Dimitri (chapitre 1 partie 2)

7 minutes de lecture

Ma femme s'était retrouvée enceinte et avait donné naissance à un petit garçon. Nous l’avions prénommé Dimitri. Notre dernière décision commune.

Nous devions le placer dès que possible dans le laboratoire... Je commençais à douter du bien-fondé de cette décision, mais mon épouse le sentit et un jour elle m'assoma par surprise avec une encyclopédie.

J’émergeais avec difficulté, ne comprenant pas ce qui s’était passé. Je rampais jusqu’à la table basse pour m’y appuyer et me relever. Ma nuque me provoquait des fourmillements et j’y constatais une vilaine bosse en la massant.

Personne dans cette pièce. Je l’appelais ainsi que Dimitri. Aucune réponse. Je fouillais fébrilement dans toute la demeure à leur recherche, en criant, mais ne les trouvait nulle part. Chambres, salle de bains, même la cave et le jardin : pas une once de vie à l’horizon !

Penaud, je revins dans le salon et dut me rendre à l’évidence : ils avaient disparu. Elle me l’avait pris, mon enfant, mon fils. Pour toute explication, juste cette missive glaçante : « Mon père m’a prévenue : tu n’es pas prêt. De plus, je dois protéger mon fils de ta violence ! Ne cherche pas à nous revoir sinon je saisis la Justice et plus jamais tu ne nous reverras. Si tu reviens à la raison, tu sais où me trouver. »

Abasourdi, jeune et naïf, je n’avais pas relevé les incohérences de cette lettre. Il aurait fallu prouver ces allégations, or je n’avais jamais battu ma femme, ni personne d'autre d’ailleurs. Qui aurait pu croire ces inepties ? Certainement pas un juge censé.

J’ai laissé libre cours à ma rage et hurlé dans la maison vide en brisant les cadres de notre mariage. Cela n’a pas changé la situation, mais au moins je me suis vidé de cette colère qui me submergeait. Je connaissais leur dangerosité et pour le bien de mon fils, je ne devais pas chercher à les revoir elle et son père. Du moins pour l’instant, je devais préparer un plan d’attaque avant de les infiltrer...

*

J'ai postulé à l'Académie militaire de West Point. Ma victoire, en Sénior Year, en natation, m'a attiré les faveurs du sénateur Windkins, grand amateur de ce sport. Je l'avais impressionné en explosant les records de l'époque. Il m'a convié à une soirée mondaine en me flattant sur mes capacités sportives. Le fait que je sois resté humble a plu aux invités et lorsque je leur ai parlé de mon projet d'intégrer West Point, cela les a confortés de mon esprit sain dans un corps sain. Plusieurs sénateurs et députés aussi bien démocrates que républicains m'ont rédigé des lettres de recommandation chaleureuses.

Le certificat de forme physique fut une formalité ainsi que l'oral et les dissertations. De plus, j'ai eu la chance d'être choisi comme favori par les membres du Congrès.

J'ai donc intégré « Hudson High ». Mes capacités physiques et intellectuelles en ont surpris plus d'un et j'ai été l'un des rares à ne pas être essoufflé à la fin du « Test de Course d'Obstacles ».

Mes professeurs appréciaient ma personnalité, tout comme la plupart des étudiants : malgré mon potentiel, je restais discret mais entretenait un vrai esprit de camaraderie au sein de ma promotion. Cependant mon côté solitaire dérangeait mes compagnons. Je participais rarement aux soirées estudiantines et préférais me concentrer sur l'histoire et les techniques militaires.

Au cours de ces quatre années, j'ai démontré mon habileté dans tous les domaines techniques : parachutisme, attaque aéroportée, guerre en montagne, en milieu hostile... J'ai également été choisi plusieurs fois pour seconder des conférences extérieures sur des sujets divers tels que l'importance du sport au cours de la scolarité ou encore sur l'honneur et l'entraide entre concitoyens.

Je suis sorti major de ma promo et décidé d'intégrer le corps des Marines.

Mes qualités m'ont permis de grimper les échelons. On appréciait le stratège que j'étais, je n'étais pas qu'un soldat, bon de surcroit, j'étais aussi fin tacticien.

J'ai continué d'étendre mes relations et mes contacts au plus haut niveau et j'ai finalement décidé de m'en servir pour retrouver la trace de mon fils.

On m'a enrôlé dans les opérations spéciales. J'étais l'un des meilleurs dans les missions d'infiltration, il faut dire que je n'avais pas d'attache, excepté mon fils que je désirais retrouver par tous les moyens.

J'avais toujours un coup d'avance sur les autres, prenant soin d'étudier à fond le terrain, jusqu’aux populations locales, avant de partir en mission. Je me déguisais en civil pour engranger des renseignements capitaux que je livrais à l'état-major. J'avais une bonne tête : le visage buriné, peu causant, mais sympathique : j'offrais quelques récompenses en cas de besoin.

On m'a mis sur des cas de plus en plus sensibles, sur les relations avec le Moyen-Orient, la Russie... et sur des dossiers transverses ! Des contacts m'ont initié à un monde que je ne connaissais pas et m'ont rapproché d’entités mystérieuses sur le Net, tel le darknet. J’y ai déniché des informations intéressantes. J’ai fini par retrouver leur trace. De piste en piste, de leurre en leurre, après douze longues années, je les ai localisés.

Pendant ce temps, mon fils avait subi tout un tas d’expériences.

*

Je me rappelle parfaitement de ce premier jour, dans la tour de verre où j’ai été accueilli par mon beau-père — techniquement, sa fille et moi n'avions pas eu le temps de divorcer — il n’a pas été surpris de me voir et m’a souri. « Quel plaisir de vous revoir. J’ai appris que vous êtes devenu général. Toutes mes félicitations. »

Le roi de l’hypocrisie. Comment avais-je pu m’entendre avec un connard pareil ?

Il m’a annoncé avec un sourire triste que sa fille avait péri dans un incendie accidentel.

Choqué par cette nouvelle et surtout de la manière : un simple sourire en coin. Comment un père pouvait-il être aussi insensible à la perte de son enfant ?

« Voyons mon ami détendez-vous. Vous êtes si crispé. Cela ne vous fait pas plaisir que celle qui vous a pris votre fils ait périt ? Dit-il en gardant son sourire en coin.

— Comment est-ce arrivé ?

­— Laissez tomber le passé. Nous devons nous tourner vers l’avenir.

— Mais c’était votre fille !

— Oui, et alors ? Elle m’a bien aidé et je lui suis gré de son sacrifice.

— Vous m’avez parlé d’un accident.

— Ah oui, c’est vrai, l’accident. J’oublie parfois, elle s’était faite tout un tas d’ennemis… Vous savez comment elle était, à vouloir se mêler de tout… Elle n’a pas eu de chance, c’est tout. Mais comme je vous le disais tout à l’heure, il est grand temps de penser au futur. Sachez que je suis heureux de vous accueillir au sein de mon programme. Je vais vous nommer responsable de la sécurité. Enfin dernière nouvelle et non des moindres…

Pendant quelques secondes, nos regards se croisent, impassibles, puis je consens à lui laisser l’avantage en répliquant :

— Laquelle

— Vous allez enfin revoir votre fils ! »

Tout mon corps se raidis, je suis prêt à le massacrer. C’est alors qu’il rit ! Je ne comprends pas pourquoi. Il ne se tient qu’à quelques mètres de moi et je suis plus beaucoup plus musclé que lui. Plus agile aussi. Et pourtant ce crétin continue de sourire.

« Vous trouvez ça drôle ?

— Pas vous ?

— Vous n’allez plus rire longtemps.

— Venez mon cher ami. Je vous attends. »

Plus que quelques pas pour le frapper… mais je rencontre le vide !

« Avouez que je vous ai bien eu. Vous ne pensiez tout de même pas abîmer mon doux visage ?

— Qu’est-ce que c'est que cette connerie ?

— Surveillez votre langage, général.

— Vous avez peur de moi ?

— Je suis prudent, c’est tout. J’imaginais que vous éprouveriez un peu de ressentiment à mon égard.

— Un peu ? Vous m’avez enlevé mon fils.

— Vous étiez d’accord avant sa conception. Il ne s’agissait pas de votre enfant. Juste d’un cobaye humain destiné à nos travaux.

— Vous vous entendez parler ? Vous êtes cinglé !

— Visionnaire. Vous devriez être fier d’avoir été choisi…

— Comme géniteur, le coupé-je.

— Si vous voulez.

— Donc, vous avez placé cet hologramme pour vous protéger, hurlé-je. »

Sans plus de réserves, j’ai cogné contre cette paroi invisible, mais cette dernière résista. Je me suis rabattu sur le mobilier en envoyant valser la chaise contre cette barrière, sans plus d’effet. J’ai alors balancé le cadre de sa fille posé sur un bureau.

Pendant ce temps, l'autre s'est contenté de rire, de plus en plus fort. Avant de se taire, enfin, et d'attendre que je me calme pour reprendre la parole.

« Je vois que vous avez vite compris le subterfuge. Je ne suis pas étonné.

— Il y avait peu d’options.

— Vous ne connaissez pas les clones ?

— Si, mais votre teint était un peu blanchâtre, je comprends mieux pourquoi.

— Vous êtes intelligent, comme je vous le disais tout à l'heure, nous aimerions vous avoir en tant que responsable de la sécurité. C'est la seule manière de retrouver votre fils.

— Espèce de salopard, marmonné-je.

— Je considère que vous acceptez mon offre.

— Quelle est la suite des réjouissances ?

— Franck ira vous chercher devant l’hôtel Palizdo à trois heures de l’après-midi. Dans une limousine noire.

— C’est le grand luxe.

— Nous prenons soin de nos invités de marque. Sur ce, je vous laisse. Je dois régler les derniers détails pour votre venue. »

L’hologramme disparut.

*

Je m'étais retrouvé seul dans cette pièce. À ruminer sur ce que je venais d'apprendre. S'ils avaient besoin de moi, c'est qu'ils craignaient quelque chose ou quelqu'un. Que pouvaient-ils bien cacher ? Dans quel état allais-je retrouver mon fils ? Et si tout ceci n'était qu'un piège, si finalement il n'avait pas survécu à leur expérience ? Dans ce cas, pourrai-je refuser leur marché ? Où m'exécuteraient-ils comme un chien ? J'avais prévenu l'état-major que j'avais une question privée à régler et sur le coup, je n'avais pas prêté attention à la célérité de la réponse positive. Si cela se trouve, ils nouaient des relations avec les plus hautes instances ! Ce qui serait logique en fin de compte, vu la nature de leurs travaux... Pour une fois, je n'avais pas envisagé toutes les possibilités. Peu d'options s'offraient à moi et je décidais de coopérer, en attendant des conditions plus favorables pour mettre un terme à cette folie.

J’avais patienté quelques minutes et était redescendu. Il ne me restait plus qu’à trouver cet hôtel.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire moonbird ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0