plus grande partie de l’humanité pour lui donner un nouvel élan. Je renverserai le Conseil pour être certain que cela sera mené à son terme.

Je tentai de contrer son étau, en vain. Je n’eus pas d’autre choix que de lâcher mon flingue sous le coup de la douleur.

Je n’eus pas d’autre choix que de croiser ce foutu regard dément.

– Vous allez provoquer de nouvelles pluies ?

– Oui, David, pour revivifier ce monde mourant. Mais d’abord, il est temps de mettre un terme à notre dernière réunion de famille.

Il me hissa au-dessus du parquet et il m’envoya valser à travers la pièce. Je me sentis flotter en apesanteur, m’éloignant de lui avant que mon dos ne se colla violemment contre le mur. Un peu groggy, j’entendis confusément les mots de mon cher papa.

– Au fait, tu veux savoir comment j’ai éliminé mon cher cousin après l’expérience où il m’a servi de cobaye ?

Il s’arrêta à portée de mes poings, sans se mettre en garde.

– Je lui ai sectionné les tendons du poignet pour le remettre dans ce baril de zinc, à nouveau rempli de rats affamés. Je l’ai entendu hurler pendant deux jours puis j’ai sorti ce qu’il en restait, pour garder ses ossements comme trophée. Quand mes parents ont appris ce qui s’est passé, ils ont voulu me placer dans un centre spécialisé. Je les ai tués avant qu’ils n’aient appelé qui que ce soient. Je les ai donnés à manger à mes rats, bien sûr. Après tout cela, le Manoir Mélinart était donc devenu mon antre personnelle. J’ai réalisé que je n’avais pas besoin de la compagnie d’autres êtres humains pour m’accomplir.

Le tonnerre craqua, étouffant à peine sa dernière parole.

– J’avais seulement besoin de prendre ce qui leur appartenait pour les faire s’abîmer dans un profond désespoir.

– Vous êtes fou.

– Non, David. Je suis seulement le créateur de ce monde et toute création doit être révisée.

Je me jetai alors éperdument sur lui, pour lui rendre la pareille. Mes poings se mirent à le bourrer sur tout le torse, il était temps pour moi de montrer ma véritable nature, ma nature de rat à visage humain.

J’étais un enfant de Rain City, j’étais le fils du Duc. Mais ce n’était pas suffisant face à un maître qui avait répandu le fléau de l’avilissement du genre humain. Un rat n’était rien d’autre qu’un rat aux pieds du Grand Satan.

Le fils ne représentait rien pour son père.

Mes coups de poing effrénés n’avaient aucun effet sur lui, j’eus l’impression de frapper des sacs de sable qui absorbaient mes crochets, rebondissant sur cette masse impressionnante de muscles et de volonté surhumaine.

J’avais survécu aux affres de Rain City, notre mère nourricière mais je n’étais pas certain d’échapper à la bestialité de mon père. Celui-ci qui n’avait pas cessé de ricaner à chaque impact que je lui portais, se lassa de ce petit jeu.

Il me souleva par le col et et j’écrasai mes paumes sur son visage épais pour tenter de lui lâcher prise mais il était encore plus tenace qu’un foutu bouledogue. Il me flanqua au sol à cinq mètres de lui, manquant de me rompre la nuque sur le parquet.

Alors que je me remis debout, il me lança avec provocation :

– Montre-moi ta vraie nature, David.

Alors ça, j’allais pas m’en priver. Puisque mes pognes ne suffisaient pas, il me faudrait user d’autres moyens.

– Je suis impatient de collectionner tes os, tu n’es pas le seul fils que j’ai eu. J’en ai engendré d’autres, tout aussi insignifiants que toi et je les ai tués de mes propres mains quand je me suis lassé de les agiter comme des marionnettes.

J’avisai le bureau près duquel je me tenais et la chaise juste devant. Je la saisis vivement et m’élançai pour la fracasser sur sa foutue gueule d’ours sadique. Il ne l’esquiva même pas et lorsque je l’abattis, la chaise vola en éclats comme si elle avait heurté un récif, ne laissant que deux pieds ridicules dans mes mains.

Je m’en servis comme gourdins et je fus ravi de le voir chanceler enfin et reculer. Je repris espoir de pouvoir en finir. Mais il le faisait pour mieux me tromper.

Je surpris son sourire narquois au moment où je levai les deux bras pour le frapper encore. Il riposta par une puissante droite qui me sonna instantanément. Je fus cette fois propulsé contre la fenêtre, qui se fêla à mon contact.

Je ne parvins pas à reprendre conscience à temps, pour l’empêcher de me saisir à nouveau d’une seule main.

Ouais, balèze.

– Tu as du cœur, David. En tout cas, tu en as montré plus que les autres, me complimenta-t-il. Mais cela reste insuffisant.

Il me décolla de la fenêtre, sans me lâcher. Il m’éleva encore plus à l’horizontale, au-dessus de sa tête. Le temps se figea pour moi alors que je fixais le plafonds. Puis il me lâcha pour me laisser retomber durement.

Sa table se scinda en deux sous mon poids et ma conscience de l’environnement se brouilla encore plus.

Un coup de pied fulgurant rentra dans mes tripes, me faisant glisser sur le parquet. Je repris mon souffle tout en voyant le Duc se rapprocher de moi.

– N’aie pas peur, David. C’est bientôt fini.

Il me dominait de toute sa hauteur. Moi, le foutu rat qui avait essayé de le contrarier et qui allait bientôt clamser pour ça.

Puis un bourdonnement résonna de plus en plus distinctement, à travers l’orage, dehors. Un puissant bruit d’hélice déchirant les vents contraires et rebelles. Le Duc fronça les sourcils, indécis, se détournant de ma personne pour se rapprocher des larges fenêtres à pas lents.

Une masse sombre tomba du ciel dans un vacarme infernal et les vibres se mirent à vibrer de plus en plus frénétiquement. La masse qui flottait devant la fenêtre de droite boucha l’horizon déchaîné et tourmenté, sous mon regard stupéfait.

Un hélicoptère.

Son apparition remua profondément mes souvenirs du temps où j’étais flic. Nous utilisions des engins semblables, un peu plus petits jusqu’à ce qu’ils tombent en panne les uns après les autres, faute de pièces détachées.

Le dernier avait été retiré du service, il y a dix ans de cela. Cet engin était bien plus massif et je distinguais des affûts de canons et peut-être même des missiles. Le Duc, mon papa, ne paraissait pas ravi de cette irruption impromptue.

– Qu’est-ce que ça signifie ? S’écria-t-il.

Cet hélicoptère se rapprocha lentement et stationna à sa hauteur. Le canon qui pointait à l’avant se releva tout à coup pour se braquer sur lui.

Mon père recula, comprenant que la justice divine qui devait rayer Rain City de la carte, commencerait par lui.

– Non, vous ne pouvez pas faire ça ! Beugla-t-il subitement. Je suis le Duc, je fais partie du Conseil ! Vous ne pouvez pas…

Ses protestations furent étouffées lorsque le courroux de Dieu s’abattit sur lui. Me donnant un aperçu de ce que pouvait être l’enfer. Le canon flamboya à un rythme de tambour ensorcelé et furieux, réduisant les vitres en miettes, creusant des impacts dans les murs et soulevant des morceaux de parquets en poussière qui me volaient à la figure.

Confusément, je remarquais mon père s’effondrer à genoux après avoir été traversé par les balles épaisses. Le souffle des rotors firent s’engouffrer les larmes de Rain City dans le bureau, alors que je m’aplatissais contre le mur pour me préserver.

Un séisme ébranla tout à coup le manoir, et des explosions retentirent la seconde suivante. L’hélicoptère avait dû reculer pour envoyer ses missiles à bout portant. Pourquoi l’Extérieur s’en prenait-il au Duc ?

Une trahison de la part du Conseil ?

Si le pilonnage continuait ainsi, tout serait réduit en cendres en moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire. Je rampais pour sortir de la pièce transformée en champ de tir lorsque le parquet se déroba sous moi.

Les portes de l’enfer s’ouvraient, nimbées de flammes. Je grognai, roulant sur moi-même, emporté par la chute qui me permit d’éviter nombre de débris. J’avais atterri dans le salon où avait lieu ma dernière discussion avec monsieur Stakes. Des morceaux de planches déchiquetés jonchaient le tapis élégant et l’incendie grignotait la tapisserie.

Bon sang, il était temps de sortir d’ici, de retrouver Mila et les autres. Je devais sauver ce que je pouvais.

Une main se referma sur ma cheville, manquant de me faire trébucher. Celle du Duc allongé sur le sol, enseveli à moitié, crachant du sang. Pas encore tout à fait raide, mon cher papa mais il ne tarderait pas à l’être.

Il toussa :

– Ils… m’ont trahi… le Conseil…

– Vous l’avez pas volé.

Son regard croisa le mien et il souffla dans un dernier effort.

– Ils te tueront aussi…

– Qu’ils essayent, lançai-je en guise de défi. Allez au diable, en attendant.

Et il le fit définitivement. Son regard se figea, son expression indéchiffrable tordue par la douleur.

Adieu, papa.

Je libérai mon pied et me sortis de ce traquenard ardent. Les pleurs de notre malheur m’inondèrent pendant que le Manoir Mélinart se consumait, gagné par un feu incontrôlable.

Sa silhouette disparaissait sous un halo lumineux alors que je courrais vers la voiture. Au loin, j’observai trois hélicoptères disparaître, dans un bourdonnement de plus en plus inaudible, dans la direction de la ville.

J’étais un enfant de Rain City et je devais sauver ce que je pouvais, de la meute impitoyable qui venait d’être lâchée sur nous tous.

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