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L’écriture est pour moi une douce torture, un masochisme mental, un défi écrasant, mais synonyme d’espoir et de revenus, car je ne sais pas faire grand-chose, et c’est encore ce que je fais de mieux. Seulement, la chance est venue me cueillir trop tôt, je n’étais pas mûr et l’on m’a porté aux nues, jusqu’à ma perte.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’aurais sans doute pu bosser mon style, revoir et corriger ma méthode de travail, ce que je faisais plus ou moins sur les piges qui me faisaient vivre. Mais je n’en ai pas eu le temps.

Oui, parfaitement, je me dédouane : J’étais motivé à l’idée d’être un vrai écrivain, mais l’aubaine, mon bon monsieur, votre argent, ma bonne dame, et l’insolence de ma démarche ! Vos bouches en cœur, la première fois que je suis monté sur un plateau de télé, moi impressionné, vous au bord de l’évanouissement, cris de pucelles et culottes mouillées, même la potiche à côté du présentateur, cette jolie connasse aux nichons en poire, chacun est devenu complice de mon illusion. Oui, j’ai triché, en écrivant ce bouquin que tout le monde a acheté, mais merde ! Si je ne le méritais pas, alors pourquoi m’avoir invité ? J’ai foulé les studios de toutes les émissions culturelles (culturelles mon cul, mais je n’ai pas envie de développer, et puis tu vois bien ce que je veux dire), mais aussi les matinales, les nocturnes, les culinaires, les musicales, les sportives, c’est bien simple j’étais partout !

Vous m’avez bouffé à toutes les sauces jusqu’à l’écœurement. Je suis sûr que plusieurs milliers de personnes me détestent d’avoir été si présent, je dois trôner au centre de quelques cibles de fléchettes, sur des murs de chiottes, on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais charmer la majorité a suffi. La masse féminine, surtout. Enfin, ça me satisfaisait, c’était assez pour que mon ego explose ; mon compte en banque était devenu si obèse qu’il en éructait, régulièrement, et me forçait à des vidanges immondes. Ce livre m’a fait vivre, manger, voyager, baiser. J’ai serré plus de main qu’un ministre, j’ai eu ma tronche en caricature dans tous les canards, j’ai alimenté des montages dégueulasses sur Internet, on me détestait non parce que j’étais un tricheur, mais parce que la gloire ne plaît pas à tout le monde. Derrière chaque roi, il y a un assassin, au détour de chaque idée fulmine son contraire, et pour chaque artiste, il existe un jaloux. Et j’adorais mes jaloux. Mon bolo-bolo masturbatoire, sur la terrasse des cafés, bien en vue, il était pour eux. Je respectais les innocents qui avaient payé pour me lire, et je me sentais un peu honteux ; pour les envieux, je faisais le spectacle, et je m’estimais à ma place. J’étais Guignol face à Gnafron, une cible pour les aigris, un Malaussene pour de vrai, un héros détesté. Mais ils étaient trop peu nombreux, ces zoïles, en comparaison au rouleau compresseur médiatique qui me dépeignait comme le Flaubert du siècle, le génie moderne qui en un bouquin, un seul, avait réinventé le Roman d’Amour en long, en large et sans travers. Ce monstre de Frankenstein, ce pavé dans la mare, il était bon.

Et le plus stupéfiant dans tout cela, plus invraisemblable encore que d’avoir réussi à le créer, c’est que personne n’eut l’idée de le détruire. Ou plutôt, que personne ne parvint à le détruire, car même les chroniqueurs méchants, les enculeurs de mouches, même ceux-là n’ont pu que chipoter, jouer de leur mauvaise foi, dernier rempart avant le silence. La preuve de mon génie, quand même, merci pour les fleurs.

L’incroyable pour moi a été le succès auprès des hommes. Putain, les gars ! Bordel de cons ! Vous avez suçoté sans broncher ! Comme vous avez souhaité être le protagoniste de mon roman. Fripons, abrutis, nœuds à torchon !

Le dosage était parfait, voilà ma seule faute, mon Général, et ces dames seront sans doute ravies d’apprendre qu’en cet instant, j’ai envie de chier. Depuis plusieurs heures, à vrai dire.

Ne divulgue pas cela à mes admiratrices, elles en mourraient, les pauvres ! Moi qui les ai fait tant rêver. Moi qui ai édicté le bovarysme jusqu’à provoquer un incident international ! Ne colporte pas que je songe à faire une petite pause, et que je vais peut-être en crever. Il n’y a aucune vérité dans mon bouquin, tous les angles ont été arrondis, mais là je ne calcule plus rien. Je vais devoir me soulager sous peu, point. D’ici là, je vais continuer mon histoire, j’espère que tu t’ennuies profondément.

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