chapitre neuf
Une fois que le rendez-vous a été fixé, j’ai remercié mon docteur, plié les résultats qu’elle m’avait donnés et ai glissé le papier dans mon sac, bien enfoui, comme s’il n’existait pas si je ne le voyais pas. Malheureusement les choses ne fonctionnent pas comme ça. Le sourire forcé qui cache mon angoisse grandissante, enfin je l’espère, bien figé sur mon visage, je peux enfin quitter la salle de consultation pour laisser la place à un autre patient. Je n’ai pas été la bonne nouvelle de mon médecin aujourd’hui, et je crois que c’est ce qui me rend le plus triste.
Je salue la secrétaire qui me souhaite une bonne soirée. Mais ce n’est pas le cas, ce ne pourra pas être une bonne soirée, pas après la tonne d’informations qui m’ont assommées durant la dernière demie-heure. Sur le parking, je cherche mes clés avec panique pour pouvoir rentrer au plus vite, mais comme toujours, elles se cachent au fond de mon sac et je suis obligée de le vider à moitié au beau milieu des voitures pour pouvoir mettre la main dessus. Et en même temps que je les trouve enfin, mes yeux se posent sur la feuille que j’ai cachée à peine quelques minutes auparavant.
Je me précipite alors dans ma voiture pour pouvoir me laisser aller à mes émotions sans avoir peur du jugement des autres patients qui transitent sur le bitume chaud de ce mois d’été. Je retiens quelques secondes la colère en laissant couler les larmes salées le long de mes joues jusqu’aux commissures de mes lèvres. Mais la hargne est bien trop grandissante en moi et je ne sais plus la retenir. J’ai envie de crier, de hurler et de frapper quelque chose. Mais je ne peux pas, j’ai trop peur qu’on m’entende, trop peur de ce qu’on pourrait penser de moi. Alors à la place je sèche mes larmes, rentre déposer mes courses chez moi et écris un mot pour ne pas inquiéter mes parents. “Je suis chez Raphaël, je rentre demain. Je vous aime, bisous.”
Aussitôt fait, je file dans ma voiture et retrouve la route pour me rendre chez mon copain. Ma vue est parfois brouillée par les pleurs et ma gorge me fait mal à force de retenir mes larmes mais je me rassure en me rappelant qu’il vit à seulement cinq minutes en voiture. Je dépasse le panneau annonçant l’entrée dans la commune, je prends à droite au premier rond-point et directement à gauche dans le lotissement. Ce n’est pas le premier jardin, ni le second, c’est bien le troisième. Le numéro cinq. Je me gare devant la grande maison blanche et sers le frein à main. La voiture de Raphaël est devant, il est donc forcément chez lui. D’habitude, je n’aurais aucun mal à sortir de ma voiture et aller sonner à la porte et le rejoindre directement dans sa chambre. C’est comme ça depuis un moment déjà. Mais aujourd’hui je n’y arrive pas. Je ne sais pas ce qui m’en empêche, si c’est la peur ou la gêne de voir sa famille dans mon état - le visage rougi et les yeux gonflés. Je ne sais pas pourquoi mais je ne trouve pas la force et me résigne.
De : Manon
Je t’aime, Raph. Pour toujours.
Et avant de vraiment m’en rendre compte, j’envoie un dernier baiser dans les airs puis redémarre le moteur. Je desserre le frein à main, enclenche la marche arrière, effectue les contrôles et je suis repartie pour une échappée. La voiture m’a toujours apaisée. Déjà bébé, quand mes parents ne parvenaient pas à me faire dormir, ils me mettaient dans la voiture et faisaient des tours dans le hameau. Ça ne durait jamais longtemps avant que je m’endorme. Aujourd’hui, je ne veux pas dormir, je veux juste pouvoir arrêter de m'inquiéter autant pour quelque chose d’aussi futile. Peut-être que ce n’est rien. Ou peut-être pas. Et cette éventualité me colle à la peau, me ronge et je n’en démords pas. Je ne peux pas mettre de côté cette possibilité. Je ne sais pas où aller, je n’ai pas la moindre idée de ce que je pourrais faire.
Sans vraiment m’en rendre compte, je me suis rendue chez Tess. J’ai un petit peu peur de la déranger mais je tente quand même de l’appeler pour lui proposer une virée à deux. Je sais que Tess est une source de réconfort constant chez moi. Elle est l’épaule sur laquelle pleurer, rire et s’appuyer en cas de mauvaise chute. Je fais glisser mon doigt le long de mon écran jusqu’à tomber sur son nom dans les derniers contacts.
— Manon ?
— Oui, c’est moi. Je ne te dérange pas trop ?
— Non, non ! Qu’est ce qu’il se passe ? T’as une petite voix...
— Eh bien en fait je suis devant chez toi, je me demandais si ça te dirait de venir avec moi sur la côte, histoire de profiter encore un peu !
— Bien sûr ! Laisse-moi le temps de prendre mes affaires et j’arrive tout de suite !
— Super. À tout de suite alors.
Elle raccroche et je peux voir des ombres s’agiter derrière les rideaux du pavillon familial. La lumière dans sa chambre s’éteint et quelques secondes plus tard à peine, la porte d’entrée s’ouvre en grand sur la belle et grande brune. Elle me rejoint au pas de course et sa bonne humeur ne tarde pas à se propager dans l’habitacle de ma petite voiture. À toute allure, elle me serre dans ses bras, connecte son téléphone à mes enceintes et met une musique qui bouge puis après un dernier regard, elle essuie mes yeux.
— On est parti ! Let’s go, girl !
Sa remarque m’arrache un petit rire et nous voilà finalement parties pour une demie-heure de route vers la plage. Nous roulons, les cheveux au vent, la musique pour compagnie et des sourires scotchés sur nos visages. Elle me manquera.
Assises sur le capot de ma voiture, face à la mer, Tess et moi nous rappelons des bons souvenirs du passé et essayons d’envisager ce que sera notre avenir loin l’une de l’autre. Je connais Tess depuis si longtemps ! Nous n’avons jamais été vraiment séparées, ça me fait un choc. On s’est rencontrée au collège, en sixième. Je venais d’une toute petite école d’à peine une centaine d’élèves. Je ne connaissais pratiquement personne et ceux que je connaissais n’était pas dans ma classe. Mais elle est venue me voir le premier jour, depuis on est inséparables. Depuis que Lola est arrivée dans nos vies, on forme un trio qui n’a jamais faillit, un trio parfaitement équilibré. Mais Lola est en vacances avec ses parents, alors nous allons devoir nous passer de sa présence ce soir.
— Manon ? Je peux te poser une question ?
— Oui, bien sûr.
— Comment t’as su que tu aimais Raphaël ?
Je lui lance un regard, Tess n’est pas une grande romantique, du moins pas à ce point, mais Gabin et elle sont de plus en plus proches et on sait tous que le moment où nous les verrons enfin ensemble se rapproche, il nous faut juste être patients.
— Je l’ai su quand j’ai compris que je serai capable de le laisser partir à l’autre bout du monde si c’est pour qu’il trouve le bonheur. C’est quand j’ai arrêté d’être égoïste à vouloir le garder auprès de moi pour toujours. Plus on retient les autres, plus leur envie de fuir est grandissante. Je n’ai pas envie de voir Raphaël partir, mais je sais que c’est ce qu’il lui faut, je sais que c’est ce que le rendra heureux, alors ça me va.
— Des fois tu culpabilises encore ?
— Culpabiliser pour ? je demande sincèrement interloquée.
— Par rapport à Maëllys.
— Oui, ça m’arrive encore parfois. Je me dis qu’elle serait sans doute plus légitime, ou qu’il serait plus heureux avec elle plutôt qu’avec moi. Je m’en suis tellement voulu, elle avait de vrais sentiments et je pense que je lui ai fais du mal...
— Tu sais, dans les histoires d’amour, il y a toujours quelqu’un pour avoir mal. Ici, si tu avais décidé de ne pas tenter, tu aurais été malheureuse, mais Raph et Maëllys aussi. Parce que Raphaël c’est toi qu’il aime, et il n’a jamais été question de sentiments pour Maëllys. Et Maëllys elle aurait souffert dans tous les cas puisque celui qu’elle aimait ne l’aimait pas en retour. Et ça, crois-moi, c’était indépendant de toi.
— Oui, t’as sans doute raison, mais je m’en veux quand même parfois.
Elle ne répond rien mais acquiesce et me prend dans ses bras. Tout parait beaucoup plus calme après ça. La marrée descend et les oiseaux du large viennent se réfugier sur le sable humide. Ce tableau est bien plus apaisant que n’importe quel mot.
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