Chapitre 3.1
Encore perturbée par ma rencontre avec le jeune aspirant, je suivis sans mot dire Laurence. Elle m'accompagna dans une petite pièce où deux sièges étaient disposés. Un des murs était un miroir sans tain, derrière lequel on distinguait une salle blanche, et une personne était déjà présente, une Dame d'un certain âge. Elle se tenait debout et s'inclina à notre entrée. Perplexe, je me demandai pourquoi cette marque de déférence avant de remarquer qu'elle ne portait pas le brassard blanc à son bras droit, signe des Dames, mais un gris à son gauche. Ce n'était pas une Dame. Pas vraiment. Une Vigile. Une ancienne Pondeuse ayant passé l'âge mais dont les qualités sont suffisantes pour encadrer les actuelles. Parfois, elles ont même le droit d'avoir leur propre mémoire et de créer une nouvelle lignée de Dames. C'est rare, mais ça arrive.
Je répondis par un léger coup de menton et m'assis sur l'un des fauteuils à sa demande. Laurence occupa le second. La Vigile appuya sur un bouton, des couples entrèrent dans la seconde pièce. Ils se placèrent en ligne face au miroir. Je commençais seulement à comprendre ce que j'allais devoir faire.
- Choisis.
La voix de Laurence claqua dans le silence. Je me mordis la joue.
- Je peux leur parler ?
- Non.
Choisir uniquement sur l'apparence. Je n'aimais pas trop ça, savoir que ma mémoire allait grandir avec des belles personnes étaient une bonne chose, mais j'aurais aimé m'assurer que le couple serait gentil, ou du moins, aurait les qualités requises pour éduquer une future Dame digne de notre lignée.
Je parcourus du regard les divers Sires et Mères. Il y avait une femme que je trouvais tout particulièrement sympathique. Je la connaissais. Quand j'avais dix ans, elle faisait partie de mon groupe d'entraînement car toutes ses sœurs étaient devenues des Demoiselles -et elle non. Je me souvenais d'une jeune fille agréable et polie, pas très douée au combat, puisque je la battais systématique malgré mon jeune âge, mais habile de paroles. Elle était plutôt grande, avec de beaux cheveux bruns. Je repérai un homme qui me parut convenir. Il était assez banal, de taille moyenne, la trentaine avancée, avec un début de calvitie même si des rides autour de sa bouche et de ses yeux trahissaient un air joyeux et souriant. Me sentant un peu dégoûtée de mon geste, je fis pourtant mon choix.
- Elle est jeune, c'est son premier poste en tant que Mère. En revanche, le Sire est plus expérimenté, ce sera sa troisième garde. Vous êtes sûre de vous ?
Je me sentais mal à l'aise, j'avais l'impression de commander une pizza à la cuisinière de la Maison. Je hochai pourtant la tête.
- Mère Sarah, Sire Lucas, vous pouvez rester, déclara la Vigile dans son micro.
Seul resta le couple que j'avais désigné.
Tanysha pousse Axel dans son dos.
- Vas-y, je suis sûre que tu meurs d'envie de le rejoindre.
Elle prend l'autre main de Maddy.
- Je pense pouvoir veiller sur ta gamine pendant ce temps, continue-t-elle avec un ton moqueur.
Axel se mord la lèvre. Maddy l'observe, surprise. Elle n'a jamais vu son Axel ainsi avant ce jour. Puis, finalement, la blonde se décide et lâche sa main. Elle s'élance vers le jeune homme et se jette dans ses bras ouverts. Il la serre contre lui comme si sa vie en dépendait, si fort que Maddy se demande si Axel n'a pas mal. Pourtant, plus Tanysha et elle s'approchent, plus elle voit à quel point la jeune femme semble heureuse. Bien plus que ce qu'elle a pu l'être ces derniers mois.
Enfin, alors que Tanysha et Maddy arrivent à deux mètres du couple, l'homme recule un peu. Il dévore du regard le visage d'Axel où un grand sourire est largement visible.
- C'est qui lui ?
La petite voix curieuse de Maddy les sort de leur contemplation. Axel sursaute et cligne des yeux tandis que se dessine sur le visage de l'homme un petit rictus gêné. La jeune femme se retourne, joues rouges, et s'accroupit face à la fillette, toujours suspendue à la main de Tanysha.
- Lui, il s'appelle Antoine. C'est mon ami.
- Donc c'est un gentil ?
Axel lâche un rire légèrement nerveux.
- Oui, c'est un gentil.
Maddy se détache de Tanysha pour avancer vers Antoine, menotte tendue.
- Je suis Maddison, dit-elle d'une voix claire.
Tanysha et Axel retiennent un rire devant l'air grave de l'enfant mais Antoine reste de marbre et, avec un sérieux égal, il se penche et serre la main de Maddy.
- Je suis enchanté d'enfin te rencontrer, Maddison.
Neuf mois plus tard, je fus appelée en plein milieu d'un entraînement. Depuis mon passage à Damoiselle, je gérais mes combats comme je le voulais, je participais aux missions de mon choix, pouvant en refuser ou me proposer. Je continuais à fréquenter assidûment mes sœurs, même si peu à peu j'avais rencontré des Dames plus ou moins âgées avec qui m'entraîner ou même seulement échanger.
C'est une jeune novice qui arriva, peut-être un peu plus de la dizaine. Elle semblait un peu craintive de m'arrêter mais, faisant honneur à ses maîtresses, elle trouva le courage de parler :
- Damoiselle Axeline, Dame Laurence vous demande.
Je stoppai mon mouvement avant de me tourner vers l'enfant. Elle sursauta en voyant la pointe de mon couteau si proche de son visage.
- Où puis-je la trouver ?
- Dans le Logis.
Je glissai ma lame dans son fourreau, à ma ceinture, la remerciai et partis. Je m'attendais à être appelée à tout moment et espérais que ce n'était pas juste une fausse alerte. Sous l'excitation, j'eus envie de courir pour arriver plus rapidement mais ma dignité m'en empêcha. Une Damoiselle qui court, non mais franchement ! D'un pas posé, j'avançai dans les couloirs, sortis dans la cour et atteignis finalement le bâtiment attenant à la Maison. La Vigile à l'entrée me fit signe de la tête, prévint dans son talkie-walkie que j'étais présente puis m'accompagna dans les étages. J'étais pressée d'arriver. Parvenues devant une porte banale où un simple "23B" était accroché, la femme s'inclina et me laissa. J'inspirai un grand coup puis poussai le battant. La pièce de couleur pâle, ornée d'une unique fenêtre, avait pour seul meuble un petit berceau au centre. Soudainement un peu timide, je m'approchai silencieusement pour regarder à l'intérieur.
Un petit bébé tout rouge secouait des poings. Ses yeux encore gonflés par la naissance étaient clos. Je tendis la main et caressai du bout d'un doigt sa joue ronde et soyeuse. La nouvelle-née ouvrit les paupières au contact. Enhardie, je la pris dans mes bras. Elle était plus lourde que je ne le pensais. Je la calai contre ma poitrine et observai son visage. Laurence m'avait dit que c'était à moi de la nommer. J'avais eu le temps d'y réfléchir au fil des mois. Je soufflai doucement :
- Bienvenue, petite Maddison.
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