Un départ chaotique

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Sur le quai de la gare, c’est la débandade. Florence traîne tant bien que mal sa valise et Thom, son cadet, qui fait de son mieux pour avancer vite. Elle l'observe du coin de l'œil. Dans l'effort, son boitement s'est intensifié. Florence réprime la douleur de le voir ainsi claudiquer pour ne garder que la fierté de le voir serrer les dents et suivre le mouvement.

Silas, lui, tire plus la tronche que sa valise. Le signal sonore annonçant le départ imminent du train retentit. Florence pousse une exclamation de panique et balance bagages et gamin dans le wagon.

— Dépêchez-vous ! Si on loupe ce train et nos vacances, vous serez punis tout l’été !

Florence soupire de soulagement quand les portes se referment. Ils sont du bon côté. Maintenant, il faut caser les valises et trouver des sièges libres. La petite troupe circule difficilement dans les couloirs encombrés du TER. Après avoir enjambé bagages abandonnés et enfants affalés, ils tombent sur trois fauteuils pas trop éloignés. Silas se précipite sur celui de derrière, tandis que Florence installe Thom près d’elle. Une fois assise, elle lui caresse les cheveux et lui murmure des paroles réconfortantes.

— Qu’est-ce qu’il a, encore ? maugrée Silas.

— Il a eu un coup de stress, et avec tout ce monde, il angoisse.

— Quelle chochotte !

— Je t’ai déjà dit de ne pas utiliser la féminisation comme complément d’insulte. Et de ne pas insulter ton frère, d’ailleurs.

— Ouais, mais il est chiant, il a peur de tout.

Florence se tourne vivement vers Silas, mi-excédée mi-affligée.

— Et tu ne trouves pas ça normal, après ce qu’il a vécu ?

Silas se tait et baisse la tête. Florence devine qu’il préfère regarder le paysage défiler plutôt que reconnaître qu’il a exagéré. Elle n’insiste pas. Il y a à peine cinquante minutes de trajet avant la prochaine correspondance, autant essayer de se détendre. Elle profite du fait que Thom se soit endormi pour parcourir une énième fois la brochure du village vacances. Elle rêvasse devant les photos sans doute retouchées de la piscine et du club loisirs enfants, où des gamins bien trop heureux semblent vouloir donner aux parents éreintés la quiétude d’esprit qu’il leur manque le reste de l’année.

— Pourquoi t’as choisi un village pour familles monoparentales ?

Silas appuie ces deux derniers mots pour renforcer son insinuation, qu’il croit tout de même bon d’expliciter.

— Pourquoi ils appellent pas ça directement « Village pour parents en rut » ?

— C’est reparti pour un tour.

— Si tu veux la paix pour pouvoir pécho et remplacer papa, tu pouvais plutôt nous envoyer en colo.

— Ne mêle pas papa à ça.

— S’il était là, ça se pass…

Florence se tourne, prête à en découdre :

— Justement ! Il est pas là !

Encore une fois, Florence fait mouche et cloue le bec de Silas. Il détourne le regard pour tenter de cacher à sa mère les larmes qui font briller ses yeux. Florence feint de les ignorer et se retourne pour lui dissimuler les siennes.

Après une quarantaine de minutes, l’annonce de la gare de correspondance réveille les voyageurs. Et les rancœurs.

— Et c’est reparti pour se traîner les valoches et le gamin.

— Silas, tu voudrais pas y mettre un peu de bonne volonté, s’il te plaît ?

— Pour que ton séjour à l’île de la tentation se passe bien ? Mais bien sûr, maman.

— Continue à bougonner dans ton coin, Thom et moi, on va en vacances. Pas vrai, microbe ?

Thom offre un sourire tendre et malicieux à sa mère et tire la langue à son grand frère. Florence hausse les épaules, s’empare de la main de Thom, puis se dirige vers la sortie du wagon.

— Tu sais, Nantes, c’est bien, mais moins que notre destination. Alors soit tu restes ici à bougonner pendant qu'on va à Saint-Jean-de-Monts, soit tu arrêtes cinq minutes de ronchonner et tu viens avec nous.

Silas se lève et emboîte le pas à sa mère. Il se renfrogne davantage en attrapant sa valise avant de la rejoindre sur le quai.

Florence ébouriffe la chevelure épaisse de Silas.

— On a trente minutes avant notre correspondance. On se prend un petit déjeuner ?

Thom acquiesce avec enthousiasme. Silas accepte d’à peu près bonne grâce et se déride légèrement à l’idée de remplir son estomac.

— Ouais ! Je meurs de faim !

Après un petit-déj’ copieux, Florence et ses fils s’installent dans le train, direction Challans. Le paysage et les heures défilent. Thom tue le temps devant des dessins animés. Silas a opté pour un jeu vidéo chill. Florence, quant à elle, essaie de se concentrer sur le roman qu’elle a acheté il y a plus d’un an. Elle finit par se laisser absorber, ne relevant le nez des pages de son bouquin que pour s’assurer, en bonne mère poule, que ses petits vont bien ou pour regarder brièvement par la fenêtre.

Jusqu’au moment où le paysage la happe, l’arrachant à son livre somme toute assez peu passionnant. La végétation a changé. Le soleil brille dans un ciel magnifiquement bleu. Florence sourit. Le dépaysement la ravit, la journée prend enfin des airs de vacances.

Après un complément de trajet en car, il est plus de treize heures quand Florence, Silas et Thom arrivent au village vacances de Saint-Jean-de-Monts.

Elle est heureuse de trouver un chariot pour transporter ses bagages.

— Comme promis sur la brochure, c'est tout piéton !

Thom partage visiblement son enthousiasme et l'exprime à grands cris :

— Wouah ! Maman ! T'as vu comme c'est grand ?

Même Silas abandonne sa mauvaise tête et fait enfin montre d'un brin de bonne humeur.

— C'est vrai, c'est plutôt pas mal.

— On entend le bruit de la mer !

— Ouais, y a un accès direct à la plage juste là.

— Et y a même une forêt.

— On appelle ça une pinède, mon poussin.

Florence prend une profonde inspiration et laisse l'odeur résineuse des pins l'envahir. Ces pinèdes, c'est sa madeleine de Proust à elle. Alors que les souvenirs d'enfance affluent, elle aperçoit une mère et sa fille entrer dans le restaurant du village. Heureuse d’avoir repéré où se sustenter, elle se réjouit surtout que tout le monde soit en train de déjeuner. Une aubaine, elle n’aura pas à faire la queue pour se faire enregistrer à l’accueil.

Elle ramène Silas, visiblement perdu dans la contemplation de la jeune fille, à la réalité et traîne sa petite troupe dans le bureau de la réception. 

Après un bref salut, le réceptionniste saisit distraitement les informations que lui fournit Florence, à qui il prête une attention très relative. Décontractée, elle s’amuse de le voir si absorbé par sa conversation avec son collègue et se prend à tendre l’oreille.

— Tu te rends compte ? Heureusement qu’on fait régulièrement des sauvegardes de la base de données, sinon, v’là le boulot.

— Mais le disque dur, il est cramé cramé ?

— Oui ! Complètement foutu. On nous a ressorti un vieux coucou d’avant la guerre. J’te dis pas l’engin.

— Ouais, mais t’as vu l’orage qu’on a eu, aussi ?

La clochette de la porte de l’accueil tinte l’arrivée d’un vacancier en détresse. Florence se racle la gorge pour interrompre en douceur le réceptionniste.

— Vous devriez investir dans un onduleur et un parafoudre pour protéger l’ordinateur en cas de coupure. Ça représente un coût à l’achat, mais cela permet d’éviter de perdre son PC et tout ce qu’il contient.

— Oh ! Madame a l’air de s’y connaître, on dirait ! Madame est électricienne, peut-être ?

Florence se tourne pour faire face à l’inconnu qui ironise dans son dos. Grand, musclé avec une petite bedaine, le cheveu court et châtain… Ce rustre serait presque séduisant, s'il n'était pas un beauf estival.

Dans un ricanement, Silas persifle.

— Eh ben ! On n’a même pas encore posé nos valises que tu te fais déjà aborder ! On peut dire que tes vacances de la drague commencent bien. Tu vas pouvoir t’envoyer en l’air plus tôt que prévu !

Florence attrape les clés que lui tend le réceptionniste, la main de Thom et l’oreille de Silas.

— Prends les bagages, au lieu de jouer les monsieur-je-sais-tout.

Alors qu’elle franchit le seuil de la cabane de l’accueil, elle ponctue, en regardant le vacancier goguenard.

— Voilà qui prouve, encore une fois, que le nombre de neurones est inversement proportionnel au taux de testostérone. 

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