On a tous un oeil

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On a tous deux yeux, mais l'un est du mauvais poil, l'autre est orienté dans la mauvaise direction (strabisme de mauvaise augure).

Tante Giunelli quitta l'appartement, Tante Giunelli pauma ses bifetons ailleurs. Elle eût perdu sa dignité auprès d'un meurtre qu'elle se regretta : trahison, son amie Perrard-Millier, butée dans son appart à dix-huit heures. Titi s'en voulait toujours d'avoir une telle famille, avec un oeil pour deux. Un oeil qui pivotait comme une caméra observe, et un autre qui notait.

Le monde est fragile, il est rempli de violence et de tueurs. Suite à sa visite, Titi avait refermée la chaine de sûreté, s'était préparé une tisane, et avait prévu de dormir. Mais son lit n'avait en rien une confortable gentillesse alors il s'était endormi au pays des merveilles, sur son canapé. Mais il n'avait pas fermé l'oeil en sirotant de petites gorgées qui fuitaient dans son gosier. Finalement, il prit la tisane encore remplie, la déversa dans l'évier et s'en alla, las. Le Métro Goncourt l'attendit avec un certain accueil, la rame de Métro Lachaise fut autant énervante que jamais et quand il remonta la rampe donnant sur le Jardin du Luxembourg, Titi n'y put rien, il repensa au Calibre 35. Merde quoi, un Calibre qui tuait une femme ! On nageait en plein Vaudeville ou quoi ? Et le pire, c'était la mafia masochiste dans laquelle s'était embarquée sa Tante. Elle explosait des têtes et s'embarquait dans la mafia des Yakusas coréens, non mais c'est quoi c'a ? C'était parfaitement désobligeant. Titi arriva au niveau du Pont tout proche, ennuyé. Il ne savait pas que faire alors ils s'assit dessus. Qui savait qu'on versait plus de clopes que de larmes dedans ? Qui connaissait la fameuse rumeur des ruptures chaque jour au Pont ? Titi seul les savaient. Il fuma une Marlboro Light qu'il exhiba de son paquet de dix et en souffla de petites fumées à chaque redécouverte de son propre monde. Il ne savait plus quoi penser de sa vie à part qu'elle était mauvaise pour tout français...

La clope se consuma à ses lèvres gercées par la fraicheur hivernale. Paris. L'Enfer.

Une rose vint éclore à sa pieds, fanée. Et une autre. Bientôt il plut une pluie de roses fanées. Ce fut le Monde Rouge à la titanesque erreur. Ou sa propre imagination. Oui son imagination. Et il savait comment il l'avait vu naitre, lui, sperme du ventre de sa mère, sa Tante Giunelli. Une pute de l'après-guerre. Ete 1952. Un colonel français retraité de l'insurrection malgache, mouvement politique 1946 qui secoua le Madagascar avec de la mauvaise volonté. Enfin merde, pourquoi les malgaches croient toujours le meilleur ? Pour tout dire, les indigènes et le Parti communiste se furent disputé le Marché Noir, et ainsi le Parti communiste avait toujours raison donc la guerre éclata et ils prirent peine à porter forfait.

Le Colonel était un de ces retapés qui avaient balayé l'empire, qui avait estimé commettre un "bon délit". Un musulman abritant le quinzième pendant la seconde guerre. Epuisé, il nous avait retourné le Madagascar et son Parti socialiste avec autant de peine qu'eux, de haine aussi et d'orgueil. Le puissant débat du désaccord peut parfois prendre des proportions surtout si vous êtes au chômage. Finalement, des Amiot AAC, des M3, des mitraillettes Gatling et des milliers de morts sur les îles de Madagascar, malgaches surtout très ennuyés, eux-mêmes. Une d'eux, une dénommée Vera Ako, habitante des îles et très pauvre malgré elle, une petite dame aux joues rondes mais à la beauté...Et mise dans un drap, à entendre les coups de feu siffler. Dès 1947, il commença à lui envoyer des fleurs, à oublier son armée. Il lui envoya même une protection intime. Tout c'a l'amour avec un grand A ! Ce ne fut que six mois après qu'il appris le départ en Mer Noire, fin de guerre. Et qu'il la vit, ventre arrondi, se tenant bien à ne pas se renverser, souriante. Je suis enceinte-Je suis enceinte, criait-elle aux quais. Et lui dévasté, outre le bonheur de sa femme. Il fut rageux ce jour-là, sur le pont. Le colonel disparut dans les eaux mais ce jour-là, personne ne le revit et Vera éclata en sanglots. Elle aurait bien pu mourir dans ses bras, mais non, il fallait qu'il meure lui autant qu'elle, alors qu'elle avait un bébé à faire naitre ! Alors elle partit de son Peuple, elle l'abandonna, elle voulut se venger mais quelques années plus tard. Alors elle embarqua illégalement sur un navire, le quitta après son embarquement à quelques kilomètres d'une commune dans l'Oise.

A Achy, elle prit le T.G.V pour Ivry.

A Ivry elle prit le métro pour Paris.

Et quand elle arriva dans le Quinzième, elle repensa au Colonel et se jeta au sol. Elle accouchait ! Bon dieu, elle avait une de ses peurs et son locataire allait bientôt le sentir ! Ô bon dieu, elle sentait ses entrailles exploser. Ce fut une voisine qui la sauva, et elle la sauva avec autant de sagesse et de noblesse qu'un ange. Et tandis que les urgentistes lui enlevait le jambon saucissonné et embryoné qui envahissait son estomac, la malgache mourrut, elle repensa à son mari et voulut repenser à son mari. Le seul mot qu'elle put dire - et les urgentistes repérèrent son inquiétude :

- MIRANDA GIUNELLI !!!!

Cartes jetées sur la table, son coeur fit un dernier bond et il éclata comme une fleur. Les urgentistes, ayant pitié, firent grandir la Miranda Giunelli - Tante Giunelli - en question dans les hôpitaux, de crainte de l'orphelinat. Ainsi elle sut toutes les manires d'anatomie, de dissection animale, de coupures et de chirurgie de l'hospice, du bloc opératoire. Le Chinois fut un de ses mèdecins préférés. Mais un jour, la jeune Giunelli en eut marre de sa vie.

- Ce fut ma première fugue, Titi !

A quinze ans. Elle fila un mafieux.

En dépit de son chapeau, il fut éternellement chauve, et c'était un russe retranché dans Paris à qui le businesse n'ajoutait pas de difficultés à celles qu'il possédait déjà. Quand elle pénétra dans sa chamnre de poker par un soir d'hiver, elle n'y alla pas par quatre chemins : elle voulait un père et une mère. Et ce mec s'appelait Giunelli-Gloubov s'il coupait par son patronyme. Il l'accepta et l'entraina au tir. Bien trop tôt.

Mais merde pourquoi Titi était né ? Les mafieux violent toujours les tantes...Et les tantes répliquent tant plus que les mères. Alors il fut né au sein de sa tante.

Et ce n'était pas sa tante globale.

Il jeta sa clope et reprit sa route. Pas le métro Goncourt. Le Père-Lachaise. Il voulait rendre un dernier bonjour à sa mère.

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