chapitre cinq
Le trajet du retour est long et plus fatiguant qu’à l’allée, puisque cette fois il n’y a aucune excitation à l’idée de rentrer, à part peut-être pour moi puisque je vais pouvoir retrouver Raphaël. Les escales sont bien plus longues aujourd’hui et les autres sont fatigués, en même temps vu l’heure à laquelle ils sont rentrés, ça ne m’étonne pas ! Ils ont vraiment profité de leur dernière soirée, j’aurais aimé en faire autant.
En arrivant sur les terres de notre adolescence, nous nous apprêtons à affronter l’été avec un peu plus de légèreté malgré nos cœurs lourds. Lola se sent désormais prête à envisager son avenir ailleurs, Tess se prépare déjà pour son grand déménagement, Amandine et Arthur se sont finalement mis d’accord sur l’univers qu’ils envisagent pour leur nouvel appartement et Gabin nous avoue qu’il ne se voit pas rester ici, seul, donc il va partir l’aventure, aider son prochain là où le besoin est abondamment présent.
Nous sommes tous dehors, avec nos valises en main, attendant les parents de Tess et de Gabin pour nous ramener quand je me décide enfin à décrocher ce téléphone pour fixer un rendez-vous chez mon médecin. J’explique à la secrétaire ma demande et mes disponibilités puis elle me confirme la date et l’heure. Mardi à quatorze heures. Soit dans deux jours.
En arrivant, je déballe mes affaires, lance les lessives des vêtements que j’ai portés ces derniers jours, range ceux que je n’ai pas mis et remets à leur place les crèmes et lotions que j’ai apportées sur l’île de la fête. Un message ne tarde pas à arriver, certainement Raphaël. Je saisis mon téléphone et en effet, sur l’écran de déverrouillage, son visage traîne à côté de son nom, au-dessus de sa proposition.
De : Raphaël
T’es bien rentrée ? Tu m’as tellement manqué ! On peut se voir quand ?
De : Manon
Je t’attends.
Il ne répond pas, mais je peux voir qu’il l’a lu directement. Le connaissant, il n’a pas pris la peine de répondre et s’est directement mit en route, il devrait être chez moi dans cinq minutes, tout au plus. Alors en l’attendant, je m’allonge sur mon matelas, l’écran de mon ordinateur face à moi et je déroule les pages de plusieurs sites de décoration, à la recherche d’éléments pour faire de mon appartement sur Bordeaux un petit cocon, où je m’y sentirais vraiment bien. J’envoie un message à mes parents pour les avertir de la venue de Raphaël, puisqu’ils sont partis chercher des meubles. La sonnette retentit dans la maison. C’est certainement lui.
Nous sommes allongés dans mon lit, mon corps lové tout contre le sien, sa respiration chaude sur mes épaules dénudées et ses bras forts autour de mon corps fragile. Aucun de nous ne parle, il y a des moments où le silence vaut mille fois des mots, et cet instant en fait parti. Je ne veux pas briser ce moment d’amour par des mots futiles. Nous restons ainsi pendant plusieurs minutes, avant qu’il m’interroge :
- Alors vos vacances ? C’était comment ?
- C’était cool ! On a vraiment profité de chaque instant pour créer des derniers souvenirs. Je crois qu’on a tous prit conscience que ce genre de moment n’arriverai pas avant un bon bout de temps...
- Je vois. Vous avez fait quoi ?
- Pleins de trucs, on s’est baigné, on a fait les visites à faire, on est sortis, on s’est amusé. Regarde.
Je prends alors mon ordinateur et fais défiler les images que j’ai transféré sur l’appareil quelques heures plus tôt. La mer est bleue, le sable est blanc, le ciel est tacheté d’étoiles, les bâtiments sont immaculés. Chaque photographie me ramène au jour où j’ai pris ces clichés et une vague de souvenirs me submergent, alors pour éviter de me noyer, je les partage tous avec Raphaël, le seul qui manquait à ce voyage.
Raphaël n’est pas venu parce que les rapports entre lui et certains garçons du groupe ne sont pas au beau fixe. Ça dure depuis des mois, et même si la plupart du temps j’arrive à m’y faire, il m’a beaucoup manqué pendant ces vacances, et je sais qu’il n’apprécie pas la situation autant qu’il aime l’admettre.
Il m’écoute raconter chaque détail avec passion pendant des heures, sans jamais me couper, sans jamais montrer un signe d’épuisement, pourtant il pourrait. Mais il ne le fait pas. Il ne le fait jamais.
**
*
- Nous sommes enfin mardi, hier nous sommes allé à la plage avec Raphaël et les filles. Il est presque quatorze heures alors je prends mes affaires et me mets en route. Je ne regrette pas d’avoir mis un short fluide à motif aztèque avec un top court noir. La journée est déjà très chaude, cette année, nous sommes encore en alerte canicule, la chaleur est insupportable dans l’habitacle de ma petite voiture, mais je n’ai pas le choix, j’habite trop loin du cabinet pour m’y rendre à pied.
En arrivant devant le bureau de la secrétaire médicale, je lui donne mon nom et celui de mon médecin et elle m’invite finalement à attendre mon rendez-vous dans la salle d’attente. Alors comme à chaque fois que je viens, je lis et relis les affiches qui habillent les murs, faisant de la prévention contre le diabète, les addictions ou encore la grippe saisonnière.
- C’est à toi, Manon, viens, rentres, m’indique le docteur avec un sourire.
Je sors de mes pensées et rejoins la femme qui suis mon état de santé depuis des années. Dans le cabinet, elle se désinfecte les mains avec le distributeur fixé au mur et je fais de même tandis qu’elle s’installe derrière son bureau.
- Bon, qu’est ce qui t’amène, ma grande ?
- Hé bien de temps en temps, j’ai des périodes où je suis tellement fatiguée que je ne peux pas me lever.
Elle acquiesce et écrit quelques éléments dans mon dossier. Elle me pose de nouvelles questions et m’invite à me déshabiller pour pouvoir m’ausculter.
- Tu as bien bronzé, hein.
- Oui je suis partie en vacances avec des amis les deux dernière semaines.
- Ah oui ? Vous êtes partis où ?
- À Mykonos. C’était super !
- Incroyable ! Sinon, c’était quand la dernière fois que tu as eu une fatigue aussi intense ?
- Justement la semaine dernière. Ça a duré cinq jours.
- Je vois. Bon, je ne peux pas poser de diagnostic comme ça alors je vais te faire passer quelques examens supplémentaires et ensuite on pourra trouver une solution. Tu peux te rhabiller.
Je descends de la table et retourne m’habiller alors que le médecin contourne son bureau et s’installe à nouveau derrière son ordinateur.
- Je t’imprime une ordonnance pour faire une prise de sang.
- D’accord. À jeun je suppose ?
- Oui tout à fait, je te recommande de la faire au plus vite.
- Bien sûr, dès demain matin.
Quand mes parents rentrent ce soir, je les informe sur mon rendez-vous, je les préviens que j’ai une prise de sang à faire et leur confie mes inquiétudes. Alors pour calmer le stress qui m’envahit un peu plus à chaque seconde, je décide de faire de ma chambre un univers bien plus calme et relaxant. J’allume toutes les guirlandes qui habillent mes murs, regardent toutes les photos accrochées dans les cadres, lance la musique qui hante toutes mes pensées et m’allonge au sol, face à mon velux, face aux étoiles. Au fur et à mesure que les secondes s’égrainent dans les sabliers du monde entier, la plénitude et la sérénité viennent enlacer et bercer mon corps, tellement que je ne réponds pas aux appels que je reçois, tellement que je m’endors là, sur le sol de ma chambre, les yeux rivés sur la voie lactée.
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