6 - Le temple de la Mère Universelle - 3/3
Nous repartîmes à seize heures quinze, et je remerciai la Mère Universelle de m’avoir donné l’idée de passer par la boutique du Miche. Comme il n’y avait pas beaucoup de place derrière la chaise, nous nous relayions.
La pente commençait à remonter ; l’avancée devenait de plus en plus difficile, et les relais plus fréquents, je commençais à m’essouffler.
— Au fait, Margaux, il faut que je te dise, je commence à me sentir beaucoup mieux, dit Grand-Papa. Je ne sais pas si c’est l’air frais, la tisane ou bien les deux !
— C’est parce que tu ne pousses pas le fauteuil !
Nous éclatâmes de rire tous les trois, même mon grand-père.
Nous pressâmes le pas et arrivâmes à proximité du temple à seize heures trente. Je remerciai mon oncle qui prit le chemin du retour.
— Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste ?
— Non, tu as des clients à servir. Quand nous repartirons, nous serons en descente. Si j’ai besoin de toi, je repasserai par la boutique.
— D’accord, peut-être à tout à l’heure !
Les humains révéraient majoritairement deux déités, bien qu’il doive en exister d’autres, plus marginales à certains endroits de la planète. Leur culte remonte environs à huit mille ans. Étant donné leur ancienneté, les archives manquent et peu ‘information sont parvenus jusqu’à nous. À chacune de deux grandes entités majeures sont affiliées des déités mineures, que l’on nomme Aspects.
Le dieu qui rassemblait le plus d’adeptes était sans conteste le Guide de l’Humanité. Moi-même, j’y avais été initiée, à peu près comme tout le monde. Cependant, je ne lui vouais pas un culte assidu. Les gens le révéraient principalement pour en tirer bénéfice. On le priait pour avoir de bonnes récoltes, de bons revenus… Chaque métier a son Aspect et chaque localité également. Ici à Amalfay le temple était assez petit, car les pratiquants étaient peu nombreux.
La mère Universelle, deuxième divinité importante en nombres d’adeptes, me comptait parmi ses disciples. Contrairement au Guide de l’Humanité, au lieu de prier pour soi-même, on prie plutôt pour que le monde aille mieux, c’est un dieu altruiste, les priéères étaient dédiées à l’épanouissement de la nature, à la paix entre les hommes. Elle avait dans notre commune, une importance prépondérante.
J’avisai mon grand-père.
— Allons déjà faire quelques prières, ça nous fera du bien.
La bâtisse du temple en elle-même n’était pas immense, car la Mère Universelle n’était pas une déesse démonstrative et les religieux qui la servaient suivaient ses préceptes. Le mur de l’entrée était simplement peint d’une grande fresque représentant une femme au milieu de la nature. À sa droite, des animaux sauvages et des créatures fabuleuses bénéfiques : licornes, centaures, phénix… À sa gauche, des humains aux divers âges de leur vie et au-dessus d’elle, une lumière éclairait toute la scène, figurant l’amour qu’elle nous portait. Les différents éléments de la fresque symbolisaient les trois Aspects de la Mère, plus détaillés sur les triptyques à l’intérieur.
Nous entrâmes.
L’un des tableaux présentait Mère Nature au sien d’une forêt luxuriante, à ses pieds coulait une rivière et en toile de fond se profilait une montagne. Des animaux sauvages peuplaient le premier panneau latéral. Le dernier abritait des créatures de légende.
Le deuxième s’attachait à la Mère des Hommes, entourée de femmes et d’hommes. Une scène de naissance prenait place sur la gauche et le décès d’un autre à droite.
Enfin le troisième était dédié au Père des Bons Sentiments. Autour de lui des gens se congratulaient, s’entraidaient, s’aimaient. Des animaux, prédateurs et proies, se reniflaient le museau amicalement.
Je poussai mon grand-père vers la Mère des Hommes, c’était elle que nous venions prier pour sa santé. Nous nous assîmes devant le triptyque où était représenté la vie et la mort. Tout en priant, je remarquai qu’un halo diaphane investissait le nouveau-né alors qu’une même forme s’exhalait de celui qui finissait sa vie.
L’âme ? C’est étrange qu’elle soit si peu évoquée au catéchisme. Je ne l’avais encore jamais remarquée sur cette peinture.
Alors c’est cette âme qui fait notre vie, elle qui nous anime et également elle que Sarah a pu lire en moi ! Qui était cette sorcière capable de lire ainsi l’âme d’une personne ?
Une prêtresse nous rejoignit dans la prière et nous accompagna dans notre démarche. Elle s’enquit des souffrances de Grand-Papa et nous pûmes échanger des paroles de réconfort qui le soulagèrent.
Je consultai ma montre : seize heures quarante-cinq. Il restait une heure et quart avant le rendez-vous. J’eus deux idées, la première était d’aller voir Éléonore et la deuxième, je l’exposai à Grand-Papa :
— Ça te dirait de prendre une chambre au monastère ? Ça te mettrait à l’abri de Papa. J’ai peur qu’il ne tente quelque chose pour raccourcir tes jours.
— Quand j’aurai vu le notaire, ça n’aura plus d’importance.
— Pour moi ça en a une !
— Alors c’est d’accord.
— Je ne te laisserai pas tout seul ici, ne t’inquiètes pas ! Je viendrai tous les jours te tenir compagnie après ma formation avec Sarah.
Il me regarda d’un air intrigué :
— Tu avais pensé à cette éventualité dès le début ?
— Non, c’est de l’improvisation complète. J’avais juste donné rendez-vous au notaire à dix-huit heures.
— Bien, il nous reste une heure pour s’occuper des formalités.
Était-ce une impression ou était-il vraiment plus en forme ?
— Auparavant, je voudrais demander à Maman ce qu’elle en pense, fis-je. Tu n’y vois pas d’inconvénient ?
La conversation téléphonique fut de courte durée et je n’eus aucun mal à la convaincre du bien fondé de la démarche.
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