Chapitre 5 : Nouveaux objectifs
Les rayons du soleil n'éclairent déjà plus la pièce. Les positions se corsent. La corde est tirée tantôt à droite, tantôt à gauche ; personne n'ose prétendre connaître le résultat du match. Le premier à terminer sa partie est Mohammed, avec un joli match nul contre un joueur à cinquante points de plus que lui. Tout est donc encore à jouer.
Premier échiquier. Felix domine la position. Son œil aiguisé scrute chaque recoin de l'échiquier, tel un aigle prêt à dévorer sa proie.
Deuxième échiquier, Harry n'est pas en bonne posture. Il a des chances de s'en sortir avec la partie nulle, mais ce sera très difficile.
Troisième échiquier. Logan s'est-il endormi sous sa mèche ? Personne n'en est sûr. Il est immobile depuis vingt minutes. Felix se lève et le secoue un peu.
– Logan, tu veux un café ? lui murmure-t-il à l'oreille.
– Non.
Il déplace agressivement sa Dame et prononce "échec". Felix jette un œil au plateau. Il n'arrive pas à croire ce qu'il voit. Le minime est en train de prendre l'avantage. Son entraînement de l'été a donc payé...
Échiquier quatre. Position très inéquilibrée, pièces en prise aux quatre coins du plateau. L'un des deux joueurs perdra rapidement, mais il est impossible pour un humain de prédire lequel.
Échiquier cinq. Les pièces sont rangées et les deux Rois se font face au centre du jeu. Partie nulle.
Échiquier six. Partie difficile pour le new-yorkais. Le joueur local semble mieux, il a une pièce contre deux pions peu dangereux. S'il les neutralise, c'en est fini de cette partie.
Échiquier sept. La féminine a joué risqué. Que lui est-il passé par la tête ? Si elle ne tire rien de sa supériorité positionnelle, son infériorité matérielle la perdra.
Et enfin, dernier échiquier. Thomas, le surprenant remplaçant, semble tenir face à la meilleure féminine de Detroit. On dirait bien qu'il pourrait faire match nul, à cet instant de la partie.
Les quatorze adversaires se font face, tous aussi fatigués les uns que les autres. Soudain, une voix s'élève dans le silence :
– Échec et mat.
Une poignée de main non sans dégoût. Logan a gagné. Il l'a fait ! La pression monte pour l'équipe locale, qui se voit devancée d'un point. Logan Underwood va enfin devenir Maître International ! Il signe fièrement sa feuille de partie et s'éclipse, sans proposer une analyse à son adversaire.
Le garçon s'empresse d'allumer son téléphone. Un seul message, mais pas de sa mère, pour une fois.
Lucy : Alors ? Tu as fait quoi ?
Logan : Perdu...
Lucy : Mince. T'inquiète, tu réussiras la prochaine fois !
Logan : Lui a perdu. Je remporte le titre de MI !
Lucy : Quoi ? T'es sérieux ? Je suis super contente pour toi ! Ça te dit qu'on se voit pour fêter ça ?
Logan : Non.
Lucy : Pfff. Tu ne changeras donc jamais. Tu ne me laisses même pas t'approcher, alors que je suis ta chérie.
Logan : C'est comme ça. Point.
La collégienne ne répond plus. Un peu de calme, pense Logan. Il part s'asseoir sur le bord du trottoir et profiter du coucher du soleil. Les couleurs virant du bleu nuit au rose orangé l'apaisent. Les coups de sa partie défilent devant ses yeux. Il se remémore ses erreurs, jusqu'à arriver à ce fameux sacrifice. Il revoit son Cavalier, prêt à le servir, installé sur la troisième rangée. De toute façon, il a gagné en restant dans ses lignes de jeu. À quoi bon changer de style, de stratégie ? Logan a toujours joué comme ça et il continuera à le faire.
L'heure tourne, et le résultat aussi. Eve et Thomas perdent. Harry également. Les autres font match nul. Quel épouvantable retournement de situation pour les new-yorkais...
L'équipe se rend à l'hôtel, démoralisée. Dans la voiture, on félicite Logan pour sa performance incroyable. Aucune réaction de sa part. Logan semble profondément plongé dans ses pensées.
– Et maintenant que je suis devenu Maître... Je veux plus. Je veux conquérir le monde des échecs, surpasser Harry, puis Felix, et devenir Grand Maître, se dit-il.
Après avoir fini son assiette, Logan quitte le restaurant hôtelier. Il se dirige vers sa chambre et allume la télé.
"Un attentat à l'arme chimique contre Moscou a eu lieu en fin d'après-midi. On compte cent dix-neuf morts et cent soixante blessés. Les événements pourraient prendre une tournure bien plus grave, si les complotistes ne sont pas vite arrêtés par la police de l'ONU."
Logan en a marre des histoires de politique. Il change de chaîne, et est surpris de tomber sur un reportage échiquéen.
"Ilyas Benhabib s'affirme aujourd'hui comme le nouveau champion du monde d'échecs, face à Ruggero Jonas, le précédent meilleur joueur, grâce à sa victoire 13 points à 11 lors du dernier match qui les opposait, à Pékin, ce samedi. Encore une belle preuve que les échecs sont un sport plein de rebondissements ! Et maintenant, nous rencontrons Pascal..."
Finalement, la télé l'ennuie. Logan sort son livre préféré de son sac ainsi que son échiquier. Il l'étudie depuis cinq ans, cela doit faire la dixième fois qu'il le lit. Mais il ne s'en lasse pas. Pour lui, chaque page est une pure merveille, remplie d'idées stratégiques précieuses comme de l'or. Il le sait : sa réussite ne dépend que de lui.
On frappe à la porte.
– C'est Harry ! T'as la clé ?
Logan lui ouvre la porte.
– Ah oui, pas besoin de la clé en fait !
– Ben dis donc, t'es doué, toi...
Harry entre avec un sourire jusqu'aux oreilles. Après avoir posé son sac, il se retourne et dit :
– Au fait, bravo pour ta partie, tu m'as vraiment surpris. Tu t'es entraîné, non ?
– Un peu, oui...
– Super ! Et tu penses que tu peux rivaliser avec moi, maintenant ? Je serais ravi de jouer quelques parties contre toi !
– Volontiers. C'est pour te battre que je m'entraîne.
Ils s'installent sur le lit près de la fenêtre.
Logan remporte la première partie, ce qui provoque une pression psychologique sur son ami. Ce dernier se venge à la revanche.
– Alors, Loggie, on fait moins le malin ?
Le jeune homme sert les dents. Il espérait enfin avoir surpassé Harry. La défaite fait mal. Elle le ramène à la réalité, comme un coup de poignard dans le dos. Elle le guette à chaque mouvement, ombre mortelle qui attend sa décadence. Ils entament une belle, une troisième partie qui décidera de la suite de l'affrontement. Le temps du joueur coule, et son Roi est en mauvaise posture.
– Tu n'as pas l'air en forme. Et si on s'arrétait là ? propose Harry en stoppant la pendule.
– Non. Laisse-moi finir. Je vais gagner... Je dois gagner.
– Ouh là, tu fais peur, là. Tu ressembles ni plus ni moins à un zombie, réplique son ami en riant.
– Échec.
Harry comprend que Logan ne rigole pas et accepte de continuer la partie sans pendule. Il décale fermement son Roi dans le coin, avant de remarquer une lueur sur le visage de son ami.
Serait-il en train de sourire ? Son épaisse mèche rouge l'empêche de percevoir ses émotions. Pourtant, sa position est nettement inférieure. Qu'a-t-il vu ?
Le mystérieux garçon place son Fou sur la longue diagonale, visant le Roi adverse vissé dans le coin. Si son adversaire bouge, il sera échec et mat. Sa ligne de combat est certes plus avancée, mais ses soldats ont les deux mains liées dans le dos. Il doit à présent trouver la clé pour se délivrer.
Pendant ces précieux tempos, le garçon aux yeux verts entame une manœuvre qui causera un problème encore plus grand à son adversaire : une attaque frontale sur le Roi. Harry finit par s'incliner.
– Tu es surprenant, Logic Underwood.
– Ne m'appelle pas comme ça.
– Sincèrement, ce nom te va bien. Et maintenant, on fout le bordel dans la chambre ?
– Avec plaisir.
Les deux adolescents se mettent à se frapper avec les oreillers blancs, debouts sur le lit bien fait. Comme toujours, Felix gronde alors qu'il est une heure du matin. Comment peut-il savoir que ses deux joueurs sont en train de bazarder la chambre ? Un pressentiment, ou bien une habitude ?
Épuisés, ils finissent par sagement s'endormir, se disant qu'ils rangeront tout à l'aube.
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