L'injuste Junon
Muse, ton récital me capive et m'amuse,
Mais ta célébration poétique et sincère
Est finie. C'est mon tour d'entrer dans la lumière
Puisque je suis poète et que tu n'es que Muse.
Quand je te demandais en langue poétique
De me conter les mille exploits de ce grand homme
De ce nouveau venu qui trouva Rome en Rome,
Ce n'était, ingénue, que pure rhétorique !
Je connais, saches-le, tous les nobles combats
Que livra sans merci le bâtard de Vénus
Pour que lui succédât le bâtard Romulus :
Comment pourrais-je écrire, en ignorant cela ?
Puisqu'il me faut prouver l'étendue de ma science,
Je m'en vais te conter pour quels obscurs critères
La déesse aux bras blancs qui épousa son frère
Aux cruels Tyriens donna sa préférence.
(Si je les dis cruels, c'est qu'en choses antiques,
Extrêmement savant et extrêmement pieux,
Je garde un souvenir encore douloureux
Des publiques assauts qu'on appelle puniques.)
Junon, qui après tout, est femme qu'on achète,
Chérissait les Tyriens pour de jolies chaussures,
Des armes et un char (une antique voiture),
Un temple ou deux peut-être, et quelques amulettes.
Mais hélas, un instinct malheureux et trompeur,
Demandait que Junon, en toute occasion,
Quel que soit le parti de son adhésion,
Se rangeât chaque fois du côté des loosers.
Elle avait pris parti (l'Iliade le dit bien),
Contre la noble Ilion. Mais Troie, brisant ses chaînes,
Devait bientôt fonder la nation romaine,
Face à qui Hannibal sucerait son venin.
Redoutant le destin que lui filaient les Parques,
Elle geignit longtemps sur la chance contraire,
Et se plaignit beaucoup d'être moins populaire
Que son bossu de fils, et même que Plutarque.
Par chance, elle gardait d'appétissants appâts
Qui l'aidèrent, je crois, à convaincre un allié
De déchainer les vents sur la route d'Enée
Pour soulever les flots et pour briser son mât.
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