Chapitre 19 partie 1

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Nous étions passés par les égouts pour atteindre le commissariat, cela nous était apparu plus prudent. Je m’attendais au pire lorsque Mouez écarta la plaque d’égout. Les larmes amères de notre monde en phase terminale nous noyèrent.

Je m’attendais au pire et je ne fus pas déçu. Le commissariat était un champ de ruines qui se consumait. Le carrefour qui précédait l’entrée, était jonché de bien plus de cadavres que lors de mon départ pour la Fange.

Mouez me fit signe de rester accroupi. Les voitures de police calcinées continuaient de brûler sous l’effet d’une bombe incendiaire et éclairaient les silhouettes des camés errants qui scandaient entre leurs dents :

– Le soleil est là… le soleil est là…

Ils semblaient dispersés mais en les comptant bien, ils représentaient plus d’une centaine. Et ils se tenaient entre nous et le commissariat.

– Merde, fis-je.

– Tu l’as dit, le timing va être serré.

– Et comment on traverse ?

Mouez décocha un sourire malicieux.

– En faisant la même chose qu’eux. En réclamant le soleil.

Nous nous redressâmes, le cœur battant. Il rabattit le fusil d’assaut le long de son flanc et entama une démarche erratique, que je m’empressai d’imiter. Nous commençâmes à bredouiller, alors que nous traversions leurs rangs.

– Le soleil… nous voulons voir le soleil…

Aucun d’eux ne fit attention à nous, ils nous prenaient chacun pour l’un des leurs. Personne ne remarqua le fusil de Mouez.

L’un d’eux me flanqua une crise cardiaque lorsqu’il me retint par l’épaule. Son regard dément me fouilla.

– Les signes sont là… verra-t-on le soleil ?

J’évitai de plonger mes yeux dans les siens, qu’il ne réalise pas que je n’avais jamais pris de Vipère Jaune. Mouez répondit à ma place.

– Oui, bientôt.

L’autre s’écarta et nous rejoignîmes le commissariat à un trot plus dynamique. Deux Éclairés gardaient l’entrée, ouvrant le portail – enfin ce qu’il en restait – à notre intention lorsqu’ils reconnurent Mouez.

L’expression qu’ils affichaient ne m’inspirait pas la confiance absolue. Ils paraissaient défaits, au bord du désespoir, le désespoir de ceux qui n’espéraient pas pouvoir échapper à la tempête. Le hall répercutait les gémissements de douleur des blessés, avachis contre les murs, sur des fauteuils ou à même le sol.

Mila, Eric et Esa étaient au milieu de cette infirmerie improvisée qui manquait de médicaments et de pansements.

Je ne voyais pas les Protecteurs que l’on avait fait prisonniers avant de comprendre qu’ils se trouvaient parmi les Éclairés. Tous autant armés les uns que les autres. Quelque chose avait changé ici.

Eric me remarqua :

– Eh, David !

Il courut à ma rencontre tandis que Mouez retourna voir Mila pour lui rendre son rapport.

– Le Duc ?

– Mort, lui confirmai-je. Il ne nous causera plus de problèmes.

– C’est toujours ça de gagné, j’imagine.

Il montrait à peine qu’il était ravi. Compte tenu de la précarité de la situation, cela pouvait se comprendre.

– Ça n’a pas l’air brillant, ici.

Esa m’avait entendu en se rangeant à notre hauteur.

– Nous avons failli tous y passer en essayant d’aider tous ceux qui avaient besoin d’être secourus de leur déchéance.

– Les bonnes intentions ne sont pas toujours récompensées, petite.

Elle hocha la tête, avant de tirer nerveusement sur le treillis militaire qui la couvrait.

– Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi les Protecteurs ont des armes ?

Eric et Esa échangèrent un regard, gênés par ma question.

– Ordre de Mila, se contenta de répondre le garçon.

– Quand ils ont commencé l’attaque, me précisa Esa, des Protecteurs en ont profité pour s’enfuir. Mais ils ciblaient tout le monde, cela a été un carnage. Ceux qui ont pu en réchapper sont revenus se réfugier ici.

– Nous avons tous compris qu’ils ne laisseraient personne s’échapper de la ville. Protecteurs, Éclairés… ils ne font plus la différence, maintenant.

Cela confirma ce que Mouez m’avait souligné à propos du rôle des Protecteurs et du manque de considération de l’Extérieur qui les avait envoyés comme matons. De gardiens, ils étaient devenus eux aussi, des bagnards à leur insu.

Ils étaient des outils encombrants dont on songeait à se débarrasser. À leur insu, ils étaient devenus les témoins de notre déchéance. Nous étions condamnés à disparaître dans l’indifférence et le silence.

Mouez me fit un signe discret de la main, m’invitant à rejoindre Mila. Elle me salua avec un sourire chaleureux.

– J’en conclus que le Duc n’a pas survécu à votre entretien.

– Il prolonge sa conversation dans l’au-delà.

– Enfin, une bonne nouvelle, soupira-t-elle.

À l’entendre, ce devait être la seule.

– Tous les éclaireurs sont rentrés ? Demanda-t-elle à une Éclairée.

– Il en manque un, lui fut-il répondu.

– Préviens-moi quand il sera revenu.

Elle se mit à arpenter le hall, l’expression soucieuse. Elle demeura murée dans un mutisme angoissant avant de s’animer.

– Ils ont lancé le Grand Projet, me fit-elle remarquer avec amertume.

– Mon père avait déjà donné les ordres avant que je n’arrive au Manoir Mélinart.

– Ce n’est pas de ta faute. Maintenant, nous devons sauver ce que nous pouvons. La ville est en train de sombrer dans le chaos.

– J’en ai eu un aperçu. Je doute qu’il reste quoi que ce soit à sauver, à cet instant.

Elle fit volte face.

– David, nous devons en emmener le plus possible avec nous !

– Nous devrions d’abord sauver nos peaux ou cette ville nous emportera tous dans sa chute ! M’écriai-je.

Des clameurs retentirent lorsque l’éclaireur revint essoufflé, traversant le hall. L’homme rejeta le fusil accroché en bandoulière dans son dos et s’arrêta devant Mila. Son visage était couvert de suie humide, il avait du emprunter des chemins de traverse pour arriver sain et sauf.

La gravité et l’effroi imprégnaient ses traits.

– Ils… ils arrivent !

Tout ceux qui l’entendirent distinctement savaient ce que ils signifiait. Satan nous envoyait ses nouvelles engeances.

– Combien ? Demanda Mila.

– Ils ont envoyé… toute une armée. Des soldats, des tortues.

Tous autour de nous pâlirent et crièrent, sans se comprendre. Certains suggéraient de rendre les armes, en espérant une clémence improbable. D’autres proposaient de fuir avant qu’ils ne viennent jusqu’ici.

Le minois de Mila s’était temporairement décoloré mais elle reprit contenance.

– Silence !

Tous obéirent et la fixèrent, immobiles.

– On évacue, nous ne pourrons pas nous défendre ici. Eric, Esa, emmenez les blessés que vous pourrez transporter vers la bouche d’égout la plus proche.

– Et ceux que nous ne pourrons pas transporter ?

– Laissons les ici pour le moment.

Eric n’était pas d’humeur à la docilité.

– Je veux me battre !

– Je t’ai donné un ordre, riposta calmement Mila.

Le môme serra les dents, s’apprêtant à protester encore mais il y renonça. Les Éclairés et les Protecteurs ralliés en état de se battre, regroupèrent leurs armes et allèrent s’aligner dans la cour principale.

Les autres clodos ne firent pas attention à nous, heureusement. Les blessés qui pouvaient marcher ou se tenir sur des béquilles improvisées, traversèrent les rangs, guidés par Eric et Esa qui me déclarèrent au passage :

– J’espère qu’on se reverra.

– T’inquiète pas pour ça, gamin.

Je leur serrai la main et Mouez m’imita, en leur souhaitant bonne fortune. Pas un vœu anodin dans une ville pareille.

Mila nous passa en revue, la mine fermée. Son regard s’arrêtait sur chacun de nous, pour nous jauger.

– Nous avons beaucoup perdu, commença-t-elle. Et nous allons perdre beaucoup encore, mais une chose ne changera pas.

Elle pivota à moitié pour tendre le bras vers le bout de l’Avenue des Damnés. Là d’où surgiraient nos ennemis.

– Ces gens de l’Extérieur n’ont jamais été nos amis et ils ne le deviendront jamais. Ils ne nous ont jamais considéré comme des égaux, seulement comme des indésirables qui devaient être condamnés à l‘oubli. Ils nous ont enfermés derrière ce bouclier, pour nous laisser dépérir et revenir à l’état primitif, en ne nous accordant que les restes de leurs repas. En espérant que nous disparaîtrions sans bruit.

Elle baissa le bras.

– Mais nous ne disparaîtrons pas en silence ! Ce qu’ils refusent d’entendre, nous viendrons le leur crier ! Ce qu’ils ont toujours refusé de donner, nous viendrons le leur prendre !

Là, je reconnaissais Mila. Ma guerrière, la commandante des Éclairés, qui l’acclamèrent bruyamment.

– Nous leur prendrons le soleil !

– Nous sommes libres, nous sommes un peuple ! Proclama-t-il. Nous sommes la Résistance !

Ses yeux passionnés s’attardèrent sur les Protecteurs qui s’étaient mêlés à nous.

– À partir de maintenant, nous sommes tous des Éclairés !

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