Chapitre 1 - Barricade
– Logan, tu dois dormir maintenant, tu retournes à l'école, demain, crie sa mère, debout derrière la porte.
– Non, pas question. Je n'aime pas l'école. On m'insulte, là-bas. On me traite d'intello et on me frappe.
– J'en ai parlé au directeur. Tu peux y retourner, les surveillants t'aideront.
Logan agrippe sa couette et se cache derrière, comme si un monstre se tenait dans la pénombre.
– Laisse-moi, je te déteste, je ne veux pas y aller !
Un long silence s'installe avant que les talons de sa mère se mettent à frapper le parquet.
Logan allume sa lampe de chevet. Sur les murs, des posters d'Anatoly Karpov et de Bobby Fischer, accompagnés de notes qu'il colle un peu partout avec de la patafix. Sur le sol, des livres datant du 20ème siècle au début du 21ème siècle, intitulés "La défense Grunfeld", ou encore "L'anglaise" et "Les finales" de Jeremy Silman. Sur son bureau, un échiquier en bois luxueux hérité de son défunt grand-père. La tête sur son oreiller, le garçon le scrute de ses yeux émeraude, comme l'on regarde dans le vide en pensant à tout et à rien.
Son grand-père n'aurait jamais dû partir, se répète-t-il en boucle. Il lui a donné l'amour qu'il n'a pas reçu de son père. Il l'admire tant pour sa sincérité, son humour, ses dents blanches à soixante-quatre ans, que pour lui avoir enseigné les échecs.
Une larme longe sa joue pâle jusqu'à tomber sur son oreiller.
C'était en 2056. Logan avait cinq ans. La mère du garçon rendait visite à son père malade, dans sa maisonnette au grand jardin verdoyant, au beau milieu de la vaste campagne américaine. Il pleuvait, ce jour-là. Arold, après avoir regardé un bon film d'action avec son petit-fils, a sorti cet échiquier aux chiffrages et aux bordures dorés. Le garçon se souvient avoir été très attiré par cet objet poussiéreux, à l'époque. Il ignore toujours par quelle magie, mais son cœur s'est emballé en le voyant. Dès qu'il a posé ses yeux sur l'antiquité, l'homme à la barbe blanche le prit sur ses genoux et lui raconta combien il aimait jouer aux échecs, autrefois. Il lui disait que ce jeu lui avait permis de se faire plein d'amis, de rencontrer des gens comme lui, avec une féroce attirance pour la réflexion prolongée. Logan, au début, ne se sentait pas appartenir à la catégorie intellectuelle. Il riait bien aux paroles du vieil homme. D'ailleurs, il ne réfléchissait jamais, à l'école.
Pourtant, depuis deux semaines, le petit brun se rend compte qu'il se comporte exactement comme son grand-père. En réalité, il résout les exercices de mathématiques en quelques secondes, ce qui lui donne l'impression de ne pas réfléchir autant que les autres. Aussi, il désire fuir le monde superficiel de la cour de récréation, le monde de ces enfants de dix ans qui se rejettent les uns les autres parce qu'ils sont plus intelligents, moins beaux ou moins à la mode. Combien de fois lui a-t-on répété qu'il ressemblait à un singe, ou qu'il était aussi mal habillé qu'un SDF ? Et ce surnom qui lui sort par les narines, et qu'on lui rabâche à longueur de journée, "Logic"... Il ne veut plus jamais l'entendre. D'ailleurs, Logan ne veut plus sortir de chez lui. Il ne veut plus qu'on le voie. Il ne veut plus qu'on le juge. L'enfant a décidé de fermer la porte de sa chambre à clef et de ne quitter son repaire que pour satisfaire ses besoins naturels.
Une barricade ne résiste que si toutes les pièces sont en parfaite coordination et contrôlent les cases clefs, à savoir la salle de bains et le frigo, pense Logan en attrapant le livre d'échecs le plus proche de lui.
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