Chapitre 5 - La maison vivante - 2/3

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— Alors ? On fait comment ?

— Bon, je t’explique. Je ne suis pas vraiment comme tout le monde. Mon esprit est… Vaste. Si tu plonges tes yeux dans mon regard, tu risques de t’y perdre, afin d’éviter un tel écueil, garde ton identité bien en tête.

« En pratique, essaie de trouver une phrase simple que tu voudrais me transmettre. Fais-le et ressort. En cas de problèmes, énonce ton prénom à voix haute, sinon, je te rappellerai.

Je cherchai la phrase la plus simple du monde : « Bonjour Sarah ». Je figeai ces mots dans mon cerveau puis entamai la descente au fond de ses yeux, mais ma bouche énonça :

— Tu es si jolie, Sarah !

Je l’avais pensé si fort que les mots jaillirent sans le vouloir de ma bouche. Je me repris :

— Bonjour Sarah.

Puis je parvins à rassembler les bribes de ma conscience. J’émergeai de cet océan vert. Mon regard continuant à nager à sa surface et je répétai plusieurs fois l’exercice délicieux jusqu’à y parvenir sans effort.

Sarah me souriait, se prêtait à cet exercice avec bienveillance. En la regardant, je réalisai ce que je lui avais dit et je sentis le rouge monter à mes joues et mon cœur s’accélérer.

— Merci, me répondit-elle. Toi aussi, tu es jolie.

Je ne fus plus rouge, mais écarlate.

— Désolée, je… c’est l’émotion.

— Ton cœur a parlé avec sincérité. Il n’y a pas de mal à cela.

Nous nous sourîmes un peu gênées. Elle m’offrit son rire cristallin qui détendit l’atmosphère.

Elle reprit :

— Ton grand-père est un grand ami, j’apprécierais de faire plus ample connaissance avec sa petite fille. Voudrais-tu de mon amitié ?

Je refis une plongée dans l’immensité de ses yeux et y trouvai son amitié. À mon tour, je lui fis cadeau de la mienne.

Le sifflet de sa théière pleine d’eau bouillante nous rappela à la réalité. Elle nous servit l’eau chaude dans laquelle elle plongea des herbes d’un mélange extrait de son incroyable phytothèque. Puis, elle prit un pot de miel et ajouta une petite pointe du fruit, labeur des abeilles, dans chaque tasse.

— Une petite touche de douceur, me dit elle avec un sourire espiègle.

Pour moi le miel était un aliment facile à trouver au magasin, mais je pris conscience du prix qu’elle attachait à celui-ci.

— Ça t’intéresserait d’apprendre à connaître les plantes ?

— Avec toi ?

— Oui, je suis experte en botanique, je connais les propriétés de chaque plante de la région.

— Ce serait avec joie ! Donne-moi un exemple que je voie si tu es une bonne prof !

— Par exemple, les violettes qui sont dans la petite clairière que tu connais. Inhaler leur parfum permet d’avoir de doux rêves. Sache que leur nom est Violetta Oniris. Elles sont pratiquement identiques à celles qui poussent dans les jardins, mais elles sont plutôt rares. Seul leur parfum permet de les différencier. À condition d’avoir un bon nez ! La différence est subtile.

Buvant notre tisane que je trouvai miraculeusement délicieuse – ce n’était assurément pas un breuvage réservé aux vieux – notre conversation devint plus libre, l’atmosphère devint détendue. Je me surpris à parler avec elle comme si je l’avais toujours connue.

Je repensai à Romane, cette fille qui avait occupé mon esprit pendant plusieurs mois, mais pour qui je n’avais jamais rien été. Sarah était différente. En une petite heure, nous étions devenues… Proches ? Oui. Si proches que j’osai me confier à elle :

— Tu m’as dit qu tu as lu en moi que j’avais été déçue en amour…

— Ce n’est pas le cas ?

— Si, mais, tu sais, je crois que ça n’en valait pas la peine. Cette fille – c’était une fille – ne s’intéressait pas à moi. En fait, nous n’avons même presque jamais parlé. Tu crois que c’était de l’amour ?

— Question épineuse, ma chère, je n’ai connu l’amour qu’une seule fois dans ma vie. Mais si j’essaie d’y réfléchir, je crois qu’on ne peut parler d’amour qu’à partir du moment où il est partagé.

Une petite pointe de jalousie naquit en moi. Elle avait connu l’amour, le vrai.

— Alors quand sait-on que c’est de l’amour ?

— Eh bien… Il me semble qu’au début, on a du désir. Le coup de foudre comme on dit. Ça permet de planter, comme une petite graine. Alors, on l’arrose avec beaucoup de sentiments, et des expériences de vie. C’est à ce moment-là qu’il peut pousser. S’il n’est arrosé que par l’un des deux, il meurt.

— Tu en parles au passé… On t’aurait abandonné ?

J’utilisai le pronom indéfini ne sachant pas bien où je m’aventurais.

— Elle est décédée. Jamais, elle ne m’aurait abandonnée.

Ce fut pour moi une douche froide. Comme elle avait dû souffrir de cette perte !

— Oh ! Je suis désolée !

— Ne le soit pas. Ce qui est passé est passé. Mais elle est toujours là dans mon cœur et y sera toujours. Je porterai son deuil toute ma vie. Il faut que tu saches que personne ne pourra la remplacer. Cela ne veut pas dire que je ne pourrai plus aimer, mais elle aura toujours sa place…

Elle revint dans le présent et ajouta :

— Du temps sera nécessaire pour que je puisse accepter quelqu’un d’autre dans ma vie.

— Et ça fait longtemps que… ?

— C’est comme si c’était hier, éluda-t-elle.

Nous nous regardâmes longuement, le sourire aux lèvres, mais la larme à l’œil. Le silence n’était plus gênant entre nous, il était devenu un instrument de communication.

Je mis ma main sur la sienne, posée sur la table.

— Et si jamais… je souhaitais partager… plus que de l’amitié ?

Mon cœur battait comme un tambour dans ma poitrine. J’avais peut-être trop osé. Mes lèvres avaient couru plus vite que mon cerveau. L’instant prit des allures d’éternité. Et si elle me repoussait ? Elle ne retira pas sa main, mais j’ôtai la mienne, me sentant coupable.

— Pardon…

C’est un sourire qui accueilli ma peur. Le fond de ses yeux, dont je sondai la profondeur, semblait bien plus ému que son visage ne le laissait paraître.

— Le temps nous le dira, mon amie. Ne désespère pas, il faut cultiver, c’est tout, ça prend du temps.

Je fus prise d’une certitude inexpliquée, mais absolue. Je prendrais le temps nécessaire pour elle.

Nous finîmes notre infusion pensivement. Reposant sa tasse, elle se leva.

— Nous parlions de cours que je pourrais te donner, quelles sont les horaires qui te conviennent ? Le week-end ou le mercredi après-midi, lorsque tu n’es pas au lycée ?

— Je peux venir tous les jours, je n’irai plus au lycée. De toute manière, ma vie est liée à cette forêt et l’apprentissage que tu me proposes me conviendra mieux. De plus, mon père veut que j’arrête mes études.

— Je ne te le conseillerais pas, mais si c’est ton choix, je l’accepte. Tu vas quand même vouloir des moments de liberté. Je te libère le week-end et tous les après-midi, ma jeune apprentie sorcière ! Dit-elle avec un clin d’œil. Mais cela ne t’empêche pas de venir me voir quand tu veux. Tu seras toujours la bienvenue. Avais-tu encore beaucoup de questions à me poser ?

— Elles attendront, je vais découvrir tout cela en temps et en heure avec toi.

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