Slip, Plan-Cul et Confinement
Ce soir, c’est catch. Génial. Tous les mois c’est pareil. Monsieur doit regarder son PPV comme il l’appelle. C’est « important ».
Vous savez pourquoi c’est important ? Parce qu’il a une émission sur Youtube où il cause lutte avec deux types dont Nino, son meilleur ami. Vous comprenez, il doit suivre l’actualité, décortiquer les matchs. Causer pour causer en bref. Puis attention hein, c’est important pour ses abonnés !
Deux.
Je vous jure, c’n’est pas une connerie, ils se comptent sur les doigts d’un bûcheron. Deux dont deux chroniqueurs de ladite émission. Ça vaut bien qu’il me plombe mon lundi soir avec ses cris d’hystérie et ses coups sur le canapé. Je vous jure, je ne sais pas ce qu’il lui prend mais toutes les quinze minutes j’dirais, il pète un câble et frappe les coussins du sofa aussi violemment que possible en « encourageant » l’imbécile en slip sur le ring.
Je crois que je n’arriverais jamais à comprendre ce qui l’excite autant dans cette discipline. S’il pouvait être aussi énergique au pieu, bah les copains, je ne perdrais pas mon temps à vous raconter les onomatopées d’un chômeur devant sa télé de deux mètres.
Ah, le voilà qui s’énerve maintenant.
— Quoi ? Mais c’est une blague ? Aleister Black en jobber ? Encore ? Mais qu’est ce qu’il te faut de plus, salope de Vince ?
Oh, mais ferme là. C’est bien un truc de bonhomme de péter des câbles pour si peu. Et il faut absolument qu’il place une insulte totalement hors contexte. Rajoutez un « pute » ou un « salope » au moindre excès de colère et vous obtiendrez une légitimité toute trouvée. On ne change pas un sexe qui marche.
Au moins, Pasdenom est plus calme. Elle est adorable. Il ?
On n’a jamais connu son sexe. Ce n’est pas sur une aire d’autoroute qu’on obtient ces réponses. On l’a depuis trois mois et j’avoue que l’on ne l’a jamais emmené chez le véto. Trop cher et le gros tas qui me sert de mec n’aime pas l’ambiance présente dans ces endroits.
« C’est comme dans les hostos, ça pue la mort. »
Du coup, pour rigoler on balance que c’est un chien non-binaire. Une chienne du coup ? Un/une chien/enne ? Oh puis merde, un clébard quoi.
L’aboyeur unisexe, le con qui aime les types en calbars et la future notaire que je suis, sommes confinés. Depuis une semaine maintenant.
C’est difficile. Et ce pour plusieurs raisons.
Monsieur pense toujours avoir le Covid-19 alors qu’il n’a pas le moindre signe de la maladie. Il a toussé un petit peu deux jours, ses allergies lui font toujours couler la morve de son nez et il a autant de courbatures que ma mère a de poitrine. Sans parler de sa « fièvre ». Un jour, je l’ai surpris en train de mettre sa tête dans le micro-onde. Il ne l’avouera jamais, mais c’était sans doute pour faire grimper la température. Faut vraiment être con pour croire que ça fonctionne, un truc pareil. Du coup maintenant il a mal au cou cet abruti. Sans blague. Tout ça pour que je le plaigne et m’occupe de lui. Comme si je m’en branlais le reste de l’année. C’n’est pas lui qui nettoie ses mouchoirs au foutre qui pullulent dans la salle de bain !
Enfin, que voulez-vous. Faut qu’on reste ensemble. On n’a pas le choix. Et pourtant, putain, sans ce Corona de mes ovaires, je me serais tirée.
Cela fait très longtemps que j’y pense.
J’ai rencontrée Romain lors d’une sortie ciné avec une amie il y a quelques mois. Un beau gars, musclé, grand et à la conversation intéressante. On a accroché après deux verres de bières le soir même où on s’est connu. Ma pote voulait se le taper et puisqu’elle me savait en couple, je n’étais pas un danger potentiel. Elle a dû oublier avec qui je sortais.
On s’est revu le surlendemain et il était aussi agréable de dormir dans son lit que de le sentir en moi. Après nos parties de jambes en l’air on se racontait des anecdotes marrantes autour d’une petite clope sur le balcon de son appart’. Il me parlait de ses parents ; des vieux cons qui n’avaient d’yeux qu’aux potentielles études supérieures de leur fils.
C’est après plusieurs semaines de voyage entre mon domicile et le sien que la décision de partir définitivement chez lui commença à me titiller l’arrière-train.
Non, ce n’est pas triste.
Auparavant, Steven n’était pas la grosse tâche d’aujourd’hui. Au début, il était mince et terriblement drôle. Il me pondait des imitations incroyables, bien mieux que ces amateurs de France Télévision. Oh ça oui, ce que j’ai pu rire avec les conneries qu’il me balançait.
Je me souviens aussi de notre première fois à tous les deux. Putain, que c’était bon. Intensément intense. J’en perds mon français encore aujourd’hui. On ne s’arrêtait pas un seul instant. On en rendait les professionnels du cul jaloux. On avait l’impression de s’emboîter à la perfection, comme si nos organes respectifs avaient été conçus pour baiser ensemble.
Il était doux, sensuel, avenant, … Quand il me regardait, j’avais soudainement des envies qui dépassaient les limites des possibilités humaines. Ah ! Ce que j’aimais ses changements de rythmes, la façon dont il s’occupait de mon corps, de comment il le caressait …
Aujourd’hui, je ne veux plus d’amour, je veux du cul. Il est vrai.
En fin de compte, si, c’est triste. Je ne suis plus une gamine.
Mais ciel que j’aimais nos fausses promesses, nos paroles en l’air et notre béguin dévorant. M’enfin. La routine est le pire ennemi de la passion et la passion finit par détruire l’amour. C’est ce qu’on dit en tout cas.
Je le regarde.
Il est encore…beau. Oui.
C’est difficile de le reconnaître avec ces couches de graisses, mais il lui reste bien ce petit air coquin qui m’a fait craquer il y a quelques années.
Il se cure le pif avec l’élégance d’un beauf en pleine crise. Sa crotte de nez vole dans la pièce et s’écrase contre la porte-fenêtre située juste en face de lui. Notre canin non-binaire ne se pose pas de questions et fonce gueule ouverte sur la vitre. Là, il gobe la boule gluante et se lèche les babines en me fixant.
Steven rigole bruyamment.
On dirait un sketch. C’est un cliché ma parole. Manque plus que le « tu m’apportes une bière la boniche » avec un pet foireux en prime et le compte est bon.
S’en est trop ? Trop, je ne sais pas. Là, le trop, ça fait bien longtemps qu’on ne le compte plus trop. Trop est un euphémisme. On dit que trop c’est trop, mais quand le trop n’est plus de trop, alors quand est-ce que cela devient trop ? Je vous le donne en mille.
Ce qui est certain, c’est que dans cet appartement, je suis en trop.
Sans même réfléchir à d’autres jeux de mots stupides, je me hâte dans la chambre conjugale, sors ma valise et j’y entasse tous mes vêtements. Tu voulais du cliché mon gros ? En voilà un autre.
Puis comme je suis loin d’être conne, j’emporte les boîtes de capotes avec moi. Vu son niveau de stupidité, il pourrait s’amuser à enculer le clebs. Autant éviter un désastre. Puis ça nous en fera plus pour Romain et moi.
Rah, ça me fait chier de laisser cette boule de poil seule avec cet énergumène quand même. L’autre fois, cet enfoiré a voulu foutre le chien à la porte. Pour le rassurer, je me suis retrouver à laver le non-binaire jour après jour. Depuis trois couchers de soleil, je ne le fais plus et il a complètement zappé. Je le drogue à la bière, ce qui le rend con mais inoffensif.
Allez viens mon salaud…ma salope…maon machin truc.
Je prends la laisse et lui la passe autour du cou. J’envoie un texto à Romain. Bah ouais mes potos, je suis multitâche.
Steven entend qu’il y a du mouvement derrière lui.
J’ai le temps de prendre mon sac de cours d’une main et mon manteau de l’autre. Je tire ensuite le chien qui ne se fait pas prier.
En deux secondes, on se retrouve sur le palier qui donne sur le couloir du troisième étage. Je l’entends vociférer et commencer à se lever.
Mon con, tu auras à peine le temps de venir à la porte que je serais déjà en bas.
Trente seconde plus tard, nous y voilà.
J’enfile mon manteau puis mon sac. Romain habite à deux kilomètres, au sud de la ville. A pied ça se fait.
Désolé Non-Binaire-Qui-N’a-Pas-De-Nom, j’ai oublié de prendre tes croquettes. Ne t’en fais pas, on en reprendra. Ton « maître » les bouffera tôt ou tard, elles ne sont pas perdues.
Ouais je sais confinement, mais fermez vos gueules.
Je vis avec une sous-race et je ne suis pas une aide sociale.
Moi aussi j’ai le droit d’être une sacrée merde de temps en temps.
Annotations
Versions