Je sens que nous allons nous plaire ici. 

J'ai trouvé une jolie maison dans un quartier résidentiel de Castelnau-Le-Lez. Nous serons proches du lycée pour mon fils, et le tramway qui passe tout près nous apportera l'autonomie et me permettra d'éviter les bouchons matinaux.

J'ai économisé toutes ces années. Mon fils et moi n'avions pas de gros besoins. Pas de départs en vacances, par exemple. Pour aller où, ou voir qui, de toute façon ? Nous avions la mer et des amis sur place, alors à quoi bon dépenser de l'argent pour se retrouver à nouveau seuls ?

La villa est relativement simple, quatre faces, trois chambres, une grande cuisine, car je peux passer de longues heures à préparer de bons petits plats tout en imaginant de futures histoires à écrire, un beau salon, et une longue terrasse couverte, au bord de la piscine. Je sais, pas si simple que ça, mais vu les bâtisses avoisinantes, je vous assure que la mienne est tout à fait raisonnable. Un peu de pelouse et quelques palmiers encadrent le chemin de graviers qui mène à la porte d'entrée. Le tout est entouré d'une clôture en béton ; je dois juste prévoir un portail que les anciens propriétaires n'ont pas jugé utile de faire installer.

Ce matin, mon fils entamait sa première journée dans son lycée. Et moi, je faisais connaissance avec ma nouvelle équipe, et découvrais mon environnement de travail, ainsi que les tâches qui me seraient confiées. Lors de notre dernier entretien, mon patron m'avait autorisée à quitter exceptionnellement le bureau plus tôt, de façon à ce que je récupère mon enfant à la sortie du lycée. Il savait que c'était une première pour nous deux et je l'avais assuré qu'à l'avenir, nous emprunterions les transports en commun.

J'attends devant le lycée, invisible au milieu des groupes de parents tous mieux habillés les uns que les autres. On dirait un concours de mode, où chacun cherche à se montrer et à remporter le premier prix. Je me concentre sur les bâtiments que je distingue à travers l'imposant portail. C'est immense ! J'espère que mon fils a pu s'y retrouver, et qu'il a déjà réussi à faire quelques connaissances. Mon cœur se fend à l'idée qu'il soit resté dans son coin, appuyé contre un mur à observer les autres élèves tout en faisant mine de rêvasser, les écouteurs sur les oreilles. 

Ah, les premiers jeunes commencent à sortir. Certains se saluent d'une tape dans la main pour rejoindre leurs parents ou s'éloigner lentement d'un air harassé. Sur la pointe des pieds, je guette la tête brune de mon fils. J'ai hâte qu'il sorte et me raconte sa journée.  Ça y est, je l'aperçois ! Je suis heureuse quand je vois son sourire sur ses lèvres. Sourire qui ne m'est pas destiné car il tourne la tête vers un garçon à sa gauche, et lui adresse quelques mots. Je suis vraiment contente pour lui. Enfin, il remarque ma présence et me fait un petit signe de la main. Je m'approche rapidement, la plupart des pères et mères s'en étant maintenant allés.

- Maman, je te présente Hugo. On est dans la même classe. 

- Bonjour Madame.

- Bonjour Hugo.

- Bon, bah, à demain. Salut.

Bref, mais voilà, ce sont des ados. Je sais que mon fils a cherché à me rassurer en me permettant de rencontrer sa première connaissance. Curieuse, je le cherche d'ailleurs du regard pour voir dans quelle direction il part. Ce serait génial s'il pouvait habiter dans notre secteur, ainsi, ils pourraient se voir plus facilement en dehors des cours. Je le repère un peu plus loin, et manque un arrêt cardiaque. Hugo vient de déposer un rapide bisous sur la joue d'un gendarme. Qui n'est autre que... Abasourdie par une telle ironie du sort, je regarde l'homme une nouvelle fois. Mais il rejoint déjà sa voiture et me tourne le dos.

Ne voulant surtout pas qu'il me reconnaisse lui aussi, s'il s'agit bien de la personne à laquelle je pense, je baisse la tête et me hâte vers mon Scénic.