Les marais vont me manquer, songea Matt Alden pour la énième fois depuis que la voiture de ses parents avait quitté leur ancienne maison pour traverser le pays.

Rouler jusqu'à la Nouvelle Angleterre avait paru être une bonne idée, à la fois économique et divertissante. Au fil des heures, la réalité avait rattrapé la famille Alden, et Matt n'avait pas l'impression que leur arrivée imminente allait arranger les choses, bien au contraire.

À ses côtés, les jumeaux Melody et Jules avaient fini par s'endormir, épuisés, Jules d'avoir mis les nerfs de tout le monde à rude épreuve, Melody d'avoir eu à le supporter. Contrairement à son jumeau, Melody avait pris la nouvelle du déménagement avec philosophie. C'était là une nouvelle aventure, l'opportunité de débuter une vie à zéro. Une page entièrement blanche. Jules, en revanche, n'avait pas décoléré depuis l'annonce de leurs parents. C'était un trop gros bouleversement pour un adolescent de quinze ans. Boudeur et renfrogné, il avait transformé ce voyage en enfer. À présent qu'il dormait, le calme était revenu dans l'habitacle.

Matt remua sur le siège de la voiture. Ils traversaient une imposante forêt, et il n'y avait pas la moindre trace d'étang. Le sol lui semblait désespérément sec. Il retint un soupir.

Sa mère, qui conduisait, lui jeta un rapide coup d'oeil dans le rétroviseur. Sur le siège passager, son père gribouillait des esquisses de menu sur un vieux carnet. Cuisinier de profession, lorsque l'opportunité s'était présentée d'ouvrir un second restaurant, il avait sauté sur l'occasion. Le restaurant semi-gastronomique qu'il dirigeait déjà d'une main de maître à la Nouvelle Orléans avait fait un bébé, et il avait entraîné avec lui toute sa famille afin de s'occuper du nouveau venu.

Matt était heureux que les affaires marchent pour son père, sincèrement. Et il essayait de tout son cœur de prendre ce déménagement de façon aussi positive que possible. Il aurait simplement préféré terminer le lycée avant de devoir traverser le pays.

La forêt s'éclaircit enfin, et alors que son père levait enfin le nez de son carnet, Matt découvrit la ville où ils allaient vivre. Un nid de verdure, régulièrement ponctué de petits bois. De ce qu'il pouvait apercevoir, l'architecture n'avait rien à voir avec celle typiquement coloniale de la Nouvelle Orléans. Matt marmonna des paroles en français. Sa mère lui jeta aussitôt un regard d'avertissement.

Pourtant, elle pouvait difficilement lui en vouloir de ne pas sauter au plafond devant cet étalage de briques rouges et de maisons en bois. Afin de ne pas contrarier davantage sa mère, qui, il le savait, souffrait elle aussi de ce déménagement, Matt fit mine de s'intéresser à la ville qui avançait vers lui.

C'est là qu'il vit le château.

Ce n'était pas un château avec des tourelles, un pont-levis et des douves, plutôt un regroupement de bâtisses en pierre -grise, et non pas rouge- noyés au milieu des arbres, à l'exact opposé de la colline où la voiture s'était brièvement arrêtée. Il y avait trois bâtiments de taille similaire, et ce qui ressemblait à une serre. De la fumée s'élevait des cheminées du premier bâtiment. Matt se pencha en avant.

« C'est le lycée ? » Son doigt se pointa vers les bâtiments de pierre.

« Mais non. Ce doit être une résidence privée. » répondit à peine son père.

La voiture se remit en marche, dissimulant peu à peu les intrigants édifices de pierre. Avec un sourire, son père se tourna vers lui.

« Bienvenue à Danvers. »