2 - Retour au bercail - 1/3
Quand je m’éveillai, les animaux s’étaient approchés de moi. Je fus surprise par l’écureuil qui, juché sur mon ventre, me scrutait avec attention. Lorsqu’il vit mes yeux noirs ouverts, il s’enfuit en quelques bonds, mais resta à proximité. Celui-là, j’allais m’en faire un copain ! Je levai mon regard vers le ciel et remarquai le déclin du soleil.
Je devais rentrer si je ne voulais pas manquer le repas du soir : une heure de marche me séparait de la ferme et mon père était très pointilleux sur les horaires. Si je ne rentrais pas à temps, je ne mangerais pas. Je me levai donc, et pris le chemin de la maison, marchant sans ménager mon effort.
Quand je sortis du bois, le soleil couchant éclairait les champs en contre-jour avec une lumière si belle qu’elle paraissait surnaturelle. Je humai l’odeur des vaches qui paissaient paisiblement dans le pré, puis passai près de la ferme de la famille Orion, nos voisins les plus proches. Je remarquai Hugues, leur fils d’une quarantaine d’années, handicapé mental. Il me lorgnait, caché, selon lui, derrière la haie de leur maison. Aucun de ceux qui passaient sur la route n’échappait à son regard scrutateur, mais je crois que depuis que j’avais pris des formes féminines, il me reluquait particulièrement. Je ne le prenais pas mal, sachant qu’il n’avait pas toutes ses facultés mentales et considérant qu’il ne ferait de mal à personne.
La demeure familiale était alors en vue. Nous vivions dans la ferme de mon grand-père paternel, Bernard Maillard – Grand-papa comme je l’appelais affectueusement. Bûcheron à la retraite, il nous avait aimablement accueillis chez lui après la disparition subite de sa femme Jacqueline dont je ne savais presque rien sinon qu’elle était originaire d’Antalvay. Ce qui tend à prouver qu’il peut y avoir parfois entente entre les deux communes.
Le tracteur de mon père était garé devant la grange, d’après les bruits qui en sortaient, il travaillait à l’intérieur.
Pascal Maillard, fils unique de son état, hérita du métier de bûcheron. Il entendait bien que mon frère Hugo ne fasse pas la même erreur et l’encourageait à trouver un métier plus lucratif, par exemple : travailler dans les finances. Force était de constater que l’idéal de mon père et celui de Grand-Papa différaient en tout point. L’ancien examinait avec soin la forêt pour déterminer lesquels étaient malades ou ceux dont la disparition permettrait à d’autres de croître harmonieusement. A contrario, le plus jeune cherchait à tirer le maximum de profit de la forêt, choisissant les plus beaux arbres pour les abattre.
Évitant avec soin une confrontation avec lui, je me rendis directement en direction du corps de ferme. Je me sentais fatiguée de la journée et l’envie me prit de me délasser. Je filai dans ma chambre pour me changer, mais ne remplaçai que le T-Shirt, jugeant mon short assez propre et enfilai mes savates à la va-vite avant de redescendre dans la cuisine pour aider ma mère à la préparation du repas. Une bonne odeur se répandait déjà dans la pièce. Ma mère, un vrai cordon bleu, faisait probablement griller des oignons.
Notre cuisine, dans un style résolument campagnard et rustique était la pièce à vivre de toute la famille. La première chose qui s’imposait au regard lorsque l’on franchissait la porte était cette table en chêne massif qui occupait le centre de la pièce et celui de nos repas. Il y avait ensuite le lourd tic-tac d’une imposante pendule si chère à Grand-Papa. Les nombreux meubles étaient tous en bois massif, et l’électroménager était tout à fait moderne, quasiment professionnel. Il y avait aussi une vaste cheminée.
Cet endroit était le domaine de ma mère qui, en bonne cuisinière organisée, voulait que tout soit en ordre : casseroles, marmites en tous genres, plats rangés par type d’utilisation… Habile décoratrice, elle avait disposé avec soin, quelques bibelots qui donnaient une âme à la pièce.
Vous devez vous dire qu’à l’époque du téléphone portable, cette cuisine avait l’air bien vieillotte. Eh bien, vous avez raison, mais c’était chez moi.
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