Sacré massacre
Enée verse une larme et la reine, un peu mièvre,
Pendant quelques instants suspendue à ses lèvres,
Voit la lèvre bombée, et l'arc de Cupidon,
Agréments qui pénètrent le coeur de Didon.
Le héros, averti, pour pousser l'aventage,
Décide de conter un terrible carnage:
Un carnage sanglant, raconté avec zèle
Fait souvent impression sur âme de donzelle.
"Une terreur, dit-il, emplit tous les esprits.
Partout on court, on crie, on étouffe et on prie.
La mort de Laocoon, dit-on, est méritée:
C'est là le châtiment de son impiété,
Car le cheval de bois qu'il disait odieux,
Car ce cheval de bois est un présent des dieux.
Pour expier ce crime, on détruit les murailles
Pour y faire rentrer malgré sa grande taille
La sculpure de bois qui fit notre malheur,
Et qui serait, plus tard, la source de nos pleurs.
La statue, chevauchant nos murailles de pierres
Ainsi que les serpents chevauchèrent la mer,
Pénétra, menaçante, au centre de la ville
Qu'elle allait condamner à un état servile.
Ô patrie, ô Ilion, ô demeure des dieux !
Ô, remparts à jamais éloignés de mes yeux !
Nous l'ignorions alors, et, en perdant la tête,
Nous ornions les rues comme pour une fête
Cependant qu'allarmée, l'infortunée Cassandre
Ne trouvait de tympan disposé à l'entendre.
Mais quand tombe la nuit, les Achéens s'élèvent
Ils glissent sur les fleurs comme glisse la sève
Par la muraille ouverte, un escadron se glisse
Dans le silence obscur d'une Lune complice.
Tous, comme des voleurs, les plus lâches hormis,
Pénètrent sans vergogne une ville endormie.
Ces plus lâches, pour cause, étaient déjà sur place
Cachés dans le cheval, et alors qu'ils se lassent
De l'immobilité, Sinon vient leur ouvrir.
Ils crient, libres enfin de tuer et détruire."
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