Sinon

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"Bien-sûr, poursuit Enée, nous les aurions vaincus

Sans l'intervention d'un sombre peigne-cul:

C'est Sinon le cruel, Sinon, maître des vices,

Et bien plus lâche encor que ce lâche d'Ulysse.

Il se présente à nous courbé et mains liées:

Apprécions combien ce costume lui sied.

Il s'est fait prisonnier, comme une énorme buse;

Mais en réalité, il s'agit d'une ruse !"

Ces racistes propos exaltent notre zigue

Et soudain il oublie lassitude et fatigue.

"Accipe, lance-t-il, Danaum insidias"

Cependant que Didon le regarde, un peu lasse.

"Ab uno crimine, vénérable maîtresse,

Ajoute notre Enée, namque, disce omnes."

C'est déjà épuisant de voir ce baratin

Sans besoin, qui plus est, de le lire en latin.

Je vous épargne donc les quelques noms d'oiseau

Dont Enée affubla notre sacré zozo.

La suite, heureusement, est plus intéressante:

Voilà qu'Enée décrit les prières pressantes

Que Sinon réserva à l'armée des Troyens:

"Des vieux cons, je suis le plus con et le doyen !

Heu (c'est-à-dire hélas), où puis-je m'établir?

Qui voudrait bien de moi à moins d'être en délire?

Ma patrie me repousse et en vain je végète

A croire que les cieux eux-mêmes me rejètent."

(Enée en redisant cette plaine tragique

Ne peut pas contenir une moue ironique.)

"A ce gémissement, mes hommes s'attendrissent

Heu! Eût-il plu aux dieux que déjà je comprisse

Quel méfait ce pendard s'apprêtait à commettre...

Non! On le fait asseoir face à une fenêtre,

L'innonde de parfums ainsi que le messie,

Et voilà qu'on l'invite à conter son récit.

- Quelle sotte imprudence, intervient notre reine

Que mettre un étranger au devant de la scène !

L'accueillir en vos murs est déjà trop affable,

Que fallait-il en plus vous prêter à ses fables?

- Je vous rejoins, madame. En fait, un étranger

Est toujours pour son hôte un terrible danger.

Notre ignoble Sinon se prétend exilé,

Et déclare en mouillant de larmes son gilet

Qu'il est prêt à trahir pour nous venir en aide

Sa patrie, ses parents, ses fils et ses aèdes.

Il dit que contre Ulysse une violente haine

A cette trahison davantage l'entraîne:

La chose est très crédible car ce personnage

Est assez détestable, au moins, pour deux carnages."

Enée, pleurant soudain, se mouche bruyemment:

Il veut toucher Didon pour être son amant.

Pourtant, face à l'échec de la supercherie,

Il reprend son récit sans plus de tricherie.

"Puis Sinon prétendit qu'un oracle cruel

Leur prédisait la mort à grands coups de truelle.

La seule solution, dit-il avec adresse,

Etait de sacrifier un homme pour la Grèce.

Cet homme, ce fut lui. Il s'enfuit de l'autel

Comme on s'apprêtait à le changer en dentelle.

Voilà par quels discours il sut nous attendrir

Et plus il discourait plus le voir discourir

Nous plaisait. Et ce fut comme un délicieux songe

Tandis qu'il débitait un à un ses mensonges."

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