Une histoire de dingue

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Aussitôt rentrée, aussitôt repartie.

Je repasse devant la fameuse publicité mais rien y fait ; quel sombre connard, ce Toro. 'Devrait faire un tour à la corrida, ça le calmerait un peu. Avant de se plaindre de la violence des gens, faudrait p't'être déjà arrêter de les provoquer !

Merde !

Me revoilà au point de départ, donc. Je dois avoir un soucis avec les mecs. En particulier ceux qui me désirent. Quant à Loulou, c'est encore autre chose. Les bougres touchants et mignons, ça va bien deux secondes, mais la baise ça a ses défauts. Il croit quoi lui ? Qu'on doit aussi s'inquiéter quand nos mecs vivent avec leur compagnon de couilles ? On s'en sort plus là ! Puis, la fragilité ça va bien deux minutes. Se sentir coupable c'est surfait. Avoir envie de tromper c'est une chose et souvent, une très bonne chose. Disons que ça prouve que tu as encore une libido digne de ce nom. Mais là où ça coince dans ma tête blonde, ce sont ceux qui jugent utiles d'aller prévenir leur moitié ! Si tu le fais, tu assumes et assumer, dans ce cas de figure, ce n'est rien dire et faire comme si de rien était. Jouer la mijorée, là, c'est ... C'est pathétique. Non mais, sérieusement, qu'est ce qu'il croit lui ? Qu'on peut cocu sa gonzesse et la supplier ensuite de reprendre la relation comme si de rien était ?

Rah, je suis énervée. J'dis pas ça souvent mais une bonne bière ça me ferait pas de mal !

Bon. Je n'ai pas d'attestations, je suis au beau milieu du centre-ville avec un sac à dos, mes affaires et un chien. Heureusement qu'il fait beau.

J'en connais du monde dans le coin mais il y en a peu avec qui j'aimerai passer un long mois encore. Voire plus. On ne sait pas ce que l'anti gilet-jaunes a prévu pour la suite des évènements.

Il y a mes parents à la Croix-Rousse mais la Croix-Rousse ... C'est loin. Cela dit, finis la vaisselle, plus besoin de faire la bouffe et ils seraient tellement content d'avoir le clebs. Cependant, il y a aussi tous les inconvénients. "Pourquoi n'es tu plus avec Steven, qu'est ce qui s'est passé ?" ; "Qu'est ce qui te prend de sortir, nous sommes vieux, tu nous mets en danger !". Ah, je les connais. Les questions, les reproches, les doutes, ... Ma mère est toujours en train de courir à gauche à droite. Elle est femme au foyer. Imaginez ; un petit morceau d'un mètre soixante, hyperactif, qui cause tout le temps, de tout et de rien, qui ne lâche jamais ses rejetons et qui veut toujours savoir tout ce qui se passe dans leur tête. Vivre avec elle, enfermée ? Ne vaut-il pas mieux laver soi-même quelques couverts le temps que le virus s'apaise ?

J'ai beau réfléchir mais je n'ai vraiment pas mieux. Mon cousin Hugo ? Accroc au ménage, pointilleux, qui a le sourire aussi coincé qu'une vieille religieuse ... Sans parler de ses longues conversations sur les, je cite, bougnoulles qui violeraient plus qu'ils ne respirent. En famille, il évoque régulièrement le danger de certains quartiers lyonnais. "Trois morts par jour à la Guillotière ! Trois !". Mouais. Non et puis, il tripote Hugo, il tripote.

Adèle, la maquilleuse dépressive avec qui j'avais tissé quelques liens au début de ma relation avec l'autre beauf ? Non. Si c'est pour me lever tous les matins en la voyant se triturer les avant-bras, comment vous dire.

Nino, le chômeur qui vit enfermé depuis déjà deux ans ? Luca, le pétomane ? Benjamin, un étudiant à la fac qui ne me parle que de BDSM ? Oh ... Non. Il a deux gonzesses. C'est trop deux gonzesses.

J'ai vraiment un entourage de merde, bon sang. J'suis tombé bien bas depuis l'autre glandu ...

Allez. Inutile de provoquer des connaissances. Le premier choix est toujours le mieux.

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C'est au détour d'une rue que j'entraperçois la façade de mon appartement. Je jette un coup d'oeil rapide au parking de la résidence. Je vois quelques enfants jouer au ballon et un homme qui sort des courses de sa voiture. Cette dernière est bien amochée d'ailleurs. Le phare de devant a du subir la colère de Steven face à la possible irresponsabilité de l'inconnu ... ? Bizarrement, ça ne m'étonnerait guère.

Alors que je continue mon chemin, marchant entre quelques vieilles flaques d'eau et des masques jetables balancés ci et là, j'entends la sirène des pompiers et un véhicule rouge surgit de derrière moi, lancé à une allure folle. Il est suivi de près par une ambulance, à l'image d'un mâle qui ne lâche pas la grappe à une bonnasse sur Tinder.

Je les vois tourner au premier croisement et après le bruit d'un freinage brusque et lointain, le silence revient envahir l'espace public.

Je ne suis pas du genre à faire la miss indiscrète. Je dois foncer, les flics ne pourraient pas être bien loin.

Deux secondes plus tard j'y pensai déjà plus.

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Qu'il y-a-t-il de pire comme montée que celle de la Croix-Rousse ? Et quelle idée de foutre ça en pleine ville. On arrive à puiser du pétrole mais personne n'a pensé à applatir les collines ? Puis encore s'il y avait de la distraction aux alentours ; des abrutis qui se klaxonnent la gueule, des vélos qui grillent des priorités ou une attaque au couteau ...

Mes parents. Je vais aller chez mes parents. A vingt-quatre piges. Au moins, ils verront que je bosse. Bac Pro Notariat c'est pas drôle, même confiné. C'est pour ça qu'une chouette amie / partenaire occasionelle (si cette hypothétique amie peut aussi jouer le rôle de la serveuse en soubrette le soir venu, je ne dis pas non) aurait été plus sympathique. Là, je vais me faire chier. Et, ces études, franchement ... Je me débrouille hein, attention. Je me débrouille très bien ! Mais c'est vraiment dans ce corps de métier que je me vois plus tard ? Ce ne serait pas mieux de dessiner, d'écrire comme je le faisais au collège ? Cumuler passion et travail au lieu de subir les divorces de mes contemporains, franchement, c'est plus alléchant non ?

Tiens, mon téléphone sonne. Si c'est encore Canal qui désire réitérer l'abonnement de mon ex, je vais t'les baldinguer moi, ça va être concret.

Aurélie ? Meeerde. Aurélie !

- Ouaip ?

- Faut trop que j'te raconte un truc !

En une phrase la nana m'a fait rappeler ce pourquoi je n'ai pas pensé à elle pour l'hébergement. Pas la moindre salutation, demander comment ça va semble être hasbeen et le ton de sa voix me rappelle que j'étais vraiment déséspéré lors de mon cours passage à la fac pour traîner avec une pipelette pareille. Je ne dis pas qu'elle m'insupporte, seulement j'avais oublié à quel point elle adore m'appeler dès qu'il se passe quelque chose d'un tout petit peu intéressant dans sa vie plate et inutile. Je vous parie cent billet de la somme que vous voulez que c'est à propos d'un "keuuum". A moins que ce soit pour les pompiers que j'ai vu tout à l'heure. Vous savez, avec ce genre de personne ...

- C'est une histoire de dingue, la vie d'ma mère ! T'as le temps là ?

Au moins, elle a la gentillesse de demander.

Je lui explique grosso merdo ce que je traficote et lorsque la question évidente de savoir ce qu'il s'est passé avec mon copain vient sur la table, mon cas l'intéresse beaucoup plus. Si prévisible. Ah, c'est de l'art de parler de soi avec Aurélie.

- Noooon, mais meuf ça f'sait cher longtemps que vous étiez posés ! J'suis choquée ! Et ton autre pelo, ça sauvage encore ?

Entendez par là : "est ce que tu lui roules encore des patins sur le gland ?".

- Non, j'étais chez lui mais j'suis partie.

Elle est tellement étonnée qu'elle me crie dans les oreilles. 'tain mais on dirait ma mère mais que sur la forme. Elle fera une excellente ménagère dans quelques années.

- Mais what ? C'est oam où il s'passe des trucs de oufs en c'moment ! Attends mais faut trop qu'tu viennes là.

Je redoutais ce passage. Non pas que j'ai peur de lui dire la vérité, mais parfois la vérité a un sacré coup de cravache.

- Je préfère pas désolée. J'serais mieux chez mes parents.

- Fais pas la pute wesh. En plus, j'ai trop un truc qui va cher te plaire.

Tu vas déménager et me laisser ta baraque ? Alors là, oui j'débarque.

- J'en doute.

J'entends que le téléphone change de main ainsi que des rires de gamines extravertis.

- Chouuuuu ?

Oh non. Voix nasillarde, mastication de chewing-gum, tendance à allonger la dernière syllabe ? Je sens d'ici le mélange de parfum basse gamme Je vois de là ses longs ongles en plastiques roses qui s'emmèlent dans ses cheveux pro-Babyliss. J'imagine le string qui dépasse du mini-short à la Michael Youn dans Fatal Bazooka et l'auto bronzant ! Je me rappelle du profil de l'Instragrameuse en puissance avec ces poses chelous, non (!), étranges où elle s'affiche à moitié à poil en faisant des positions incompréhensibles avec ses mains ! Aaah, Ciel, elle me revient ; Amélie. Les deux ne faisaient pas la paire à la fac, non, elles ne faisaient qu'une tant elles vivaient l'une sur l'autre en permanence. Le duo gnangnan et pupute par excellence. Même aujourd'hui il est compliqué de faire plus cliché que ça ! Elles en étaient arrivées à un tel niveau de cuculisme que biens des mecs en chien préféraient faire leur besoin ailleurs. Pour autant, Aurélie seule et avec de bons arguments, je me serai peut-être déplacée mais alors là, plutôt avouer sous la torture que je baiserai bien un des Frères Bogdanov ! Pourquoi me la passe-t-elle ? Je n'ai jamais appréciée cette baiseuse de rouge à lèvres. Qui peut avoir de l'intérêt pour un pot de peinture sur pattes qui pense que la Corée du Nord fait partie de l'Union Européenne ? Putain mais merde quoi, si je traînais avec toi Aurélie, c'était parce qu'au moins tu avais de la vie, une certaine personnalité et ton oreille restait toujours attentive ce qui comptait beaucoup pour moi mais nom de dieu, qu'est ce que tu pouvais t'obstiner à traîner avec cette pimbêche jugeant tout et n'importe qui sur son passage alors qu'elle était la pire créature qu'un trou du cul ait daigné lâcher suite à une constipation de trois semaines ! Fais ton confinement avec elle, je m'en doigte le nombril, mais arrête de croire qu'elle et moi serons amies ! C'est la mère de l'erreur humaine !

- Hiiii poupée, tu fais bien de casser l'autre tempe hum-hum ; l'était gros et les o-o-baibaises égal p'tite queuuuuue. Je veux, chérie. Faut qu'j''t'diiiise, tu remember l'intello aux boobs de fraîche qu'est partie en first year, ...

Les deux, en symbiose :

- ... Pas les pneus pétaaaasses !!

Elles s'étouffent de rire. Mes oreilles saignent du pus. Il me reste encore une bonne centaine de mètre avant d'arriver chez mes parents. Dès que j'y suis je leur raccroche au nez. Je les hais. La Amélie est encore pire qu'à l'époque. La faire poireauter au tel et détruire son délire ensuite n'est pas malin mais ce sera tellement jouissif. Oui, la route est longue et fatiguante, le chien traine la patte et je me fais terriblement chier.

Elle reprend :

- J'ai su d'par un cheum qu'son djo 'l'a ken, tiens ta culotte c'est glissant, tous ses reuuuuufs ! J't'dis pas la crise in her heart, la biiiche. J'te r'file l'autre gonzesse des fesses. Kiss your mouth la tchouiiin ! Hum-hum tmtc je loooool ! All--

Je suis devant la porte. J'appuie sur le bouton rouge, taisant à tout jamais ces énergumènes venues d'un autre monde. Mon téléphone n'a presque plus de batterie. Même lui n'en pouvait plus.

Croyant que nous sommes perdus, le chien se met à couiner. Il est assit et me toise avec le regard qu'un humain ne fera jamais. Il m'est si difficile de résister à la soudaine mignonnerie de cette boule de poil que je le prends dans mes bras. Je sais bien qu'il ne fait pas bien chaud et que je pourrais rentrer tout de suite chez mes parents mais je préfère attendre encore un peu, réchauffant mon âme contre cette créature d'amour. Pour appuyer cette réflexion, le chien avance son museau vers mon visage et me lèche le bout du nez. Là, il me fixe.

Je ne sais pas si c'est dû à cet instant de paix, mais je me demande pourquoi l'amour de mes semblables ne pourrait pas être aussi simple que ceux que les animaux éprouve envers nous ? Pourquoi ne pourrions-nous pas se satisfaire d'aimer tout simplement ? Pourquoi se poser toutes ces questions, pourquoi ces envies de baise intempestive ? Pourquoi avoir toujours l'impression que nous sommes mieux que les autres et que les autres ne sont jamais mieux que ce dont nous aspirons ? A quoi j'aspire là ? Qu'ai-je gagné en quittant Steven ? Si je n'avais pas eu ce plan-cul en secours, aurais-je fais comme les autres à ne rien dire, à continuer cette existence déplaisante et à fuir le problème dés lors ou un autre type m'aurait maté le derrière ? Au final, n'était-ce pas moi le problème avec Steven ? Est ce que je l'aimais vraiment cet homme ? Si oui, est ce que je me serai posé la question ? Est ce que je l'aurais trompé, bien que ce soit uniquement pour un problème de cyprine que je n'arrive pas à contrôler ? N'est-il pas mieux, en soi, de regretter parfois au lieu de s'en prendre aux autres ? De se poser d'abord la question de notre propre honnêteté avant de regarder celle d'autrui ? Loulou est peut-être faible, pleurnichard, idiot mais il aimait. Et par amour, il a regretté ; par amour, il a pleuré et parce qu'il aime, les autres gens, tels que moi, rions de lui parce qu'on le trouve stupide, fragile et peut-être aussi car on le jalouse. Il bégayait tellement, il se rendait fou à en trembler. L'autre conne au bout du fil, s'est-elle au moins rendu compte de l'amour qui lui éprouvait au lieu de l'insulter sans l'écouter comme elle semblait faire ? L'erreur est humaine mais le regret est rare. Je n'en ai jamais eu envers Steven comme je n'en ai jamais eu pour quiconque. J'espère qu'elle s'en rendra compte un jour. Aujourd'hui, je suis là, encore plus perdue qu'hier, plus instable. Je suis la même mais en pire. Seule.

Et ce chien me fixe encore pendant dix bonnes minutes. Dix bonnes minutes où je déprime et où je remets tout en question. Tout ça pour le regard du clebs que je promène machinalement depuis ce jour sur l'autoroute, à qui je m'intéresse à peine au point de ne pas lui avoir donné de nom ... Et ce con m'aime.

La porte de chez mes parents s'ouvre brutalement. Ma mère apparaît, à la fois fâchée et contente.

- Mais pourquoi n'as tu pas sonné ? Ça fait un quart d'heure qu'on te voit avec ton père poireauter sur le trottoir ! Tu vas attraper froid ! Regarde, ton chien grelotte !

Je le lui passe. Si ça se trouve cet enculé m'a fait toute une scène uniquement pour que je le réchauffe.

Ma daronne me pose déjà plein de question alors que j'ai à peine posé un pied sur le palier. Je retrouve avec peu d'enthousiasme l'odeur du grand appartement famillial. J'entends déjà la télé de mon père. Pas besoin de voir l'écran pour comprendre qu'il regarde Infosport et ainsi prendre note de tous les matchs qui aura lieu aujourd'hui. Une routine que je n'ai pas spécialement envie de retrouver ...

Tandis que je pose mon sac, mon téléphone se remet à vibrer.

Je regarde le numéro. Inconnu. Je décroche. Si ça se trouve, j'ai encore oublier quelqu'un et ce quelqu'un pourrait me sortir de ce lieu.

C'est la voix chevrotante d'une femme plutôt agée. Putain, qu'est ce que ça va être cette fois ?

- Clarisse tu m'entends ?

Ça pour t'entendre, je t'entends mais j'aimerai bien savoir qui tu es surtout.

- C'est ... Brigitte.

La mère de Steven. Ah non, me dit pas que l'autre merdeux a appelé sa matrone pour qu'elle me fasse la leçon !

Elle fond soudainement en larme puis elle se mouche. Elle respire difficilement.

Elle se reprend à plusieurs fois avant de me demander :

- Comment vas-tu ma grande ?

- Je vais bien mais que se passe-t-il ?

Un silence s'installe entrecoupée par quelques sanglots.

- Eh bien Steven !

Elle fond de nouveau en larmes. Merde, elle va me dire ce qu'il se passe à la fin ?

- Tu n'es pas au courant ?

- On ne se parle plus, je suis partie. Pourquoi ?

Je ne l'entend plus pendant quelques secondes.

Elle pleure de plus belle.

- Il est mort. Durant la nuit. Il est mort, Clarisse ...

Elle raccroche le téléphone.

Ma mère câline le chien, ce dernier remuant la queue comme jamais.

Elle s'approche de moi, ramasse mes affaires et commence déjà sa longue tirade sur quelque chose que j'ignore. Je n'écoute pas.

Mon père arrive et m'accueille. Je ne le regarde pas.

Je me sens toute effacée.

Comme une sacrée merde après avoir tirée la chasse.

Comme une morte.

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