Chapitre 24 : Objectif numéro un
Tzoyl finit de tatouer les membres présents de la Liste Noire. Il ne lui restait plus qu’à s’occuper d’Arch. L’escouade de Sadokon s’entraînait à le maîtriser pour l’utiliser à bon escient le moment venu. En tout cas, son invention semblait opérationnelle et proposait des perspectives différentes. En effet, cela inspirait des simulations de situations à Sadokon pour mettre à l’épreuve ses disciples et parfaire leur cohésion. Mosz évaluait la possibilité d’effectuer le procédé inverse, lire dans les pensées de la ou les personnes de son choix. Il jeta son dévolu sur Selivy comme cobaye. Nul besoin d’être un savant pour comprendre qu’il avait un faible pour elle.
— Hé ! Selivy, comment ça biche ? interrogea Mosz. Qu’est-ce qu’elle lui va bien cette jupe rouge !
— Pardon ? s’indigna-t-elle en tournant les talons.
— Quoi ? Hé ! Mais où pars-tu ? Et voilà, c’est sûr qu’entre elle et moi c’est voué à l’échec. J’ai l’impression que le cadeau que je lui ai préparé pour son anniversaire ne servira pas.
Soudain, elle revint près de Mosz.
— Tu as prévu quelque chose pour mon anniversaire ? s’enquit-elle.
— Oh ! Comment le sais-tu ?
— Bah, c’est toi qui viens de l’annoncer !
— Mais non, je n’ai rien dit moi.
— Et puis d’abord, comment tu la connais la date ? déclara-t-elle en commençant à s’énerver.
– Faut surtout pas que je lui révèle que je veille sur elle tous les soirs et que c’est comme ça que je l’ai découvert. Elle risquerait de penser que je suis un sale pervers. Surtout si en plus elle apprend que c’est moi qui lui laisse un morceau de gâteau aux fruits, et ce à chacun de ses anniversaires en entrant sans sa permission.
— Oh ! C’est donc toi le mystérieux individu derrière ce délice ! s’exclama-t-elle en le prenant dans ses bras.
— Euh… Comment as-tu deviné que c’était moi derrière tout ça ?
— Bah, tu es bête ou tu le fais exprès, c’est toi qui viens de me l’avouer à l’instant.
Cela faisait déjà deux fois que Selivy lui donnait la même excuse. Et si elle lisait dans son esprit ? Après une intense réflexion, Mosz réalisa à quel point il paraissait idiot. En voulant lire dans les pensées de sa bien-aimée, il lui transmettait en réalité les siennes. C’était de cette manière qu’elle avait pu savoir qu’il était l’inconnu des soirs d’anniversaire. Malgré tout, il avait réussi à se rapprocher d’elle comme en témoignait le câlin qu’elle lui avait donné. Il avait donc appris à ses dépens que le nouveau type de tatouage ne permettait pas de lire dans les pensées. Celui-ci possédait, de toute évidence, un fonctionnement unilatéral, ce qui représentait une bonne chose en soi.
De son côté, Zoobohz était retourné au siège. D’après les dires d’Arch, Alendahl ne serait pas venu seul. S’il voulait défendre sa guilde, il ne restait plus qu’une ultime solution, Veg’haral, l’esprit protecteur de la Liste Noire. Il alla chercher l’orbe de celui-ci dans l’endroit secret où reposait ce précieux objet. Il n’avait jamais fait appel à lui.
— Regardez qui voilà ! clama une voix mystérieuse.
— Veg’haral, si seulement son silence pouvait égaler sa puissance, soupira Zoobohz.
— Tu ne sembles pas content de me trouver ? Pourtant tu as besoin de moi, je me trompe ? interrogea-t-il. L’heure tant redoutée est sur le point de sonner.
— Si tu n’y vois pas d’inconvénient, pourrait-on continuer notre discussion sur la route ? demanda-t-il avant de s’emparer de l’orbe.
Au moment où il sortit de l’autel caché, une silhouette familière l’attendait dehors.
— Zoobohz, mon vieil ami, comme ça fait plaisir de te rencontrer, déclara l’inconnu.
— Te voilà enfin, Alendahl.
— Je constate que tu te portes mieux que la dernière fois où nous nous sommes croisés, lança-t-il avant d’être pris d’un fou rire.
Sans la moindre hésitation, Zoobohz commença à procéder au rituel d’invocation. Il ne pensait pas utiliser l’orbe aussi vite. Une aura mystique se mit à l’entourer.
— Je vois, je te fais toujours autant peur. Je n’ai rien contre le fait que tu invites Veg'haral à la conversation, mais ça ne sera pas pour cette fois, annonça-t-il avant de s’évanouir dans la nature.
L’apparition surprise de son ennemi lui sembla étonnante. Cela ne lui ressemblait pas. Son comportement paraissait réellement étrange. Il ne demeurait pas le genre de personne à narguer ses adversaires, et encore moins à se déplacer pour rien. Cela supposait donc qu’il est venu chercher quelque chose, et qui plus est l’avait trouvé. L’esprit de Zoobohz était en proie à une tempête de questions. Pour la première fois depuis longtemps, il se mit à douter. Il était en train d’entrer dans une guerre des nerfs avec Alendahl. Il semblait que celui-ci avait remporté les dernières batailles psychologiques en fragilisant Arch et maintenant Zoobohz.
Selivy effectuait un bilan sur l’état de santé d’Arch. Celui-ci avait recouvré la totalité de ses forces. Il pouvait à présent se rendre auprès de Tzoyl pour bénéficier du tatouage nouvelle génération.
— Hé ! Désolé pour l’attente Tzoyl, clama Arch.
— Ne t’excuse pas, j’ai ouï dire que l’on ne t’avait pas ménagé.
— Je me demandais, comment t’es-tu procuré les rémanences nécessaires pour produire ce type d’effet ?
— C’est assez simple, un pilleur de tombe m’était redevable. Pour payer sa dette, il s’est chargé de me trouver ces rémanences particulières dont j’avais besoin. C’est une des raisons qui explique que cela m’ait pris autant d’années pour mettre au point ce nouveau procédé de tatouartefact. Attention, ça risque de faire mal, avertit Tzoyl pendant qu’il effectuait le tatouage.
— De ce que j’ai compris, tu as utilisé trois sortes de rémanences : une qui capte les ondes cérébrales, une autre qui permet l’intrication et une dernière qui stocke et sélectionne le ou les destinataires.
— En réalité, c’est un peu plus complexe que cela. Le concept repose sur l’intrication spirituelle, une âme unique relie l’ensemble des membres marqués de la guilde avec cette encre spéciale. Néanmoins, qui dit un seul esprit dit une seule rémanence. Afin d’économiser au maximum et éviter le gaspillage, je combine avec elle une rémanence d’amplification.
— Je comprends, très astucieux.
— Et voilà, c’est fini.
– Merci l’ami, déclara télépathiquement Arch.
Rétabli et doté de son nouveau tatouage, Arch semblait fin prêt à commencer sa mission de surveillance. Il se mit en route pour se préparer au long voyage qui l’attendait vers Zenfei. En arrivant près de la demeure, il vit Zoobohz assis sous le porche.
— Zoobohz ! Qu’est-ce qui t’amène par ici ? demanda Arch.
— Je devais te parler au plus vite, répondit-il.
— Eh bien, me voilà.
— Je reviens de l’autel de Veg’haral, pour récupérer l’orbe de la guilde. En sortant, je suis tombé sur Alendahl.
— Ah oui ? Plutôt étrange comme situation.
— Je me suis fait la même réflexion que toi, cela paraît totalement illogique, surtout qu’il n’a rien tenté alors qu’il le pouvait. J’étais seul, une proie idéale. Il était simplement venu discuter, si l’on peut appeler cela un dialogue.
— Peut-être était-ce un message subliminal pour te dire qu’il te tenait à l’œil, toi ainsi que la guilde, suggéra Arch.
— Cela ne lui ressemble pas de donner des avertissements, continua de douter Zoobohz, ce n’est pas son style. Et puis surtout, qu’a-t-il à gagner à agir de la sorte ?
— Tu m’y refais penser, tu ne veux pas me dire comment tu l’as connu ?
Zoobohz prit son temps, comme s’il hésitait. Après un certain moment, il répondit.
— C’était il y a environ un quart de siècle, j’étais un explorateur. Je menais une étude de la faune locale, ici même dans la jungle où nous nous trouvons. Je faisais partie des spécialistes en metanimaux. J’étais intimement persuadé que les Gorlems pouvaient se classer dans la catégorie des animarchs. Alors que je me dirigeais vers le sud du continent, sur leurs traces, je rencontrai un groupe de mercenaires. Ils avaient l’air contents de leur découverte, une âme de Prima authentique à l’instar de Mwrida. On peut dire que je me trouvais au mauvais endroit au mauvais moment. Quand ils m’aperçurent, ils se mirent à me traquer. Ils me rattrapèrent rapidement. S’en suivirent des échanges de coups. Au beau milieu de notre affrontement, un troupeau de chevaux sauvages traversa. Je profitais de cet évènement pour m’enfuir. Par pur hasard, le fossile avec l’âme du Prima atterrit à mes pieds. Je m’en saisis et m’en allai aussi loin que possible. Quelque temps après, en rentrant à Zenfei, je découvris avec stupeur que des affiches à mon effigie avaient été placardées dans toute la ville. Je venais d’apprendre que l’Ordre de Mwrida m’avait déclaré hérétique pour avoir pillé une sépulture Prima.
— Laisse-moi deviner la suite. Tu t’es exilé vite et hors de portée. Tu t’es souvenu de cette jungle et t’es servi de l’âme du Prima en ta possession pour fonder la Liste Noire, je me trompe ?
— C’est exactement ça, confirma Zoobohz.
— Mais alors, tu ne le connais pas vraiment en fait cet Alendahl ?
Une fois de plus, Zoobohz paraissait déstabilisé par la question d’Arch, tellement qu’il n’y apporta aucune réponse.
— Bon, et bien, si tu n’as plus rien à me dire, je vais préparer mes affaires, annonça Arch.
— Ah oui ! Je voulais te dire, tu ferais mieux de retarder ta mission, nous nécessitons toutes les forces en présence pour assurer la défense. Puis-je compter sur toi ?
— Évidemment !
— Notre priorité reste de délivrer Glisa, ton fils et ton neveu tant qu’Apex se situe encore sur le continent. Ah ! Avant que je m’en aille, sympa ton nouveau bandeau.
— Ah ! il appartenait à Seneth, je garde espoir de pouvoir le retrouver avec son cousin.
La mission d’Arch se trouvait donc repoussée. La présence d’Apex sur le territoire de la Liste Noire devint le problème numéro un. Sadokon avait rendu plus difficile son entraînement à la demande de Zoobohz. Son escouade progressait rapidement. L’influence d’autres anciens comme Arch ou le meneur paraissait les motiver.
Deux semaines s’étaient écoulées depuis la disparition de Seysus. Les espoirs de retour commençaient à faiblir. Apex n’avait également pas été revue depuis plusieurs jours. Arch faisait profil bas. La Liste Noire voulait faire croire à sa mort qu’il n’avait pas pu se remettre de ses blessures. Zoobohz continuait de son côté à essayer de localiser Alendahl et ses sbires. Ses recherches ne donnaient aucun résultat. Il enquêta tellement qu’il perdit la notion de distance tant et si bien qu’il parcourut le continent d’est en ouest.
— Zoobohz ? s’interrogea Mélorya. Qu’est-ce que tu fabriques ici ?
— Ah ! tiens, Mélorya, ravie de te voir. Où sommes-nous ?
— Sur la côte ouest. Es-tu sûr que tout va bien ? s’enquit-elle.
— Oui, je… Tu n’as aperçu personne d’autre dans cette zone récemment ? demanda Zoobohz en changeant de sujet.
— Tu es la première personne que l’on croise depuis que nous sommes installés en ce lieu. Tu peux me dire à quoi tu joues ? exigea Mélorya vexée.
— Ai-je l’air de jouer ?
— Très bien ! J’ai compris, tu souhaites ne rien me dire alors, si tu veux bien m’excuser, mon équipe me réclame.
— Toujours à fleur de peau, on dirait, de toute façon, autant que je vous le révèle, à toi et tes protégés.
Zoobohz raconta donc les récents évènements survenus peu après le départ des escouades. Il leur confirma que la menace que représentait Apex ne semblait pas une rumeur. Le meneur en personne s’était montré. Le reste de la Liste Noire avait trouvé refuge au domaine de Draggar.
— Écoute Zoobohz, je sais que c’est par pure coïncidence que tu es tombé sur nous, mais je ne crois pas au hasard, déclara Mélorya. La guilde va mal et elle a besoin de ses membres. Mon escouade ne se trouve pas contrainte vis-à-vis d’un lieu en particulier pour s’entraîner. Dès demain, nous rentrerons pour rejoindre le reste de nos compagnons.
— Eh bien, tu serais presque devenue une vraie meneuse, commenta Zoobohz.
— Comment ça, presque ?
— Un chef respectable ne procrastinerait pas pour passer à l’action.
— Je ne vais pas partir sans avoir fourni d’explications à mes recrues.
— Oh, tu as drôlement changé depuis la dernière fois.
— Oui, je l’avoue, je m’inquiète pour les autres à présent. L’entraînement ne s’avérait pas que pour eux, je devais leur prouver ma valeur aussi, à eux, mais surtout à la guilde.
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