Olga
9 mois avant le Grand Réveil.
J’ouvre les yeux. La pièce est sombre, seule une veilleuse diffuse une lueur bleutée. Je ne me rappelle ni où je suis, ni qui je suis. J’ai l’impression d’avoir dormi pendant des mois.
Je suis calme. Sereine même.
La pénombre me fait du bien. Je ne souhaite pas revoir le jour : je ne suis pas encore prête à retrouver autrui. J’ai envie de profiter de ce moment et laisse mes muscles se détendre.
Je rêvasse lorsqu'un chuintement me parvient. Je tends l'oreille pour discerner d'où il provient, il devient murmure mais je ne comprends toujours pas, il se mue alors en un son aigu qui deviennent des paroles, un appel au secours déchirant.
Ce souvenir me revient : mon père hurlant désespérément à l'aide tandis que moi, statufié par ce spectacle macabre, je ne peux rien faire pour l'aider. Des rats, par dizaines, se promènent sur son corps, leurs pattes griffues parsèment les chevilles, les genoux, le torse, de traînées sombres. Des rongeurs parviennent sur son visage et le lacèrent. L'une de ces monstruosités pénètre dans son iris qui semble désormais s'éteindre.
Je coure vers lui afin de chasser ces sales bestioles lorsqu'une pluie de flèches m'envoie sur le sol glacé. D'autres rats surgissent et se ruent vers moi...
Ce bruit si reconnaissable, ces grattements, de nouveau, emplissent mes tympans. Ils sont ici, je les sens à travers le sommier. Comment est-ce possible ? Je dois retrouver la raison, les rats ne peuvent être aussi proches de moi, ils ne se cachent pas entre les lattes d'un lit. Et pourtant, je sens leurs pincements à travers le matelas ! Je dois sortir d'ici. Vite. Avant qu'ils ne me crèvent les yeux, comme ils l'ont fait avec mon père. Mon coeur palpite, des frissons glissent le long de ma colonne vertébrale, ma respiration se saccade. Objectif : quitter cette pièce qui semble se rétrécir. Elle ne sera pas mon tombeau, hors de question !
Fébrilement, mes bras sortent d'entre les draps : j'ai l'impression qu'ils pèsent une tonne mais je dois arriver à m'extraire de ce lit et d'atteindre cette fichue porte. Bien sûr je pourrais crier pour voir si quelqu'un vient. Non, ce que je veux, c'est parvenir à cette porte, que mes jambes me portent jusqu'à cette destination, qui bien que distante d'à peine quelques mètres, me semblent un long périple.
Le souffle court, je parviens à m'asseoir sur le rebord du lit avant de marquer une pause. Le temps que mon rythme cardiaque diminue. J'inspire puis expire lentement. Je laisse gonfler puis dégonfler mon ventre, mes poumons, ma gorge avec l'exercice de la bouteille. Puis je décide d'y aller. Atteindre ce but, le reste viendra plus tard : où suis-je ? Comment suis-je parvenu dans cet endroit ? Pourquoi ? Qu'attend de moi ?
Tout cela a peu d'importance pour le moment. Ces réponses viendront probablement plus tard, là j'ai juste envie de parvenir à mon objectif actuel et leur montrer s'ils m'observent ma détermination. Des réponses me parviendront peut-être si je parviens jusqu'à cette porte : des bruits de pas, de la lumière, des chuchotements... Quelques petits efforts valent cette peine.
D'une secousse, je parviens à me lever mais m'écroule immédiatement au sol : mes jambes m'ont lâchée et ma tête sur le point d'imploser.
« Vous ne m'aurez pas ! », maugréée-je, déterminée.
Je me traîne jusqu'à ma couche et attrape le montant, pour faire levier. Je pousse sur mes jambes, malgré leurs tremblements inopinés, m'aide de mes bras et parviens finalement à me rasseoir, à bout de souffle.
J'inspire et j'expire plusieurs fois afin de me calmer.
Ensuite, je réitère.
Je me sens aussi lourde qu’un cyborg. Cette démarche mécanique m’horripile. Je poursuis néanmoins, quitte à y laisser le peu de force qu’il me reste.
Une nouvelle fois, une violente migraine m'assaille et, de nouveau, je perds l'équilibre.
« Aïe », gémis-je.
La douleur persiste, je place mes mains sur les tempes pour l'atténuer. Tout se brouille ensuite : je me revois dans un paysage lunaire : une vaste étendue où la neige recouvre tout. Un désert blanc, immaculé. Aucune trace de vie aussi loin que porte mon regard : ni animaux, ni humain ! Le froid transperce mes maigres habits. Mes muscles sont endoloris, je peine à respirer. Mes larmes n’ont pas le temps de couler qu’elles se transforment en cristaux de glace ! Je grelotte. Pour lutter contre le blizzard, je me mets en boule… et j’attends…
« Je ne vais quand même pas mourir ici, il doit bien y avoir un refuge : une grotte, un arbre, une cabane ? »
Un martèlement survient et j’hurle de souffrance.
Je me retrouve de nouveau dans cette toundra.. Cependant quelque chose a changé : une odeur s'immisce dans mes narines. Un parfum.
Je n’ai pas le temps de me questionner davantage. Mes souvenirs s’effacent aussi vite qu’ils sont arrivés !
Me revoici dans cette petite chambre obscure, je ne suis pas plus avancée qu'à mon réveil.
Mon corps entier tressaille, la porte est si loin par rapport au lit... Je rampe, n'ayant plus la force de me lever, mes genoux ainsi que mes coudes s'écorchent par les aspérités d'un carrelage froid et rugeux. Tel un serpent, j'ondule enfin jusqu'à mon couchage et d'un effort désespéré, parviens à remonter sur le matelas et à m'étendre sous les couvertures.
Cet endroit semble aussi désert que celui de mes songes.
L’angoisse m'envahit : si jamais personne ne vient, comment ferais-je pour me nourrir ? Pour la première fois, je regarde autour de moi, il n’y a rien ici excepté ce lit, la veilleuse, et cette porte. La faim me prend par surprise, tout comme la soif. Je dois parvenir à sortir d'ici.
Décidée, je me lève d'un coup… et me vautre sur le sol. Je peste alors :
« Mais quelle idiote, je tiens à peine sur mes jambes, ce n’est pas pour faire des sauts de cabri. »
Je tente à nouveau de me relever, mais au moindre mouvement, ma tête tourne. J’ai des vertiges et mes membres s'affaiblissent… Dans un sursaut d’énergie, je glisse de nouveau sur ces dalles qui ensanglantent mes coudes. J’avance difficilement, mon souffle est rauque, les battements de mon cœur s’accélèrent. Cependant, je continue. Je dois atteindre cette porte coûte que coûte.
Dix mètres, cinq, je combats cette souffrance qui atrophie mes muscles. Je vais y arriver…
Du bout des doigts, je touche la barre de seuil et expire un grand coup : j’ai atteint mon objectif et mon corps tout entier se relâche. Des larmes, de joie autant que de tristesse, m’assaillent. Plus qu'à me relever et ouvrir cette porte !
C’est alors qu’une vive lumière inonde la pièce. Je place mes doigts devant mes yeux pour la filtrer.
« Bonjour Olga. »
Deux petits mots qui résonnent dans la pièce. Mon regard cherche fébrilement leur source. Au bout de quelques temps, je me rends à l’évidence : il n'y a personne ici.
« Où êtes-vous ? Que me voulez-vous ? »
Aucune réponse. Par contre des rats envahissent la poignée de la porte ! Ils glissent le long d'une trappe au-dessus de l'entrée et se rapprochent de moi.
« Laissez-moi sortir ! », hurlé-je en cognant frénétiquement contre la porte, avec l'énergie du désespoir. Mais celle-ci est solide et ne bouge pas d’un millimètre.
Je me retourne et inspecte frénétiquement le lieu. J'enrage : pas le moindre outil à l’horizon ! Aucune fenêtre, le lit est en métal, je ne vois pas comment je pourrais le casser, les couvertures ne m’aideront pas non plus, ni la veilleuse. Je porte un simple pyjama et je n’ai pas de barrettes dans les cheveux pour l'introduire dans la serrure. Je suis coincée !
N'ayant pas la force de me relever, je me mets en position fœtale pour me réchauffer et me protéger de ces rongeurs, lorsque la voix retentit de nouveau :
« C’est bien Olga, reste calme. Nous viendrons bientôt. »
La fatigue m’assaille. Je ne comprends rien, mon cerveau bouillonne, toutefois le sommeil m'emporte, bien malgré moi.
*
« Je ne comprends pas cette mascarade. Pouvez-vous m’expliquer en quoi ceci va nous aider ? fulmine le docteur Amigo.
— Ce sont les ordres, docteur.
— J’aimerais bien savoir qui donne des ordres aussi idiots ! »
Un gradé arrive. Il semble de mauvaise humeur et marmonne en entrant dans la pièce.
« Ce processus est inutile. Si c’est pour gagner du temps, il ne fallait pas la réveiller.
— Général, déclare le soldat en effectuant le salut militaire.
— Repos soldat. Vous pouvez disposer.
Après le départ du fantassin, Smythers s'aperçoit de la présence d'Amigo.
— Que faites-vous là, Amigo ?
— Je ne sais pas.
— On est deux. J’ai plus urgent que faire la nounou.
— Je ne peux pas envoyer Max pour l’instant, soupire le médecin.
— Dans ce cas, rendormez-la !
— Hein ?!
— Faites ce que vous voulez, mais ce réveil est impromptu.
— Nous ne pouvons pas. Les risques sont trop importants.
— Qu’allez-vous faire ?
— Gaz soporifique par le plafond. Nous la sanglerons. Nous l’alimenterons.
— Comment voulez-vous qu’elle apprenne à nous faire confiance ainsi ? vocifère le général
— Dans un premier temps, elle doit retrouver des forces.
— A-t-elle ses capacités ?
— Oui, murmure le praticien.
— C’est ridicule, tonne le gradé. J’ai un autre plan.
— Lequel ?
— Max sera envoyé en prisonnier.
— Quoi ?!
— Vous avez bien entendu. Pour mieux les comprendre, il doit subir les mêmes épreuves. Gardez-le au frais quelque temps : il ne doit pas être beau à voir pour la première rencontre. Vous le jetterez ensuite dans les bras de cette femme.
— C’est impossible. Il doit porter une combinaison pour le protéger.
— C’est votre problème. », conclut le général avant de laisser son interlocuteur avec ses doutes.
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