( SEEMPA ) / S'AIME PAS
Le bon vieux temps a certes la peau dure, mais nous ne nous aimons pas ou plus. Nous nous sommes fait des promesses en sachant pertinemment qu'elles ne pouvaient pas durer. Les événements du passé nous rattrapent et mettent en lumière que de la haine à l'amour, il n'y a qu'un pas. Ce qui peut paraître triste aux autres vus de l'extérieur, mais pas en ce qui me concerne parce qu'entre nous, c'est l'hécatombe.
Arnaud à claqué la porte depuis longtemps déjà, mais l'écho de son discours provoque invariablement chez moi un trouble incompréhensible. Malheureuse et amère, je continue de m'accrocher à Léo comme s'il était ma seule bouée de sauvetage. J'ai imaginé de multiples scénarios catastrophes en revenant ici, mais jamais qu'aucun d'entre eux ne m'a préparés à la réapparition de mon ex-fiancé.
Véritable ascenseur émotionnel faisant remonter à la surface des sentiments que j'aurais bien voulu éviter. Bien que je trouve encore des morceaux de lui dans le fond de mon esprit, nous ne représentons plus rien l'un pour l'autre. Nous revoir ainsi, c'est comme participer à un voyage forcé pour lequel je ne suis pas préparé.
Assister en quelque sorte à un rappel bucolique de tout ce qu'il y a eu entre nous. Six années passées pour en être encore au même point. C'est affligeant ! Je tente d'avancer avec les outils que j'ai, mais tout me ramène à cet homme. Une situation d'autant plus surréaliste et pathétique, que j'ai du mal à intégrer que cela ne vient pas de mon imaginaire tordu.
Heureuse de la présence de Léo, je me blottis davantage contre lui reconnaissante du peu de réconfort que cela m'apporte. Jusqu'à comprendre qu'il me faut considérer la réalité en face. De fait, je m'écarte de Léo, car j'ai conscience que ce n'est pas en restant au sol à me lamenter que j'en saurais plus sur la situation. Même si je bénéficie de son appui indéfectible, je ne peux pas continuer de le prendre comme béquille.
Si je m'effondre maintenant, qu'en sera-t-il quand je reverrais Diana, Viviana et le reste de cette famille ? J'essaye de reprendre mes esprits, effort quelque peu vain cependant quand mon regard arpente la pièce. Car bien sûr, mes yeux tombent sans cesse sur les portraits au mur et sur le paquet arcane qu'Arnaud m'a balancé à la figure. Face à cela, mes émotions sont comme des ectoplasmes empruntés d'autres entités.
Curieuse, cependant, je m'approche de la boîte mystère avec une extrême lenteur. Je l'examine avec délicatesse comme si c'était un engin prêt à exploser. Je veux voir ce qui s'y trouve sans pour autant en savoir trop. C'est une drôle de sensation, comme si je savais au fond de moi que ce qu'elle contient peut me faire du mal. Encore plus, s'il s'agit d'effigies de notre histoire.
Donc qu'elle n'est pas ma surprise de trouver sous le couvercle une grande enveloppe avec l'inscription manuscrite " Pour ma petite fille chérie". Étonnés, mon cousin et moi-même nous nous observons avec le même regard abasourdi. Puis nous finissons par lâcher exactement la même remarque.
- Je croyais que sa petite fille chérie, c'était Viviana !
Léo se reprend plus vite que moi et demande sceptique.
- Putain Lys as-tu la moindre idée de ce qui se passe ? Toi, sa petite fille chérie ?
Aussi sceptique que lui, je soulève les épaules avec une désinvolture feinte.
- Crois-moi Lo, je n'en sais pas plus que toi et je n'y comprends absolument rien. Il désigne l'enveloppe et me dit.
- Je suppose que l'unique moyen d'avoir une réponse, c'est de lire ce qu'il y a là-dedans.
Sans un mot, je tire le couvercle de la boîte blanche et me heurte à des centaines de lettres vieillies enrubannées. Elles sont soigneusement triées par piles, enveloppées de rubans roses poudrés. Impatiente, je saisis une première pile et me rends compte qu'il s'agit d'une correspondance âgée de plus de cinquante ans. Tout cela n'a vraiment aucun sens pour moi, alors je me décide d'ouvrir le mot que grand-père a laissé à mon intention.
Mercredi 4 avril 2018
Ma petite fille chérie,
Si tu finis par accuser réception de cette lettre, c'est que, je ne suis plus là pour te parler moi-même. Et si c'est le cas, j'imagine très bien ta réaction, parce que tu n'as eu de cesse de penser que je ne t'appréciais pas autant que ta sœur Viviana. Je peux même entendre ta question.
Pourquoi papi Lou m'écrit-il, alors que je ne suis certainement pas celle qu'il préférait ?
Je voudrais pouvoir être là pour te dire à quel point, tu te trompes. Mais en six ans, tu n'as répondu à aucune de mes sollicitations. Ce que je peux parfaitement comprendre vu les circonstances de ton départ. Mais au fond de moi, j'espère que les démarches relatives à mon décès seront pour toi des raisons suffisantes de revenir à Aix.
Mon Aélys, mon lys de juin. Si tu te poses ce genre de question malheureuse comme je le présuppose, c'est que je suis un bien meilleur acteur que je ne le pensais. J'ai toujours voulu te témoigner l'affection particulière que j'avais pour toi. Mais bien sûr, c'était sans compter les objections et les craintes de ta mère Diana.
Il faut dire que garder notre secret a toujours primordial pour elle. Au début, elle m'en voulait trop pour comprendre qu'il aurait mieux valu pour chacun d'entre nous que tu connaisses la vérité. Mais à sa décharge elle a pensé que cette histoire détruirait à coup sur notre famille. Or, quand je constate le résultat de ce que sa rancœur a provoquée ; je me dis qu'il aurait été préférable pour nous tous que tu saches l'origine de son véritable ressentiment.
Pour être honnête, j'ai tenté d'écrire cette lettre une bonne centaine de fois. Et à chaque fois, je me suis bien rendu compte qu'il n'y avait pas de bonne formule pour t'expliquer ou t'avouer ce que nous t'avons cachés pendant toutes ses années. Je souhaiterais pouvoir te demander pardon, mais peu importe l'excuse que je veux avancer ; elle me paraît médiocre à côté de ce qui s'est passé. Médiocre, parce que je n'ai pas su exercer mon rôle de père et de grand-père convenablement. Si je l'avais fait, mes enfants auraient compris que l'amour est un sentiment qui ne se commande pas.
Ma Chère Aélys, je ne sais pas comment te le dire autrement, mais si Diana ta mère est commodément celle qui t'a élevé elle n'est pas ta mère biologique...
En lisant ces mots, mon cœur se brise en million de petits morceaux. Alors certaines choses du passé encore incompréhensible m'apparaissent maintenant clairs comme de l'eau de roche. Des larmes brûlantes inondent mes paupières.
Je sais que tu nous hais tous et ce que je viens de t'avouer ne va assurément pas arranger les choses. Mais je t'en supplie ma chérie, ne laisse pas à tes enfants l'héritage d'un amour perdu. Ton histoire se trouve dans les cent cinquante-deux lettres que je t'offre. Surtout, mon ange, ne fait pas comme moi. J'ai perdu l'amour de Cassandre, la mère de ta mère parce que je n'ai pas su discerner la vérité. Arnaud t'aime Aélys, il suffit que tu t'en souviennes.
Ton grand-père qui t'aime
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