Chapitre 4 : Retour à Chalais

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— Le monastère de Chalais ? Bien sûr que je connais, répondit l’aubergiste.

Il désigna du doigt le massif de la Chartreuse qui dressait, au Nord, ses contreforts karstiques.

— Il vous suffit de suivre la route qui longe l’Isère sur trois lieu jusqu’à Voreppe. De là, vous trouverez un piste de terre qui escalade le massif jusqu’au monastère des Bénédictines.

— Merci, l’ami, répondit Essex. Il déposa dans la paume ouverte de l’aubergiste deux écus et quinze sols.

Après avoir traversé les Alpes du Sud, John Hardy, comte d’Essex, était arrivé à Grenoble accompagné de son neveu Tom, et de sa maîtresse Caterina. Leur voyage s’était déroulé sans encombre depuis leur fuite spectaculaire de Florence. Les menaces à demi voilées de la reine Elizabeth avaient suffi à décourager les velléités vengeresses de la garde florentine, qui avaient mis fin à la course poursuite après une demi-journée de chevauchée harassante. Ils avaient ensuite traversé la Toscane jusqu’à Pise d’où ils avaient pris un bateau pour traverser la mar Ligure jusqu’à Nice. Avant d’embarquer, Essex avait demandé à Caterina si elle souhaitait les accompagner en France. La jeune italienne avait accepté. Son adultère avec le comte anglais lui ayant presque coûté la vie, elle n’avait plus rien à faire en Toscane. Elle se sentait reconnaissante envers Tom et John de l’avoir sauvée alors qu’ils auraient pu l’abandonner à son sort.

La traversée avait été des plus paisible, les deux amants n’ayant quitté la chaleur de leur cabine que pour admirer les couchers de soleil sur la Méditerranée. Tom, quant à lui, s’était lié d’amitié avec le fil du capitaine, qui lui avait appris les rudiments de la navigation.

Depuis Nice, ils étaient remontés vers le Nord par le Col d’Allos où ils étaient restés bloqués trois jours dans un refuge d’altitude en raison d’une tempête printanière. Puis ils avaient continué de se faufiler entre les hauts sommets alpins jusqu’à Grenoble.

A la sortie de l’auberge, un vent glacé fouetta leurs visages. des flocons arrachés au manteau neigeux qui recouvrait le sol virevolteraient dans les airs. Nous étions déjà à la mi-avril mais l’hiver 85-86 avait été particulièrement long et rigoureux, et il avait neigé toute la nuit. La turgotine qui les conduisit de Grenoble à Voreppe eut bien du mal à se frayer un chemin dans les ornières boueuses que la neige avait creusées sur la route. A plusieurs reprises, Essex et Tom Hardy durent aider le cocher et le postillon à dégager une roue prise dans un bloc de glace. Les deux chevaux qui tiraient la cariole avançaient péniblement et ils auraient été presque aussi rapide à pied. Ils descendirent à Voreppe tandis que la turgotine faisait monter à son bord un couple de jeunes mariées, et reprenait sa route pour Lyon. Ils feraient probablement escale du côté de Bourgoin-Jallieu et arriveraient à la capitale du Dauphiné le lendemain dans l’après-midi.

Essex demanda aux commerçants de la petite bourgade s’il existait une voiture qui pourrait les conduire jusqu’au monastère de Chalais. Le boulanger lui proposa de lui prêter son âne, à condition qu’il emporte avec lui la fournée de pain qu’il avait fait spécialement pour les sœurs de Chalais. Nous étions un dimanche matin et les sœurs s’accordaient le repos de ne point allumer leur four en ce jour béni. Le comte accepta, et fit monter Caterina sur l’animal tandis que Tom, armé d’un bâton, ouvrait la route en combattant des brigands imaginaires. Caterina regardait le garçon avec une tendresse toute maternelle. Machinalement, elle posa sa main sur son ventre. Voilà deux lunes déjà qu’elle n’avait pas été indisposée. Ses seins lui faisaient mal et elle était prise de nausées chaque fois qu’elle se réveillait. Elle regarda la nuque de John Hardy qui conduisait la mule. Peut-être pourrais-je lui offrir un petit comte ?

L’ascension dura deux heures, et ils aperçurent le clocher de la chapelle alors que sonnait la Sexte. Parvenus dans la cour, Essex aida Caterina à descendre de la mule, et ils attendirent la fin de l’office. Les sœurs sortirent l’une après l’autre et rejoignirent le bâtiment principal. Une novice se dirigea vers eux. Pas plus haute que Tom, elle devait relever le bas de sa robe pour éviter de marcher dessus.

— Bonjour à vous, voyageurs. Que nous vaut le bonheur de votre visite en ce jour du seigneur ?

— Bonjour, ma sœur. Nous sommes de pauvres pèlerins qui cherchons un lieu de repos. Notre voyage a été des plus harassants depuis Nice, et nous avons besoin de quelques jours pour reprendre des forces. De Grenoble à Voreppe, on chante les louanges de votre hospitalité. Nous aimerions rester en votre compagnie avant de poursuivre notre route en direction de Paris. Par ailleurs, nous vous avons apporté le pain du boulanger.

— Paris ? demanda la novice. Qu’allez-vous donc faire à la capitale ? Et qui êtes-vous ?

— Pardonnez-moi, ma sœur, j’ai eu l’effronterie de ne pas nous être présentés. Je m’appelle François Boutillier, je suis un marchand de la capitale. Je vous présente ma compagne, Caterina, et mon neveu, Tom.

— Bonjour, dit Tom enjoué.

— Excusez-moi Monsieur Boutillier, mais je trouve que votre accent qui ne sonne pas du tout parisien, répondit la sœur suspicieuse. Ni votre neveu.

— Vous avez raison. Ma mère était Irlandaise, mon neveu et moi avons passé la plus grande partie de notre enfance outre-manche.

— Et ce charmant oiseau qui n’ose piailler de peur de se froisser les ailes ? demanda-t-elle à l’adresse de Caterina.

— Sœur Julie, l’interrompit la sœur hôtelière. Cessez d’importuner nos invités avec vos questions indiscrètes. Et allez plutôt vous occuper d’apporter à sœur Marthe le pain qu’ils nous ont si gentiment apporté.

La novice s’excusa et prit congé tandis que l’autre les conduisait jusqu’à leurs chambres. Essex leur rappela le scénario qu’il avait inventé et les invita à conserver le secret sur leur véritable identité. Tom et John partagèrent une chambre tandis que Caterina fut invité à se rendre dans une autre aile du bâtiment, où logeaient les hôtes féminines. Hardy put se laver correctement et se raser, chose qu’il n’avait pas eu le luxe de faire depuis leur départ de Florence. Il revêtit des habits propres et demanda à Tom de faire de même. Ils descendirent au réfectoire peu après les vêpres. Les visiteurs furent conduits dans une salle attenante, n’ayant pas le droit de partager le repas avec les moniales. Trois compagnons du devoir et deux pèlerins étaient déjà attablés. Ils s’installèrent sur les bancs restés libres à côté d’eux. Quelques minutes plus tard, Caterina fit irruption dans le réfectoire. Essex resta sans voix en découvrant la jeune femme. Elle avait pris un bain, lavé et brossé ses longs cheveu noir, et troqué sa robe brune et son chemisier contre une sublime robe à volants blanche surmontée d’un corset d’opale. Ses épaules dénudées dévoilaient ses clavicules saillantes, et les manches de la robe étaient en fine dentelle blanche, s’évasant vers les mains. La jeune femme ne put réprimer une risette en voyant le sourire béat du comte. Elle s’avança vers la table accompagnée d’une femme de trente-cinq ans au visage empreint d’une douceur extrême que seul son regard surpassait, souligné par deux yeux verts en amande. Elle portait elle aussi une robe à volants, noir et blanche, avec un corset à motifs baroque brodé de fil noir.

— Tu aimes ma tenue ? demanda-t-elle à Essex. Marie-Madeleine a eu la gentillesse de me prêter une de ses robes.

Elle fit un tour sur elle-même faisant virevolter les volants de sa robe et tourner les têtes des pèlerins. Les deux femmes s’assirent à table.

— C’est dimanche ! Je ne pouvais pas, en bonne chrétienne, laisser votre femme dans sa tenue de voyage, dit Marie-Madeleine.

— Oh, mon chéri, tu t’es rasé, toi aussi tu t’es fait tout beau !

— Tu es sublime, mon amour, répondit Essex. Je vous remercie de tout cœur, chère Marie-Madeleine. Sans indiscrétions, puis-je vous demander ce qu’une femme de votre rang fait ici, perdue dans ces montagnes ? Il faut dire que votre armoire est constituée de robes parmi les plus délicates.

— Vous avez raison. Je suis ici en retraite depuis la perte de mon fils, répondit-elle, le visage sombre.

— Je suis navré, ma Dame. Pardonnez mon indiscrétion.

— Je vous en prie, vous ne pouviez pas savoir. Et vous ? Dites-m‘en davantage sur vous. Caterina m’a dit que vous avez dû quitter Florence en catastrophe. Que s’est-il passé ?

Essex réfléchit un instant, avant de se dire qu’une vérité édulcorée était la meilleur histoire à raconter.

— En effet. Disons que je suis allé à Florence pour affaire. Je suis marchand d’art et je dois avouer que les italiens sont passés maîtres en la matière. J’étais à la recherche d’un Bernini, pour le compte du duc de Bourgogne. J’ai pris mon neveu avec moi afin de lui apprendre les rouages du métier et lui faire découvrir l’Europe. Nous sommes descendus dans une auberge où cette charmante Caterina officiait à l’accueil. Je suis tombé sous son charme, et ses sentiments furent réciproques, mais l’aubergiste et mari de la demoiselle nous as surpris…euh... au plus mauvais moment. Et les transalpins se sont montré des plus intransigeant en matière d’adultère…

— Ils m’ont sauvé du gibet, ajouta Caterina en caressant le bras d’Essex.

— Vous avez trouvé là un preux chevalier. Monsieur ? demanda Marie-Madeleine.

— Har… commença Tom

— Boutiller coupa John en lançant un regard noir à son neveu qui rougit et baissa le regard. François Boutiller.

— Boutiller… c’est curieux, je ne connais pas de marchand d’art à ce nom, à Versailles. Vous disiez travailler à la cour ?

— Je.. non, je ne travaille pas à la cour. Je suis à Paris. Mais la plupart de mes clients sont des nobles. Il m’arrive souvent de m’y rendre. Même si je n’ai pas encore eu la chance de rencontrer la Reine.

— La Reine, oui, c’est vrai, répondit Marie-Madeleine, le visage soudain assombri.

John pensa que c’était le moment de pousser plus avant ses investigations.

— Mais… vous semblez connaître vous-même très bien la cour de Versailles ? comment cela se fait-il ?

— Oh mon mari était un riche banquier Suisse qui travailler avec feu le roi Louis.

Un banquier Suisse ? cela rappela à Essex les débuts de ses recherches.

— Était ? votre mari est décédé ? quel était son nom.

Un voile de tristesse passa sur le visage de la femme. Elle détourna le regard.

— Je suis désolée. C’est… c’est encore trop douloureux pour moi.

Elle se leva et prit congé des trois nouveaux venus. John gratta machinalement ses favoris du bout de l’index.

— Cette femme nous cache quelque chose, dit-il. Il nous faut découvrir qui elle est.

Les jours suivants, John tenta d’en savoir davantage sur la mystérieuse Marie-Madeleine, mais ses investigations ne lui fournirent que de maigres informations. Chaque fois qu’il tentait d’approfondir ses questions, la jeune femme lui glissait entre les doigts comme une couleuvre. Elle passait le plus clair de ses matinées à accrocher le paysage sur son métier à tisser. Après le déjeuner, elle se retirait dans sa chambre pour écrire et le soir, elle s’asseyait dans le fauteuil de la bibliothèque, à côté de la cheminée, et lisait. Caterina avait réussi à glaner quelques informations dans les moments d’intimité qu’elles partageaient. Marie-Madeleine avait insisté pour que la jeune italienne emprunte les tenues qu’elle souhaitait, et il y avait là trois grosses malles pleines de robes et de corsets aux motifs délicats, réalisées par les plus habiles couturiers de la capitale. Caterina apprit qu’elles partageaient outre des mensurations identiques, des racines italiennes, mais que Marie-Madeleine était originaire de Vénétie. Elle lui raconta avoir connu son défunt mari lors d’un déplacement à Vienne, où elle accompagnait ses parents. Ils étaient tombés amoureux et elle n’avait plus jamais revu l’Italie. Cette histoire ne rappela que trop à Essex celle de la courtisane qu’il pourchassait.

Le jeudi suivant, en fin de matinée, les fils de l’intrigue qui occupait l’esprit du comte depuis des mois se dénouèrent subitement. Caterina avait demandé à John de l’accompagner en promenade jusqu’à l’aiguille de Chalais. C’était habituellement le prétexte qu’elle trouvait pour lui faire le rapport des informations qu’elle avait obtenues sur la mystérieuse Marie-Madeleine à l’abri des oreilles indiscrètes. Ils devisèrent de choses et d’autre sur le chemin aller, marchant main dans la main jusqu’au sublime panorama qui s’ouvrait sur une partie de la vallée de l’Isère, et d’où l’on pouvait voir jusqu’aux puys auvergnats. Alors, Caterina se retourna vers John Hardy.

— John, amore mio, il faut que je te dise une chose.

Elle baissa les regard, masquant ses yeux bruns soudains embués de larmes. Essex dégagea d’un index tendre la mèche de cheveux qui lui couvrait le visage et releva son menton d’une caresse sur la joue.

— Qu’y a-t-il, mon amour ? Que me valent ces larmes ? Tu sais que tu peux tout me dire.

Elle fut secouée d’un sanglot, et sourit. N’importe quel homme aurait succombé à ce sourire, à la fois tendre et timide, passionnel et candide.

— Ce sont des larmes de joie. Que je veux partager avec toi. John. Tu es la chose la plus merveilleuse qui me soit arrivée. Et j’ai un cadeau pour toi.

— Un cadeau, mon amour ? Chaque mot, chaque rire, chaque sourire, chaque respiration de toi m’est un cadeau. Qu’est-ce donc que ce cadeau que tu tiens tant à m’offrir ?

— C’est un cadeau qui a germé voilà deux lunes déjà, et qui fleuri en moi à la vitesse de mon amour pour toi, John. Amore mio, je porte ton enfant.

— Tu… Mon… C’est impossible ?

— Je te l’assure. Je le sais. Je le sens.

John Hardy fut pris de sanglots. Il s’effondra aux pieds de la belle italienne, et lui baisa les mains, les jambes et les chevilles. Depuis des années, les médecins étaient formels. Il ne pourrait pas avoir d’enfants. Il avait accusé sa première femme et l’avait répudiée, avant de se rendre compte avec la seconde que le problème venait de lui. Il avait eu des centaines de maitresses dans toute l’Europe et même au-delà, mais aucune n’était venu lui réclamer de pension pour un éventuel bâtard qu’il aurait engendré. Il s’était finalement résigné, et maintenant… Voilà qu’un miracle était arrivé. Et de quelle manière. Il souleva Caterina par les hanches et la fit tournoyer dans les airs. Il courut jusqu’à la pointe de l’éperon rocheux de l’aiguille de Chalais et cria sa joie à la nature brute et sauvage qui s’étirait devant lui.

Sur le chemin du retour, ils se tenaient toujours la main, mais les sentiments qui filtraient à travers le contact de leurs paumes étaient tout autres. D’un amour pur, naïf à peine sorti de l’œuf à l’aller, c’était désormais avec la responsabilité d’un couple qu’ils s’aimaient au retour.

Ils sortirent du petit bois qui menait à l’aiguille et regardèrent le monastère qui leur faisait face. Sur la droite, un grand pré descendait en pente douce, et un troupeau de montons paissaient paisiblement. Marie-Madeleine avait installé son métier à tisser à l’entrée du pré et tentait de reproduite ce paysage pittoresque. Elle avait un talent indéniable, et ses doigts couraient sur les fils comme ceux d’une harpiste sur l’instrument divin. Depuis le pigeonnier situé à l’écart du Monastère, la silhouette reconnaissable de sœur Julie se dessina. Elle courait en direction du pré, relevant d’une main sa robe bien trop longue pour ses courtes jambes et agitant dans l’autre un pli cacheté.

— Dame Éléonore, Dame Éléonore, la colombe est revenue !

Marie-Madeleine interrompit son ouvrage et regarda la novice, une joie soudaine illuminant son visage. Puis elle vit Essex et Caterina et son sourire se figea d’horreur.

— Comment l’avez-vous appelé, demanda Essex qui n’en croyait pas ses yeux.

Sœur Julie prit soudainement conscience de sa bévue. Elle bégaya.

— Il… du courrier… pppour… Marie-Madeleine.

— Pardonnez-moi de vous contredire, mais je ne suis pas certain d’avoir entendu cela. Caterina, mon amour, peux-tu me dire le nom que sœur Julie a prononcé ?

— J’ai bien cru entendre celui d’Éléonore.

— Moi aussi, affirma le comte.

— J’ai dû me méprendre, je… Je venais de finir de rapporter le courrier avec sœur Éléonore, et j’aurais fait un malheureux lapsus.

— Sœur Julie, vous mentez, trancha Essex. Tout votre corps tremble, et je n’ai jamais vu de pivoine plus rouge que vos oreilles. Il n’y a qu’une Éléonore en ces lieux, et elle se trouve ici, ajouta-t-il en désignant la prétendue Marie-Madeleine.

— Mais… objecta sœur Julie.

— Assez. Trêve de calomnies. Je suis ravi de faire votre connaissance, Dame Éléonore. Permettez-moi aussi d’ajouter quelques précisions quant à ma véritable identité. Je ne suis pas François Boutiller, bien que j’ai, il y a quelques années, noué des liens… étroits, avec la femme de ce pauvre bougre. Je m’appelle John Hardy, comte d’Essex, et je suis à votre recherche depuis de longs mois, ma Dame. La reine Elizabeth a hâte de faire votre connaissance.

L’horreur laissa place à la stupéfaction. Sœur Julie se couvrit la bouche des deux mains pour étouffer un cri d’épouvante. Éléonore défailli et John Hardy la rattrapa de justesse. Il l’assit sur sa chaise tandis que Caterina portait à ses narines des sels de pâmoison. La jeune femme reprit peu à peu sa contenance.

— Vous revoir parmi nous me ravi, ma Dame, déclara Essex ; laissant poindre une note d’ironie.

— Laissez-la se reposer, s’interposa sœur Julie. Voyez comme elle est pâle.

— Elle aura tout le temps de se reposer à la cour, répondit le comte. Lisez-nous plutôt ce pli que vous avez reçu. C’est un ordre ! ajouta-t-il devait l’hésitation de la novice.

Elle décacheta la lettre, la déplia et la parcouru des yeux.

— Je… je ne peux pas, dit-elle.

— Il suffit, trancha le comte en lui arrachant le papier des mains.

Il lut à voix haute.

Ma chère, ma tendre Éléonore,

Nous nous sommes quittés voilà près d’une année

Et c’est le cœur serré que j’ai laissé Chalais.

Mon âme pleure encor’ comme si c’était hier

Mais j’implore pour vous dans toutes mes prières.

Votre enfant a grandi, il est curieux de tout,

D’un futur gentilhomme il a tous les atouts

Il navigue et commande avec autorité

Et noue avec chacun des liens d’amitié.

Nous naviguons dès lors vers le prochain comptoir

Qui renferme une pièce et apporte l’espoir

De vous revoir bientôt, ma tendre, mon aimée

Une fois cette expédition terminée.

Et nous pourrions alors….

Vivre de passion dans un bonheur frivole

Être heureux simplement isolés sur l’atoll

Qui aurait émergé juste pour héberger

Le fruit de notre amour, jalousement gardé.

Pardonnez-moi, amour ces rimes maladroites,

Ma prose est indécise et mes rimes spartiates

Je m’exprime bien mal à la plume, en verset

Et m’escrime bien mieux dans la brume, à l’épée.

Écrivez-moi bien vite, je veux avoir de vous

Des nouvelles bénies je me languis de tout

De votre doux visage à l’unique tendresse

De vos yeux, de vos mains, vos baisers, vos caresses…

Votre dévoué

Surcouf

Essex relut la lettre une seconde fois, pour lui-même. Il n’en revenait pas.

— Ces lignes son touchantes. Je ne savais pas que vous entreteniez une liaison épistolaire avec l’homme le plus recherché du globe. C’est décidément mon jour de chance. La Reine va être aux anges d’apprendre que, non content d’avoir trouvé la courtisane qu’elle recherche depuis près de vingt ans, cette dernière entretien une liaison avec le corsaire qui a pris sous son aile le bâtard du roi. Sœur Julie, allez me chercher cette fameuse colombe. Nous allons l’emmener avec nous à Paris. Et nous allons répondre à ce célèbre corsaire. Caterina, mon amour, veux-tu bien trouver Tom et lui dire de préparer nos affaires ? Nous rentrons à Paris. Aurais-tu également l’extrême obligeance de préparer les affaires de Dame Éléonore, comme elle aime se faire appeler. A partir de maintenant, elle est notre invitée, et nous, ses obligées.

Il ajouta à l’adresse de la jeune femme :

— N’essayez pas de fuir, nous vous retrouverons. Et autant profiter tous ensemble d’un voyage paisible, n’est-ce pas ? Nous avons tellement à apprendre l’un de l’autre, ma chère.

Éléonore détourna le regard. Elle serrait les poings. Ses lèvres tremblaient de fureur. Des larmes de colère troublèrent sa vue. Elle pensa à Oscar. Non, elle ne pouvait pas se montrer faible. Elle devrait faire face à la Reine. Pour son fils. Pour Surcouf. Pour Louis. Pour le salut de son pays.

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