Chapitre 9 : Tragédie
Depuis cette dernière soirée, Seneth et Arch passèrent progressivement plus de temps ensemble. Arch souhaitait plus que tout lui révéler la vérité. Malheureusement, il devait choisir entre la passion et la raison.
Il discuta avec son meilleur ami.
— J’ai conscience que, quoi que je puisse accomplir, jamais je ne pourrais rembourser la dette que j’ai envers toi, confia Arch. Le soir où je suis venu frapper à ta porte, c’est à peine si je t’ai adressé un mot. Je me suis contenté de te dire que c’était mon enfant. Sans me demander le pourquoi du comment, tu l’as pris avec toi et j’ai disparu aussitôt.
— C’est normal de t’aider, tu dois savoir que tu peux compter sur moi, indépendamment du besoin. L’amitié correspond à un lien fort et précieux. On ne peut douter l’un de l’autre. Enfin, ça serait mentir si je te disais que la vérité sur ton histoire ne m’intéressait pas. Mais pendant toutes ces années, ce que je désirais le plus, c’était te revoir. Je voulais retrouver notre complicité, et le plus important, que Seneth et toi formiez une famille, confessa-t-il.
Le soir venu, avant que Seneth ne présente son plan, Arch prit la parole.
— Désolé, Seneth, avant que tu ne commences, je dois vous parler de quelque chose, annonça Arch.
— Nous t’écoutons, répondit Seneth.
— Vous l’ignorez, mais votre père et moi nous nous considérons comme des frères. Et ce n’est pas tout, j’étais également l’ami de Reysus, le fils de Jeysus. Avec celui-ci, nous nous sommes rencontrés durant l’adolescence, période à laquelle nos sens shamaniques se sont éveillés.
« On estimait à moins d’un pour cent le nombre de shamans sur Arnès. Notre rareté a contribué à notre connexion. Nous percevions dès lors les esprits de la Nature. Nous tentions alors de comprendre et maîtriser nos nouvelles capacités.
« Nos femmes étaient sœurs jumelles et nous passions beaucoup de temps ensemble. Un jour, nous étions allés au Temple de Mwrida. Quand nous y pénétrâmes, Reysus et moi nous mîmes à discerner comme des chuchotements.
« Nous n’avions pas l’air fous, même si nos compagnes ne les entendaient pas. Cela ne pouvait signifier qu’une chose, une âme errante cherchait à prendre contact avec nous. Au fur et à mesure que nous progressions dans le temple, la voix s’amplifiait. Nous ne comprenions pas très bien ce qu’elle déclarait.
« Alors que nous essayions de trouver la source de ces murmures, une aura spectrale apparut brièvement devant un pilier. Sur ce dernier, une sorte de bouton se mit à briller périodiquement. C’était certainement un signe de l’esprit, il voulait nous mener quelque part.
« En appuyant sur celui-ci, un escalier se dévoila dans le sol. Nous l’empruntâmes puis nous nous dirigeâmes vers les souterrains du temple. Nous arrivâmes dans ce qui s’apparentait à des geôles. La voix devenait de plus en plus intelligible. Elle nous disait de suivre le couloir jusqu’au bout.
« Nous l’arpentions avec prudence, car ce genre d’endroit se révélait souvent truffé de pièges. Toutefois, celui-ci paraissait ne pas en contenir. Nous parvînmes au bord d’un fleuve souterrain. L’esprit nous indiquait de poursuivre en avant en rejoignant la berge d’en face. Nous utilisâmes donc l’embarcation présente pour rallier l’autre côté.
« Le courant s’avérait assez intense, mais comme nous étions quatre, nous réussîmes à manœuvrer le bateau facilement. Par la suite, nous nous retrouvâmes dans une immense pièce circulaire. On aurait dit qu’elle faisait office de tombeau. On trouvait des sarcophages, mais aussi des fosses vides. Quelque chose d’étrange se passait ici. Soudain, une forme apparut devant nous et cria : “Aidez-moi !”
— C’était Mwrida ? demandèrent-ils tous en même temps d’un ton surexcité.
— Nous ne semblions sûrs de rien. Après tout, nous ne communiquions pas avec cet esprit, on ne faisait que l’entendre et l’écouter. Après cet appel au secours, nous fûmes pris de panique. Nous étions tellement terrorisés que nous voulions faire demi-tour et nous enfuir, mais nous n’avions pas réalisé tout ce chemin pour rien. De surcroît, qui tournerait le dos à une âme en détresse ?
« Son corps ne semblait pas se trouver dans la pièce où nous nous situions. Comment savoir lequel nous devions emprunter ? Nous étions des shamans, pourchasser les esprits devait paraître un jeu d’enfant pour nous. Nous nous mîmes à sonder les environs afin de détecter des résidus d’empreintes spirituelles. Nous tenions une piste.
« Nous la suivîmes à travers un dédale souterrain. Nous arrivâmes dans une pièce plus petite. Nous ressentions une forte présence. Nul doute, nous nous situions au bon endroit. Nous fouillâmes les lieux pour déceler sa dépouille. Au moment où nous la découvrîmes, une puissante voix grave s’écria : ‘Merci de m’avoir épargné tout le sale boulot. Maintenant, livrez-moi le corps et peut-être que je vous laisserais la vie sauve’.
« Nous nous retournâmes et vîmes un Sauren avec une carrure imposante. La dernière des choses que nous souhaitions c’était de lui chercher des noises. Nous nous exécutâmes et lui apportâmes la dépouille authentique. Malheureusement, il ajouta : ‘C’est très agréable à vous, cependant, moi, j’aime bien la bagarre. Préparez-vous à vivre vos ultimes instants, shamans !’ Aussitôt dit, aussitôt fait. Il se mit à nous attaquer.
« Nous n’avions aucune chance de pouvoir le terrasser. Même si nous étions quatre, aucun de nous ne savait se battre. Il prenait plaisir à nous narguer : ‘Alors, c’est là tout ce que vous pouvez faire, fuir ! Je suis extrêmement déçu’. Bien que la situation s’annonçât désespérée, l’esprit refit surface et s’exclama : ‘Jeunes shamans, écoutez ! Je vais vous aider à le vaincre. Vous semblez novices dans l’art du shamanisme, mais ce combat fera office de cours accéléré. Tout d’abord, votre adversaire, esquivez, ne demeure pas un banal Sauren, c’est un protéiste. Il a la faculté de pouvoir métamorphoser son corps afin d’améliorer sa conformation. Bref, pour vous résumer la situation, baissez-vous, c’est un affrontement entre forces physiques et spirituelles pures. Inutile de vous faire un dessin, sautez, pour savoir à quel camp vous appartenez. Vous n’avez d’autre choix que de faire appel à vos capacités de shaman. Vous allez user de votre propre âme et en extraire de l’énergie. Grâce à celle-ci, vous allez pouvoir créer des attaques directes et frapper votre adversaire’. Bon, je vais vous épargner un cours pour les nuls qui n’a que peu d’intérêt ici.
« Pendant que nous esquivions les coups de cette terrible brute, nous apprenions donc à nous servir de nos pouvoirs. Reysus se lança le premier à l’aide d’une boule fulgurante. Notre adversaire encaissa le choc en plein abdomen. Il fut surpris et annonça : ‘Ah, enfin, j’ai failli attendre. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. » Le sol se mit à vibrer puis à trembler de plus en plus. Une tornade de sable entoura le Sauren. Nous essayions tant bien que mal de nous maintenir debout. Les secousses se calmèrent et le rideau de poussière masquant notre ennemi s’estompa.
« Nous nous trouvions à présent face à quelque chose hors du commun, de fantastique, mais surtout de terrifiant, avec une apparence de draconoïde. Le Sauren était devenu légèrement plus grand, possédait une paire d’ailes et un long appendice caudal. Sa vitesse avait considérablement augmenté.
« À peine avions-nous eu le temps de nous remettre de nos émotions que celui-ci lança une terrible attaque. Sa queue venait d’empaler la femme de Reysus. Il éclata de rire : ‘Ah, vous en avez de la chance, elle n’est pas morte sur le coup, je dois vous l’accorder, je suis impressionné.’ À cause de l’horreur de la situation, la colère de Reysus eut l’air plus grande. Il fit de ce combat une affaire personnelle.
« Il semblait également mieux maîtriser ses capacités. Il avait réalisé que le pouvoir de l’esprit c’était de pouvoir matérialiser l’imaginaire. Il créa un piège aveuglant afin de pouvoir prendre la fuite avec ses compagnons. Il transporta sa femme mourante sur son dos. Moi, je portais la dépouille de Mwrida.
« Tous les trois, nous nous empressions jusqu’au bateau le plus vite possible. Ma conjointe se trouvant la plus rapide, elle nous montrait la voie à suivre. Une fois dans l’embarcation, nous nous laissâmes entraîner par le courant.
« Malheureusement, notre adversaire était venu à bout du piège. Il nous poursuivait en volant au-dessus de l’eau. Nous avions beau pagayer de toutes nos forces, nous ne parvenions pas à le semer. Sans nous en rendre compte, nous nous situions à présent à l’extérieur. Nous apercevions au loin les fortifications de l’Y. Au fur et à mesure que nous approchions, le courant du fleuve faiblissait. Nous vîmes un ponton et nous y accostâmes.
« Le combat reprit donc sur la terre ferme. Avec Reysus, nous donnions le meilleur de nous-mêmes pour l’abattre. Toutefois, ce n’était pas suffisant, notre adversaire paraissait largement plus fort. Reysus lui asséna un coup violent à l’aile gauche dans le but de plomber sa rapidité. Il nous annonça : ‘Assez joué, il est temps d’en finir.’ Il leva les bras et les abaissa brusquement. Le mouvement s’avéra si bref qu’il avait créé une onde de choc dans l’air. Elle se propagea à une vitesse inouïe et frappa de plein fouet Reysus. Celui-ci venait de subir des dégâts mortels.
« Les os du haut de son corps s’étaient tous brisés comme du verre. Ceci avait provoqué de multiples hémorragies. J’imagine qu’il décéda sur le coup tellement l’impact paraissait violent. Sa femme non plus n’avait pas survécu à ses blessures fatales.
« Alors que la situation était devenue catastrophique, Mwrida me proposa la solution de la dernière chance : ‘Écoute-moi bien, cette fois-ci, ça sera le tout pour le tout. Suis à la lettre ce que je m’apprête à te dire. Le shaman peut utiliser l’énergie spirituelle, mais pas seulement. Il possède la capacité de manipuler les âmes autres que la sienne. Prépare-toi pour ta nouvelle leçon. Je veux que tu ailles me briser les bras afin de t’en servir comme armes. Ne discute pas. Bien, maintenant pose-les, côte à côte. La partie la plus difficile approche. Tu vas devoir canaliser mon esprit en eux.’ Je ne comprenais pas ce qu’elle attendait de moi, mais nous n’avions pas le temps pour des questions.
« Notre adversaire avait fini de s’extasier. Soudain, les bras de Mwrida se transformèrent en un fauchard. ‘Félicitations, tu as réussi ton examen. Bien, étant donné que tu possèdes une arme digne de ce nom, achève-moi cette brute.’ me dit-elle.
« Inutile de vous préciser que ce n’était pas une lance comme les autres. Je sentais une sensation étrange à travers mon corps. En réalité, je venais de réaliser une fusion indirecte avec Mwrida par le biais de ses membres. J’avais acquis pendant la durée de ce processus ses connaissances et compétences.
« Le coup porté, l’ennemi succomba et l’arme retrouva sa forme originelle. La facilité avec laquelle nous avions terrassé notre adversaire en une attaque me laissa penser qu’elle avait été une combattante hors pair.
— Mais je ne vois pas où tu veux en venir, s’interrogea Seneth. À aucun moment dans ton histoire, le Majestic 13 n’intervient.
— Et bien, il est là le point où je veux en venir. La bagarre fut terminée. Elle m’avait épuisé. Malheureusement pour moi, des passants avaient remarqué les cadavres de Reysus et sa femme. Personne n’avait assisté à l’affrontement et pourtant, ils se mirent à penser immédiatement que je les avais assassinés, eux, les aspirants à la direction de l’Ordre de Mwrida.
« Je me suis enfui avec ma compagne et, pour une raison que j’ignore, les bras de Mwrida. Les jours défilèrent. Nous fûmes déclarés hérétiques par l’Ordre de Mwrida.
« On n’avait retrouvé aucune trace des corps sur le lieu de l’assaut. Quelqu’un était arrivé derrière pour les récupérer. Nous trouvant à proximité de l’Y, nous pouvions soupçonner le Majestic 13 et pourtant, notre adversaire ne semblait pas appartenir à leurs membres.
« Je veux en venir au fait qu’en réalité, il existe une entité bien plus terrible que le Majestic 13. Je pense même que les deux sont liées d’après mes dernières enquêtes.
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