V

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   L’été durant lequel j’ai eu 17 ans, je fus hospitalisé pour idées suicidaires. J’étais si terrifié à l’idée que Max puisse me retrouver que je n’en dormais plus, je n’en mangeais plus mais surtout j’en venais à espérer trouver la paix dans la mort et je faisais tout mon possible pour accélérer le processus. On m’avait trouvé figé sur le rebord d’un pont au-dessus de la voie ferrée, hésitant à sauter. J’étais fatigué de penser à Max, fatigué des crises d’angoisse qui étaient réapparues peu de temps après avoir vu Céline tabasser cet étranger devant chez elle. Depuis je me faisais des frayeurs à imaginer Max me surveillant partout où j’allais, à l’affût, prêt à me sauter dessus et à me faire du mal. Encore. J’en avais marre de vivre dans la peur, je voulais que cela cesse. Je voulais que tout cesse. Alors j’étais monté sur ce gros pont gris dans l’espoir d’en sauter mais la peur m’avait prise -encore- et me rongeait les os. Je ne pouvais pas vraiment faire cela, je ne pouvais pas tout quitter. Mais tout quitter paraissait si simple, si apaisant. Plus de peur, plus d’angoisse collée au corps. Plus rien. C’était trop, je ne pouvais pas. Non, c'était le seul moyen, je devais le faire. Mais je ne pouvais pas. Je me questionnais, les larmes aux yeux, quand un pompier s’était approché lentement et m’avait attrapé par les aisselles pour me faire descendre. J’étais tant pris dans mes pensées que je ne l’avais même pas entendu arriver. Il m’avait assis dans l’ambulance, m’avait passé une couverture toute douce sur les épaules et m’avait confié qu’il m’emmenait à l’hôpital. Là, mes parents me rejoindraient et je devrais faire un choix : le choix de me faire interner et aider ou non. Cette option m’effrayait mais je voulais encore moins en venir à la mort ; une part de moi était certes attirée par l’idée de tout arrêter mais l’autre ne se sentait pas prête à tout quitter pour autant, alors j’embrassai Kal une dernière fois et j’acceptai de me faire hospitaliser. Je mis du temps à m’y acclimater. Au début, je gardai mes mauvaises habitudes et refusai de me nourrir ou de dormir, gribouillant sur des carnets que j’avais amenés pour m’occuper durant la nuit mais je compris très vite qu’il fallait que j’y mette du mien si je ne voulais pas réellement y passer alors je fis ma part du travail ; je recommençai à manger, bien que trop peu pour les soignants, je m’autorisai quelques siestes tout en faisant attention à ne pas trop les allonger de peur que mes cauchemars ne reviennent et je me mis à parler au psychiatre du service. Je lui racontai mes cauchemars, mais surtout des histoires plus légères telle que la fois où Manon m’avait fait fumer de la weed pour la première fois : nous nous étions posés sur un muret derrière le lycée et je l’avais admirée rouler son joint avec précaution, ça avait mis du temps à me monter à la tête mais une fois monté, nous eûmes du mal à redescendre. Le fait que je touche à la drogue n’aurait pas plu à Mama mais personne ne le lui dira. Enfin bref, je parlais. Je n’avais aucun mal à m’exprimer, le problème était plutôt de m’arrêter une fois que je commençais mais je déviais toujours du sujet. Je n’osais pas parler de Max ni de ce qu’il m’avait infligé. Je ne pouvais pas. C’était trop. Je ne parlai pas non plus de mes tendances auto-destructrices, je ne pouvais pas en parler parce que cela reviendrait à parler de lui. C’était lui qui m’avait appris comment me détester et ce n’était pas juste. Ce n’était pas juste que ce soit moi qui souffre et que lui n’ait rien. Je voulais le tuer, je voulais qu’il meure. << C’est lui qui devrait mourir, pas moi. >> pensai-je. J’étais fou de rage et je la retournais contre moi-même en me mordant les bras et en me griffant les jambes. Je n’avais pas le droit aux objets coupants dans l’unité mais je pouvais sentir le manque monter. Le manque de coupures, le manque d’alcool, le manque d’amis aussi. Je ne pouvais peut-être rien faire aux deux premiers, mais mon dernier manque pouvait être comblé.

   Quelques jours après mon arrivée, je fus transféré de l’unité d’entrée à une autre unité remplie de gens dans ma tranche d’âge. Là, je rencontrai Cassandra. Une jeune fille charmante aux cheveux bleus qui m’interpella en me demandant << Tu as déjà couché avec une meuf aux cheveux bleus ? >>, ce à quoi je répondis en entrant dans son jeu << Non mais c’est prévu. >> et elle me souria avant de me prendre la main pour m’emmener aux toilettes, les chambres des autres patients étant hors limite. Je ne mis pas longtemps à me faire une réputation parmi les patients et bientôt on m’échangeait des biens contre des services sexuels. Je ne tardai pas à connaître tout le petit monde de notre unité de soin sur le bout des doigts, les gens étant attirés soit par mon style légèrement alternatif sur les bords soit par mon corps. Evidemment, le seul de la clinique qui m’intéressa réellement fut celui qui ne s’intéressait pas à moi. Trop pris par ses lectures fantastiques, Matthieu ne semblait pas prêter attention au monde extérieur. Ses lunettes rectangulaires cernaient ses magnifiques yeux bleu océan et je rêvais de jouer avec ses boucles noires toujours en bataille. Je l’avais accosté pour la première fois en lui demandant si ce qu’il lisait était intéressant, il m’avait répondu d’un de ces sourires qui en disent long. Il m’avait prêté un de ses romans préférés et je l’avais dévoré. Suite à cela, nous avions pris l’habitude de lire ensemble ; il me conseillait des livres et je les lisais collé à lui, promenant mes jambes le long des siennes. Caque fois que j’en finissais un, nous nous mettions à discuter pendant des heures de ce qu’il s’y était passé, de nos personnages préférés et des métiers que ceux-ci feraient dans un monde moderne. Un soir, il m’avait autorisé à lui faire les ongles pendant que nous débattions encore et je m’étonnais qu’il ne réalise pas que je brûlais pour lui alors que je lui caressais les mains, épris de la douceur de sa peau. Je cachais si mal mes sentiments grandissants que Cassandra commença à gentiment me taquiner sur le sujet et bientôt tout l’hôpital -à part Matthieu qui ne remarqua rien- se joua au jeu. Cass et quelques amis complotèrent pour me faire avoir un date avec lui. Leur plan était le suivant : ils nous inviteraient Matthieu et moi à sortir au cinéma le temps d’une permission pour nous éloigner de l’ambiance médicale de la clinique puis s’éloigneraient de quelques sièges pour mieux nous surveiller. Mais leur plan tomba à l’eau quand Matthieu refusa de venir : il me confia qu’il n’était pas à l’aise avec le petit monde et me proposa une sortie seulement tous les deux que j’acceptai avec joie. Il me montra un grand parc fleuri dans lequel il aimait se poser les journées chaudes d’été pour lire tranquillement, nous prîmes tous deux des livres que nous ne touchâmes pas, trop occupés à se dévorer l’âme à coups de regards en coin. Je lui pris la main, d’abord la frôlant d’un doigt puis à pleine main, et il me laissa faire. Il me regarda comme s’il avait attendu ce moment toute sa vie et qu’il devait en savourer chaque instant avant d’enfin se décider à m’embrasser. Et je l’embrassai. Et il m’embrassa. Ce baiser dura longtemps, commençant timidement puis se faisant plus désinvolte. Mes lèvres, ses lèvres. Vint un temps où je ne fus plus capable de faire la différence. C’était comme une fusion : j’étais lui et il était moi. Et rien d’autre n’existait autour de nous. Une main contre ma joue, une entrelacée avec mes doigts, ma dernière main le long de sa taille. Je voulais l’avaler, le dévorer tout entier et en un sens, c’est comme si je l’avais fait. Nous nous séparâmes finalement et, avec l’accord de Tom -et de Mama-, il devint mon deuxième copain. Je le suppliai d’accepter de rencontrer mes deux autres amours, lui promettant de rester à ses côtés, et il dit << oui >> alors j’organisai le voyage de ma mère adoptive et de mon autre copain jusqu’à nous tout content. Je faisais jouer mes contacts et nous trouvai une petite maison à 20 minutes de l’unité où passer notre permission, j’en parlai à toute la clinique avec l’excitation d’un gamin de 8 ans qu’on amènerait à Disneyland. Le temps sembla passer au ralenti jusqu’à l’arrivée de Tom et Mama. Je vis d’abord Tom entrer dans l’unité et courir vers moi. Nous nous embrassâmes langoureusement, ses jambes s’accrochant à mes hanches et mes mains à sa taille. Il était là, dans mes bras, pour de vrai. Cela faisait si longtemps que j’avais oublié la sensation de bien-être que me procurait le fait de toucher son corps. Je l’aurais pris contre le mur auquel je m’appuyais si Mama n’était pas intervenue pour nous séparer. Mama et son autorité spectaculaire, elle aurait pu nous faire faire n’importe quoi mais elle n’utilisait son pouvoir que pour le bien. Je me détachai de Tom pour sauter dans ses bras. Comme elle m’avait manqué elle aussi ! Je les présentai rapidement à Matthieu qui attendait à quelques mètres de nous et l’embrassai sur la joue pour le rassurer puis nous partîmes pour notre maison des deux prochains jours. Nous fûmes agréablement surpris par une bouteille de liqueur qui n’attendait que nous sur la table de la cuisine, Mama l’ouvra et insista pour la mélanger à un jus d’orange qui traînait dans le frigo. Mon contact m’ayant dit de faire comme chez moi et ayant même fait les courses pour nous, nous nous en donnâmes à coeur joie. Matthieu, si calme, si discret, accepta sans mal un verre de liqueur histoire de se détendre un peu. Il fallait dire que Tom et Mama étaient impressionnants tant ils étaient sûrs d’eux et déterminés à se faire entendre. Tom tentait de tenir tête à Mama pour avoir de l’alcool pur mais Mama, si forte, si fière, ne le laissa pas faire et le disputa à plusieurs reprises. Voyant que Matthieu buvait sans rien dire dans son coin, je le pris un moment à part pour m’assurer qu’il allait bien.

   - Tu n’es pas très bavard aujourd’hui, commençai-je.

   - Ta famille est impressionnante, je ne sais pas quoi leur dire, continua-t-il.

   Je fis mine de réfléchir. Ni Tom ni Mama n’étaient branchés fantaisie mais il y avait bien une chose qu’ils avaient tous les trois en commun :

   - Vous pourriez parler de moi, plaisantai-je.

   Il souria, soupira puis se rapprocha de moi.

   - Ha-ha, ce que tu peux être marrant.

   - Moi ? Un vrai clown.

   Il gloussa, entortilla ses doigts autour des miens et se pencha pour m’embrasser. Je posai ma main libre contre sa joue et mes lèvres contre les siennes, puis je fis tourner ma langue dans sa bouche, l’absorbant presque. Il s’éloigna de moi pour reprendre son souffle puis revint lentement entre mes lèvres. Je le repoussai d’une main et admirai son visage toujours si prêt du mien un instant avant de lui demander :

   - Tu es en train de me séduire pour ne pas avoir à sociabiliser ?

   - Non, mentit-il.

   Je riai. Il était si mignon, il n’avait pas besoin de faire grand chose pour m’hypnotiser. Je m’apprêtai à l’embrasser de nouveau quand Tom nous interrompit :

   - Ah-ha, je le savais ! Vous vous faites des bisous sans moi !

   Matthieu fit quelques pas en arrière tandis que Tom s’avança dans la pièce, criant à l’injustice et réclamant sa part de bisous que je ne tardai pas à lui offrir, puis je tirai Matthieu par la manche.

   - Pas besoin de faire de jaloux : j’ai assez d’amour pour deux, déclarai-je.

   - Moi aussi, continua Tom en examinant Matthieu.

   Celui-ci s’empourpra légèrement puis murmura un << Ca m’a l’air plus simple que de sociabiliser >> avant d’embrasser mon autre copain qui lui répondit avec entrain. Je pris place derrière Matthieu et commençai à lui faire des baisers dans le cou pendant qu’il embrassait toujours Tom a pleine bouche et après cela, les vêtements ne tardèrent pas à tomber. Nous nous déplaçâmes vers le lit qui trainait dans un coin de la pièce et laissèrent nos corps s’entremêler. Mama avait trouvé la piscine dehors et s’était installée à l’intérieur avec un bon verre de liqueur pour faire passer la chaleur de l’été qui se terminait. La nuit tomba bien vite et bientôt, nous nous rejoignîmes tous dans la cuisine pour un dernier verre avant d’aller nous coucher. Nous parlâmes longuement de nos relations les uns par rapport aux autres et j’avouai ne pas savoir comment nommer mes amours maintenant qu’ils étaient quatre. Certes, ce n’était pas sexuel avec Mama mais je l’aimais comme j’aimais Tom ou Matthieu. Nous réfléchissions à un mot adéquat quand Mama proposa :

- Couple, trouple, les mots ont la même terminaison. Pourquoi ne pas la reprendre et créer un nouveau mot ? Un couple à quatre, ce serait un Quple.

Ce nouveau terme nous mit tous d’accord. Et puis, après tout, on pouvait garder le même mot en remplaçant juste le Q par un C si nous venions à rajouter un membre à notre petit quatuor. C’était parfait. Le Cuple était né. Quple, Cuple, le mot tournait toujours dans ma tête quand nous fûmes rentrés de notre permission. Peu importe l’écriture, sa sonorité résonnait avec quelque chose de profond en moi. Je me sentais chez moi dans ce nouveau mot, tout comme je me sentais chez moi avec mes amours.

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