Le temple du temps
Enée poursuit sa route à grand peine et à pied
Et au pied d'un grand temple aux colonnes doriques,
Au front tout certi de frises anachroniques,
Il s'arrête un instant, et longuement s'assied.
(Achate cependant, se tient toujours derrière,
En retrait du héros du mythe, ainsi qu'il sied,
En retrait au point que l'auteur l'a oublié).
Je ne suis point poète et ne suis point habile
Peut-être à manier rimes et métaphores
Mais au moins je respecte et j'aime et prise fort
Ces malheureux héros délaissés de Virgile.
Le jeune Achate était aussi apte qu'Enée,
Pour voir béatement les nobles bas reliefs.
Ne croyez pas, surtout, que j'ai quelque grief,
Mais il n'est pas besoin, sachez-le, d'être né
De divine mamelle à l'odeur d'ambroisie,
Ni d'avoir cotoyé le grand Hector de Troie,
Ni d'avoir combattu pour son père le roi,
Pour mériter un vers dans mes pages moisies.
Ensemble, donc, Achate et son fidel allié
Admiraient cette frise, qu'en parfaite logique
Il me faudrait qualifier de chronologique
Car des événements y étaient consignés.
Je passe les détails, mais disons en un mot
Que l'on avait sculpté dans un marbre pérenne
La guerre qui à Troie amena les Hélènes.
Les lauriers des vainqueurs, qui semblaient des ramaux
Avaient été sculptés d'une main mal apprise
Autant que si l'artiste eût voulu donner tort
A ce héros impie qui démembra Hector
Et au traitre de bois par qui Ilion fut prise.
Les combats étaient là dans leurs moindres détails,
Enée fut fort ému lorsqu'il s'y reconnut
Quoique l'artiste eût fait sa jambe trop menue
Et son bras conquérant de trop petite taille.
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