4 - Les yeux de la sorcière - 3/3

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J’oubliai un peu le bonheur se sa présence, sentant la tristesse m’envahir. Une larme pointa au coin de mon œil. Je trouvai un léger réconfort dans la fourrure douce de l’écureuil.

— C’est Grand-Papa. Il est mourant et m’a envoyé pour qu’Elizabeth lui prépare un remède.

— Bernard…

Ses yeux s’attristèrent. J’évitais de les regarder directement, mais je pouvais le deviner. Sa voix chantante prit un ton infiniment triste, comme celui d’une eau vive devant passer dans les méandres plus lents d’une rivière.

— Que lui est-il arrivé ? Il n’est pourtant pas très âgé.

— Soixante-dix ans seulement, un cancer généralisé, en phase terminale.

Elle réfléchit quelques secondes à sa réponse.

— Je ne peux pas grand-chose, dit-elle, il faut que tu le saches, quelques herbes ne peuvent pas guérir d’une telle maladie.

— C’est ce qu’il m’a laissé comprendre, mais…

— … mais je peux cependant deux choses. D’abord, quelques remèdes, pour fortifier son corps et calmer ses douleurs. Ils lui permettront de rester un peu plus longtemps parmi les vivants et surtout de ne pas passer ses derniers instants dans d’inutiles souffrances.

— La deuxième chose ?

— Une préparation chamanique que nous partagerons. Elle nous permettra de le voir en esprit lorsque celui-ci… quittera son corps. Nous la prendrons et nous pourrons le guider vers le monde des esprits. Ainsi, nous saurons qu’il est heureux et nous lui ferons nos adieux. Il ne faudrait pas qu’il reste coincé entre deux mondes !

— Tu dis : nous.

— Oui, tu m’assisteras, tu es certainement la personne à laquelle il est le plus attaché sur cette terre. Tu es donc la plus qualifiée.

— Mais je ne m’en sens pas capable ! Je n’ai jamais fait ça !

— Je serai avec toi, tout ira bien, ne t’inquiète pas.

L’écureuil probablement lassé par nos caresses partit s’occuper de ses propres affaires.

Des larmes silencieuses se mirent à couler sur les joues de Sarah, les miennes affluèrent également. Elle soupira longuement et ferma les yeux pensivement.

— C’est un grand ami… Il a fait beaucoup pour la forêt, à son échelle bien sûr. Sans lui, elle serait moins belle et de nombreux arbres seraient dans la souffrance.

Sa tristesse faisait écho à la mienne.

— Comment vous êtes-vous rencontrés ?

— Eh bien… J’étais petite fille, il venait rendre visite à ma mère. Ils tenaient de longues conversations sur les arbres. Sur la vie aussi.

Nous séchâmes nos larmes et elle retourna à la table en pierre. Elle rangea sa préparation dans un petit sac de toile puis me fis signe de la suivre.

— Viens, allons chez moi.

Elle partit d’un pas trottinant. En règle générale, je me targuais d’être une rude marcheuse, mais je me mis vite à ahaner, alors qu’elle allait d’un train joyeux et sans effort apparent. Me voyant distancée, elle m’attendit et s’adapta à mon pas, m’accompagnant.

— Tout à l’heure, lorsque tu t’es perdue dans mes yeux, j’ai sondé ton âme… Elle est belle, j’en ai rarement vu d’aussi pure chez un être humain.

Surprise, j’attendais qu’elle en dise davantage.

— Bon, il y a quelques taches, mais… ça se répare.

— Que veux-tu dire, Sarah ?

— Eh bien, il y a deux amis à toi, des amitiés brisées. Ils ne l’ont pas mérité, je le lis en toi, il faut que tu répares cela. En tout cas, je sens que ça te pèse, et tu ne te sentiras pas heureuse avant d’avoir retrouvé tes proches. Me promets-tu d’y remédier ?

La tristesse l’avait quitté, son ton était redevenu joyeux, la rivière reprenait doucement son cours.

— Promettre de réparer, je ne sais pas, ça va dépendre d’eux aussi, mais je te promets d’essayer !

— Dans ce cas, je prends cette promesse. Montre-t’en digne !

Elle fit une pause.

— J’ai vu également ta tristesse, j’en connais désormais la raison… Et aussi un désir d’amour déçu, je le vois s’atténuer pourtant. Enfin, j’ai ressenti un traumatisme violent, tout récent. Tu veux m’en parler ?

— Peut-être un peu plus tard.

Je la regardai pour lui sourire, tout en évitant ses yeux.

— Mais ça ne me dit pas comment tu sais tout ça !

— Suis-je sorcière ou non ? Plus sérieusement, j’ai appris à déchiffrer ce qu’il y a au plus profond des gens.

Elle avait bien dû voir à quel point je la trouvais belle et attirante.

— Je te vois rougir, aurais-tu quelque chose de honteux à me cacher ? Rassure-toi, je ne lis pas dans les pensées, mais je peux distinguer les blessures à panser. Je peux voir aussi les grandes joies ou peines, mais pas dans leurs détails. Et même si je le pouvais, je ne m’immiscerais pas si profondément dans ton intimité sans ton accord.

Nous fîmes encore quelques centaines de mètres, puis elle me regarda à nouveau de ses beaux yeux verts que j’osai frôler de mon regard,

— Margaux, je sais à quel point il est incommodant pour toi de ne pouvoir me faire face directement, et j’imagine que tu ne veux pas revivre ce que tu as vécu tout à l’heure.

J’acquiesçai. Mon prénom dans sa bouche sonnait comme quelque chose d’immensément beau et poétique.

— Pour y remédier, c’est simple, mais c’est un exercice de concentration auquel il faut s’exercer un peu, je te montrerai tout ceci lorsque nous serons installées confortablement dans ma cabane.

Elle repartit de son pas léger et rapide.

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