7 - Le monastère - 3/3
Nous reprîmes notre marche vers la chambre. Après avoir frappé à la porte nous entrâmes. L’endroit était spacieux et bien éclairé. Grand-Papa était allongé dans le lit, souriant. Éléonore et lui se saluèrent cordialement. Il la connaissait du temps où elle venait jouer à la maison. Éléonore était tellement gentille et discrète que tous les adultes l’aimaient bien.
— Je vous ferai faire votre promenade quotidienne ! lui dit-elle.
J’indiquai que je devrais repartir avec le fauteuil, car il appartenait aux voisins. Cela ne gênait pas, car ils en avaient un bon nombre non affectés dans le monastère, et nous restâmes tous les trois à discuter un moment de tout et de rien. Lorsque l’heure fut venue, je pris congé pour aller chercher notre rendez-vous.
Le petit homme jovial, grisonnant, à la tête largement dégarnie, était pile à l’heure, attaché-case en main. Il arrivait au moment où je parvenais devant le temple, lieu du rendez-vous.
Je connaissais bien maître Duchêne, car comme moi, il se assistait souvent aux offices de la Mère Universelle. Nous n’étions pas extrêmement nombreux et nous nous connaissions comme une grande famille.
Je le conduisis jusqu’à la chambre de mon grand-père et je pris congé, rentrant à la maison avec deux poids en moins sur les épaules. Mon grand-père était entre des mains bienveillantes et j’étais redevenue amie avec Éléonore.
Aujourd’hui, je ne la considérais plus comme une gamine pleurnicharde, mais comme une véritable amie à qui je pouvais me confier et qui pourrait aussi se tourner vers moi.
Décidément, cette journée était la meilleure que je vivais depuis que mon grand-père était malade. Peut-être même la meilleure depuis toujours, car je caressais l’idée d’avoir trouvé l’amour.
Quand j’arrivai chez moi, mon portable émit un petit bruit, le wifi s’était réactivé.
Je consultai l’appareil et découvris un mail de Steph :
« J’ai rapidement trouvé les informations que tu demandais. Je n’ai rien découvert de notable mis à part les renseignements sur son état civil :
01/01/1930 Naissance de Madeleine Hildoras, mère Yvonne Hildoras, pas de père déclaré
01/01/1950 Décès de Louise Hildoras
01/01/1960 Naissance d’Elizabeth Hildoras, mère Madeleine Hildoras, pas de père déclaré
01/01/1980 Décès d’Yvonne Hildoras
01/01/1990 Naissance de Sarah Hildoras, mère Elizabeth Hildoras, pas de père non plus
01/01/2010 Décès de Madeleine Hildoras
Je n’ai pas d’archives plus anciennes.
Si tu veux mon avis, cette régularité cache quelque chose. Si on résume, les dates sont toutes des premiers janviers multiples de dix. Pour les deux naissances que l’on observe, les mères auraient à chaque fois exactement trente ans.
Tu souhaites que j’enquête là-dessus ? Ça me ferait peut-être un article juteux si on apprenait ce qui se cache là-derrière. »
Je lui textotai.
« Cela confirme juste une intuition. S’il te plaît ne fais rien, cela pourrait porter préjudice à quelqu’un que j’aime beaucoup, essaie d’oublier ce que tu as vu. »
Il me répondit assez rapidement que c’était d’accord, qu’il n’irait pas plus loin. Il était comme cela, Stéphane, une perle ! En creusant, il aurait peut-être pu publier un article intéressant, mais il préférait se taire pour me respecter.
J’avais deux options. Soit, plusieurs sorcières très âgées se succédaient alternativement. Et lorsqu’un décès arrivait, elle était remplacée. Dans ce cas, j’aurais peut-être été désignée pour remplacer l’amoureuse de Sarah.
Soit, Louise, Madeleine, Yvonne, Elizabeth et Sarah étaient une seule et unique personne.
Dans les deux cas de figure, mon aimée avait vécu plusieurs fois ma vie. Comment était-ce possible ? Probablement que les sorcières, grâce à leurs préparations herbacées, peuvent vivre longtemps sans vieillir ?
Je comprenais son secret et le fait qu’il était difficile de le révéler sans que les gens vous prennent pour une folle. Je soupçonnai aussi mon grand-père d’être au courant. Les paroles ambigües et ses airs de ne pas vouloir y toucher me mettaient le doute.
Mon cerveau pouvait comprendre l’aspect mathématique des chiffres, mais se refusait à en admettre la réalité. Comment une personne si jeune en apparence pouvait-elle être plus âgée que la doyenne de l’humanité ? Cela se confirmait pourtant lorsque l’on avait un aperçu, même extérieur, de son savoir encyclopédique.
Une dernière question pouvait se poser. Est-ce que cela me gênait ou changeait mes sentiments naissants ? Non, évidemment. Ce qui importait, c’était la personne que j’avais rencontrée, pas son âge.
Lorsque j’eus bien réfléchi, je pris mon vélo pour faire un rapide aller-retour au monastère afin d’apporter quelques affaires à Grand-Papa.
Le reste de la soirée se déroula presque comme d’habitude, si ce n’est que nous ne mangeâmes, ma sœur, ma mère et moi, qu’après que mon père eut quitté la cuisine. D’ailleurs, nous découvrîmes entre nous une nouvelle convivialité. Les seuls repas agréables du même genre se déroulaient d’habitude dans la famille de ma mère.
Je dormis à nouveau avec elle, mais nous trouverions une solution pérenne les jours suivants.
Avant de m’endormir, j’allai mettre une goutte du parfum de violette sous le nez de Lili, puis me recouchant, j’en mis une autre sous celui de Maman et une dernière sous le mien. Nous dormîmes toutes comme des bébés. Bien évidemment, je rêvai de Sarah, faisant abstraction de ce qui venait de m’être révélé. C’était là le pouvoir des violettes.
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