3 - Repas en famille - 1/3

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« Pour ceux qui aiment la bonne ambiance »

L’entrée tonitruante de mon père me fit quitter le chevet de mon grand-père, je lui donnai un petit baiser et lui fis un coucou de la main en quittant la pièce. Cette trompette sonnait l’heure du repas familial. Je retournai alors dans la cuisine afin d’aider ma mère à mettre la table pendant qu’il se changeait. Mon frère vivait à Brivorest, lieu de ses études, dans un appartement. Quatre couverts suffisaient donc.

Quand tout fut prêt, nous nous installâmes. En bout de table, le paternel nous dominait de son énorme tronc, tel un chêne. Ma mère était installée à sa gauche, moi-même à sa droite – place d’Hugo quand il était là – et enfin ma petite sœur Lydia à ma droite. Nous n’entendions que le tic-tac de la grande horloge, le bruit des couverts dans les assiettes et les « slurps » que je faisais en mangeant ma soupe sous le regard courroucé de ma mère. Pas une parole. On se serait cru dans un mauvais film des années 60.

Le patriarche prit enfin la parole, comme seul, il en avait le pouvoir.

— Le vieux est au bout du rouleau. Je vais enfin hériter de sa parcelle de forêt. De beaux projets s’annoncent, Hugo va pouvoir m’aider. Je lui prépare un bel avenir.

Il avait comme idée de s’associer avec d’autres gens dont j’ignorais jusqu’aux noms pour construire un golf sur la parcelle de Grand-Papa. Selon son plan, il déboiserait tout et vendrait le bois. Le golf occuperait une grande partie du terrain, et l’autre resterait consacrée à l’exploitation forestière. Il planterait à la place des arbres bien alignés à la croissance rapide, il pourrait alors en récolter les fruits une vingtaine d’années plus tard.

Jusqu’à une époque récente, personne n’avait jamais osé s’attaquer à la forêt. Le culte de la Mère Universelle, fort répandu à Amalfay mais dont il n’était pas adepte, était contre ces pratiques. De plus, les légendes qui courraient au sujet de Primaceton, faisaient état d’une sombre malédiction entraînant une mort prochaine. Ces éléments conjoints empêchaient jusqu’à présent les charognards comme mon père de se gaver. Il avait bien l’intention de mettre fin à ces croyances qu’il disait moyenâgeuses et d’en profiter financièrement.

Nous n’osions exprimer nos avis à ce sujet, mais même ma petite Lili de huit ans n’en pensait pas moins. Nous gardions toutes les trois les yeux rivés sur nos assiettes, sans broncher, n’osant défier le regard patriarcal. Je mis mes deux coudes sur la table, et appuyai ma tête sur mes mains jointes, comme je le faisais souvent pour réfléchir. Je riais intérieurement de la bonne blague que Grand-Papa avait projeté de lui faire sur le testament. Je n’en connaissais pas le contenu, mais j’imaginais qu’à mon grand plaisir, les ambitions de mon père en feraient les frais. Rira bien qui rira le dernier ! Si j’avais un rôle à jouer dans cette grande farce, je ne m’en priverais pas.

— Margaux, dit-il au bout d’un moment. J’ai réfléchi longuement à ton cas et tu vas arrêter tes études. Tu en as déjà bien assez fait pour une femme. En plus, tu n’es pas bonne pour ça, tu n’es pas capable de réussir quoi que ce soit.

Une bonne entrée en matière, vous ne trouvez pas ? Le tact de mon père dépassait de loin ceux des plus grands diplômates.

Au lycée, je n’avais pas des notes extraordinaires, et je veux bien avouer que je n’étais pas une fan absolue du travail scolaire. Cependant, j’avais des résultats tout à fait acceptables, certainement pas plus mauvais que ceux de mon frère à mon âge. Pourtant, lui, on le mettait sur un piédestal. Ainsi, affirmer que je n’étais bonne à rien relevait d’un sexisme d’un autre âge.

— Je vais te dire ce que tu vas devenir, continua-t-il. Tu finis ton année scolaire et ensuite, je t’envoie travailler. Une place de caissière dans un supermarché te conviendra bien ! Ce devrait être dans tes cordes, sinon tu vas aller faire des ménages comme ta mère. Même elle y parvient.

Il avait le génie pour les compliments. Je l’aurais tordu.

— Je connais plusieurs gérants dans les supermarchés à Antalvay. L’un d’entre eux m’a promis une place.

« Ensuite quand on aura le golf, je te mettrai à l’accueil. Va falloir que tu apprennes à être plus présentable, que tu ressembles à une femme ! Prends exemple sur ta mère : du maquillage, une jolie coiffure, des bonnes manières, et voilà, une belle potiche ! Pour finir, je te marierai à un bon parti de mes fréquentations.

Le mépris dans sa bouche était total. En moi la colère montait, bouillait, j’étais sur le point d’exploser comme une cocotte-minute dont on aurait bouché l’évacuation. Alors pour en décompresser le contenu, je pris la parole, transgressant les lois paternelles sur le mutisme, je lui jetai à la figure :

— Crois-tu vraiment que tu pourras m’imposer tout ça ?

Je regardai cet homme détesté, qui par malheur était mon père droit dans les yeux. J’enchaînai, sentant monter la rage que je ne pouvais plus contenir :

— Ce n’est pas aux parents de déterminer quelle vie devront avoir leurs enfants, quelles études ils doivent faire ou encore moins décider avec qui ils vont se marier !

— C’est moi qui paye, alors c’est moi qui décide, répondit-il d’un ton glacial.
— Si tu veux, je peux appeler une assistance sociale, ou bien directement la gendarmerie si tu préfères, je me demande bien ce qu’ils diraient s’ils savaient comment tu nous traites. T’es au courant qu’on est en démocratie ? L’égalité homme-femme ça te dit quelque chose ?

Mon visage était probablement rouge de colère et mes yeux exorbités. Il me fusilla du regard, ne sachant pas quoi répondre. En règle générale personne n’élevait la voix devant lui, il n’avait pas pour habitude qu’une femme, surtout sa fille lui fasse front. J’avais tout à fait conscience d’avoir été insolente au possible, mais je ne regrettais rien, car il avait réellement exagéré, je n’aurais pu retenir plus longtemps mon courroux. Enfin, peut-être avais-je été dure : on ne peut pas demander à un homme des cavernes d’avoir des notions de civilisation.

Comme la violence est le dernier recours des imbéciles (Selon Bernard Werber), ne pouvant supporter que quelqu’un s’oppose à lui, surtout pas moi, il se leva et brandit son énorme poing dans l’idée de me frapper violemment en pleine figure. Je l’aurais esquivé sans difficulté, mais d’un bond, ma mère s’interposa entre nous, et c’est elle qui se prit le coup dans le sternum.

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