Le confinement est derrière nous. Il nous a laissé un potager en fleurs et en légumes, le souvenir de face à face étonnés et silencieux avec un hibou moyen duc, royalement perché sur une branche du vieux prunier, les traces de quad dans la prairie. Mais aussi l'angoisse devant les chiffres alignés sur l'écran du smartphone, les larmes rentrées et les rires forcés avec les gens qu'on chérit, loin, au bout du fil, la colère devant les conditions de vie et de travail de ceux qui sont "au front".

Car le confinement est fini, mais ils y sont toujours, eux, sur le front.

Ainsi, la vie a repris. Pas tout à fait mais... Nous avons repris le chemin : de l'école, du travail, des discussions amicales autour d'un café ou de l'apéro, selon l'heure.

Au début, quand on a mis le nez dehors, apeurés, sur le qui-vive, on a mis des masques, on s'est lavé et relavé les mains... On s'est tenus loin les uns des autres.

Et puis le temps a passé, le soleil a continué de briller, l'eau de couler sous les ponts, les chiffres de baisser. On a repris du poil de la bête. On s'est autorisés à fanfaronner un petit peu. On s'est même aventurés à échanger une ou deux bises "tu fais la bise, toi ou bien? "..."ah, c'est comme tu veux toi ! moi, ça me dérange pas."

On a oublié. J'ai oublié. Je m'étais promis de me souvenir, pourtant... de l'angoisse terrible des premiers jours, de la colère rageuse devant le manque de moyens, les infirmières en sac poubelle et les malades sauvés par Décathlon.

Et pfiou ! envolés, les souvenirs ! pas le temps...

Et, puis, ma fille a reniflé... et puis, elle a toussé. Nous sommes allés consulter le docteur. Qui a prescrit un test covid, par précaution. Et nous a demandé de rester à la maison...confinés!

Tout est revenu, les angoisses, la colère, la tristesse et même le hibou, heureusement.

Nous sommes allés faire le test. C'est un drive. J'ai garé ma voiture, entre deux jolis poteaux en briques toulousaines, un jour de marché, un jour de soleil. Quelques marches en contrebas, un homme en combinaison intégrale bleue, encapuchonné, lunettes de protection, masques et gants prépare ses écouvillons, les uns derrière les autres, sur un rebord de murette. Il monte ensuite et me demande mon nom. Je le lui donne. Il cherche dans ses fiches. Je cherche ses yeux : j'entraperçois un regard bleu délavé, fatigué. Il trouve notre fiche. Il redescend, revient avec un tube à essai et l'écouvillon. Il demande à ma fille de pencher la tête en arrière. Elle s'éxécute. Il lui enfonce l'écouvillon dans la narine. Elle sursaute. Il farfouille. Elle crie "ça fait mal!". Il sort l'écouvillon. Elle crie encore. Il marque une pause. Il vise l'autre narine. Il y introduit l'écouvillon. Ma fille pleure. I'écouvillon ressort et l'homme se redresse. Nous échangeons un regard. J'aurais souhaité sentir un peu plus d'humanité. Il semble le savoir mais ses yeux et sa voix lasse disent qu'il n'en a plus en magasin. Il m'informe qu'il m'appellera, pour les résultats, dans deux jours. Et il s'en va se préparer pour le prochain test. Deux autres voitures attendent déjà. Avant moi, il y en avait deux. Cinq personnes en à peine trente minutes.

Je pars, avec un sentiment étrange, au creux de l'estomac. Lui, cet homme, ce docteur, il a pas du avoir droit à cette micro période d'insouciance, même pas.

Après ça, nous avons attendu. On faisait semblant que tout allait bien mais, à la maison, on avait tous le covid dans la tête.

Aujourd'hui, Il a appelé, je n'ai pas compris son nom. Sa voix était toujours aussi fatigué. Il a dit: "Je ne sais pas si on vous a déjà communiqué les résultats...non? ... Le test est négatif. Oui, il est négatif. Bon courage"

Je lui ai dit merci, merci beaucoup pour ce que vous faites et bon courage! Que pouvais-je faire de plus?

Ensuite, on a crié! on a dansé de joie!

Déconfinée, je vais tâcher de tenir ma promesse, cette fois. Je veux me souvenir.