L'oeil est sanglant
C'était pas un matin ni un soir mais qu'importe. Le marchand de journaux venait de vendre sa dernière pipe à ses lèvres et son tabas s'était amenuit devant l'extase d'une prostituée en plein Paris. Belleville rayonnait au Dostoiëvski et au Pennac, ainsi qu'aux dictionnaires et aux encyclopédies de l'âge. Mais une chose clochait, ce fut peut-être la plaque de verglas recouvrant la route du boulevard Gambetta, ou bien la Mercedes trop mac qui se gara devant le Crédit Lyonnais sans autre intention que de retirer quelques balles en trop.
La fée observait de son faible talon à ses jambettes trop liquides qui remontaient à sa jupe du Moyen-Age (Elle le prononçait Mouillinage) jusqu'à sa pauvre robe thaï. Elle tenait dans ses mains un cabas trop lourd pour son corps, et un corps trop lourd pour sa vie. Elle n'était qu'une pile de couvertures froissées sur un Belleville nu pied. Mais elle tenait aussi à la vie de sa vie, alors elle lâcha son cabas au même moment que la portière arrière claqua de la Mercedes. Un Nègre (fallait-il toujours parler ainsi aux Noirs qui embêlissaient la capitale de bienfaisances ?) et un Blanc, l'association Bounty, cmme aurait dit le bon Colonel Fée Turc, mort à la bataille de l'opium, cinquante ans avant elle. Tenant dans son bec une Marlboro consumée, le Blanc jeta un oeil en arrière puis dissouda le dernier morceau de sa cigarette avant de jeter son pied sur la porte d'entrée de la Banque. Il ne fallut que deux secondes au banquier pour comprendre sa mégarde d'avoir mis qu'un pantalon en allant au boulot, et d'avoir été lui-même banquier.
- QUE PERSONNE NE BOUGE-C'EST UN BRAQUAGE-ALEX, LE COFFRE, LE COFFRRRRREE !!!!
La fée patienta, elle avait apprit cela dans les camps anti-juifs des nazis de l'avant-guerre, quand Hitler fut démocrate et dictateur de l'Allemagne elle-même en 1938. Elle tenait bien son calibre sur son viseur, pointait lee même rétrogradé de la nuque qu'elle voulait tuer. Mais elle ne tirait pas, elle mangeait plutôt le temps. Déjà six morts et vingt-cinq otages en quelques minutes, fallait-il encore fêter au champagne un casse du siècle ? Le sac plein, le nègre jeta un regard à son ami et tira sur un otage. Cela en fit vingt quatre au total mais on ne comptait plus depuis que les billets se jetaient en milliers dans le sac. Le reste se répandait sur le carrelage, sous les yeux hébétés des gardes ligottés et baillonés. Puis, un tir comme celui qui fusa vers la limousine de Kennedy à Dallas, en 1963. Immortels, les cambrioleurs, à ce qu'on dit. Mais les jambes trop liquides, on les préfère nues !
Alors s'allongea sur ses talons la pauvre fée qui tapota son calibre sur la mauvaise cible : rétroviseur, pneu, réservoir...
L'essence déversée sur l'asphalte fuyeur, le moteur à plein régime. Et les braqueurs bi-couleurs qui s'enfuirent avec le butin, sans prendre garde aux otages délaissés. Quand, d'un bond, l'ancêtre appuya simultanément sur la détente et la gachette. La détonation fut énorme, assez pour que la prostituée et le marchand partent. Mais le Blanc, trop heureux de courir, hélas, mourut trop heureux de rejoindre le Doux-Au-Delà.
Et le Noir ne mourut pas, ce n'aurait pas été digne, c'aurait été raciste pour un Noir de mourir par une vieille peau. Non. Le Noir s'assit sur le siège de la Merco, et elle explosa sans que la fée n'en soit responsable. Puis elle trotinna sur son faible talon, sautillante de joie, laissa les flammes se propager, le monoxyde asphyxier les otages, puis elle s'en alla en essuyant les empreintes digitales sur le fusil qu'elle jeta au feu. Toutes les preuves accablantes brûlèrent. Sauf une : la mémoire de la mémé.*
Et le cagnard de Saint-Hiver (Plein Hiver).
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