VI

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Quatre mois passèrent dans cette petite unité de soin. Tom et Mama revinrent nous voir Matthieu et moi quelques fois et je dûs bientôt sortir pour retourner vivre dans leur région ; mon père et sa petite famille avaient arrêté de donner signe de vie une fois que le psychiatre lui avait confirmé que je faisais une dépression alors je dûs repartir vivre chez ma mère à 4h de Matthieu. Il me promit cependant de venir nous rejoindre une fois son bac passé alors je l’embrassai une dernière fois et je quittai notre clinique. Après quatre mois de passés sans pouvoir me faire plus de mal que nécessaire, je pensais que je vivrais beaucoup mieux ma sortie mais ce fut tout l’inverse ; le fait de me retrouver dans la même ville que Max fut très dur à supporter, ma peur monstre et mes angoisses revinrent me hanter. Je le cachai aussi bien que je le pouvais pour ne pas inquiéter Tom et Mama qui s’étaient déjà faits tant de soucis pour moi mais je ne pus résister aux pulsions auto-destructrices qui me prenaient le corps violemment. Je ne gérais plus du tout la sensation de manqua qui m’enveloppait le bras gauche et résonnait avec la cicatrice que Max m’avait laissée. Il me suffit d’un moment d’inattention, j’oubliai de fermer la porte de la salle de bain alors que j’étais chez Mama avec Tom une seule fois et celui-ci déboula sans crier gare pour utiliser les toilettes. En le voyant entrer, je lui criai dessus pour le forcer à sortir mais il me vit saigner et s’arrêta net, puis se dirigea vers moi pour m‘aider.

- Qu’est-ce que tu as ? Tu saignes ! s’écria-t-il.

- C’est rien, laisse-moi. Dégage, Tom !

Mais il ne bougea pas. Il s’empressa de chercher la trousse de secours de Mama dans son placard, en sortit des compresses, des bandages et du désinfectant puis revint s’installer devant moi. Il hésita un instant en voyant la petite lame trapèze dans ma main, il admira mes coupures toutes fraîches et des larmes lui embuèrent les yeux quand il comprit que je m’étais fait cela moi-même. Il tenta de les retenir tant bien que mal tandis qu’il approchait le désinfectant de mes jambes. Je le rejetai d’un bras.

- Ne regarde pas ! Je n’ai pas besoin de ton aide, sors, le suppliai-je.

- Je sais très bien que tu souffres, tu ne peux pas me cacher que tu vas mal et je ne peux rien faire pour t’aider. Laisse-moi au moins panser tes plaies.

Je cessai de me défendre et cédai à ses larmes, détournant le regard pour ne pas le voir pleurer pendant qu’il s’occupait de mes coupures. Il les désinfecta et les banda sans un mot, repoussant un hoquet d’effroi en constatant la profondeur de mes plaies. Je fis mine de l’ignorer mais je savais que je lui brisais le cœur. Quand il eut fini, il me prit le visage entre ses mains pour me forcer à le regarder et me dit :

- Je t’aime, ça ne veut pas dire que je ne veux être là que pour les bons moments. Je veux voir tes côtés les plus sombres et moches et t’aimer quand même. Je t’aimerai quoi qu’il arrive alors n’aies pas peur de te confier à moi, tu peux me faire confiance.

Des larmes coulèrent du coin de mes yeux. Je savais qu’il m’aimait et je savais que je pouvais lui faire confiance mais c’était si dur d’en parler. Je me sentais si coupable.

- Pardon, lui répondis-je simplement.

- Ce n’est pas de ta faute, c’est la faute de Max. C’est lui qui t’a brisé.

Il avait raison, je savais que ce n’était pas de ma faute mais je ne pouvais pas m’empêcher de me blâmer. Après tout, c’était ce que l’on m’avait appris ; tout était de ma faute. Je m’écroulai dans les bras de Tom, ne sachant pas quoi faire d’autre et nous restâmes là un moment à pleurer. Je me sentais si léger maintenant que je partageais mon secret avec Tom. Désormais, il allait falloir l’avouer à Mama. J’attendai le soir qu’elle rentre nous faire à manger puis une fois les pieds sous la table, je me lançai :

- Mama, je..

Ma voix s’éteignit. Les larmes commencèrent à monter. J’inspirai puis expirai un grand coup avant de reprendre.

- Je me fais du mal depuis que je suis parti. Je me coupe.

Je gardai la tête baissée, craignant la réaction de ma mère adoptive mais celle-ci me prit tendrement la main et soupira.

- Est-ce que tu me laisserais jeter un coup d’œil pour vérifier que ce n’est pas infecté ?

Je relevai la tête d’un coup, choqué par sa réponse. C’était tout ? Pas de colère, pas de cris, pas de mépris ? Enfin, à quoi d’autre pouvais-je m’attendre ; c’était ma maman. Je lui fis oui de la tête et me leva pour tomber dans ses bras, soulagé que cela se soit si bien passé. A partir de là, Tom et Mama m’aidèrent à prendre soin de mes plaies et à diminuer mes séances d’auto-destruction en calmant mes pulsions avec des massages. Ils furent tous deux à l’écoute et, bien que j’avais toujours du mal à parler de Max et de ce qu’il m’avait infligé, je m’ouvrais sur mes émotions, leur partageant comment je me sentais chaque jour. Mon état s’améliora significativement en quelques mois et bientôt, j’étais presque le même ado souriant qu’avant. Je me sentais si léger avec Tom et Mama à mes côtés.

Entre temps, je retrouvai Dys chez notre mère biologique. Quel bonheur de pouvoir enlacer de nouveau ma petite sœur préférée, la prunelle de mes yeux, mon bébé à moi. Elle m’avait tant manqué. Elle avait désormais l’air si fière et heureuse du haut de ses 14 ans, comme moi à son âge mais avec un peu plus d’amis et un grand frère pour la protéger des mauvaises rencontres. Tom, quant à lui, me raconta toutes ses conquêtes en me montrant les trophées qu’il avait récupérés ça et là. Deux ans avec moi l’avaient complètement transformé ; il était devenu beaucoup plus ouvert sur sa sexualité me confiant qu’il pensait être pansexuel et il le vivait bien. Il avait tout comme moi de nombreux plans cul, à la différence qu’il ne se faisait jamais payer ses services, préférant dépouiller ses victimes une fois sûr de ne plus les revoir. Il avait amassé un joli paquet de montres, bracelets en tout genre et billets de différentes couleurs durant l’année que j’avais passée loin de lui et me les montra avec fierté. Il gardait ses trésors cachés dans une grosse boîte en bois sous son lit, à laquelle j’ajoutai secrètement une vieille paire de boucles d’oreille et un peu d’argent pour l’aider à faire gonfler son butin. Il m’avait aperçu traîner près de sa boîte alors qu’il revenait des toilettes mais j’avais détourné son attention en lui offrant un strip-tease, ce qui avait parfaitement fonctionné. Nous étions si occupés à nous frotter l’un contre l’autre que nous n’entendîmes pas son père rentrer. En nous voyant presque nus l’un contre l’autre, il perdit le contrôle et dans un excès de rage, il m’attrapa par les pieds et me balança contre un mur puis saisit Tom de la même façon pour l’attirer vers lui.

- Je vais te montrer ce que ça faisait d’être gay ! cria-t-il.

Je n’attendis pas plus longtemps pour courir dans le salon et prendre la première chose qui me passa entre les mains -un énorme vase blanc couvert de veines bleutées. Je retournai dans la chambre alors que Tom se débattait contre son père qui le tenait d’une main et défaisait sa ceinture de l’autre, je brandis le vase aussi haut que mes bras le portèrent et le fis s’éclater en morceaux contre le crâne de notre assaillant qui s’écroula sur le lit. Du sang sortait de sa tête mais je n’y prêtai pas attention ; je pris Tom par le bras et m’engouffrais dehors sans prendre le temps de mettre des chaussures ou des vêtements. Nous courûmes jusque chez Mama et ce n’est que quand nous fûmes en sécurité derrière sa porte que la panique s’immisça dans nos esprits.

- Tu penses que je l’ai tué ?

- Peut-être, ce vase était super lourd.

- Oh non non non, je suis trop mignon pour aller en prison. Je vais mourir !

- Je ne te laisserai pas aller en prison, on n’aura qu’à dire que c’était moi. Oui, c’est moi qui l’ai tué.

- Tom, je ne peux pas te laisser aller en prison non plus. Qu’est-ce que je deviendrais sans toi ?

Les larmes me montèrent brutalement aux yeux. J’avais tué quelqu’un. Je l’avais frappé de toutes mes forces, il devait être mort. Est-ce qu’il respirait encore quand nous nous étions enfuis ? Comment le savoir ? Je me mis à pleurer à chaudes larmes tandis que Tom décida d’appeler Mama pour expliquer la situation. Je tremblais dans ses bras, trop paniqué pour parler. J’allais aller en prison. Combien de temps allais-je rester enfermé ? Avec qui ? Et si je me faisais attaquer, comment me défendre ? Tom raccrocha et se mit à pleurer avec moi. Nous allions encore être séparés. Ou nous pourrions dire que nous l’avions fait ensemble ? Mais je ne supporterais pas qu’il soit blessé à cause de moi. Je le serrai plus fort dans mes bras, je ne voulais plus jamais le lâcher. Soudain une idée me vint : il fallait cacher le corps. Peut-être que Mama pourrait faire quelque chose, elle qui connaissait tant de monde. Il n’était pas trop tard, personne ne devait nous avoir vus. Enfin, deux ados en caleçon dans la rue, cela passe difficilement inaperçu. Je pensais et pensais à m’en faire un trou dans la tête quand la sonnerie du téléphone de Tom retentit ; c’était Mama. Tom mit le haut-parleur pour que je puisse entendre également, priant pour une bonne nouvelle quand la voix de Mama s’exclama :

- Il va bien, il est aux urgences. Il est un peu secoué mais il va vivre.

- Il est vivant ? s’étonna Tom.

- Oui, il est vivant, confirma Mama. La prochaine fois, choisissez un vase plus lourd.

Comme Tom lui avait raconté que c’était suite à sa réaction on ne peut plus homophobe que je l’avais assomé, nous ne savions pas si c’était une blague ou non et nous ne cherchâmes pas à en savoir plus. Après cet incident, Tom ne retourna jamais chez lui. Son amas de trésor fut perdu pour toujours mais il se promit d’en accumuler plus encore et je l’aidai avec joie. Nous commençâmes à sortir ensemble à la recherche de cibles faciles au début puis de victimes plus risquées mais aussi plus rémunérantes ensuite. Nous nous fîmes une jolie récolte de montres, bijoux de luxe, produits de beauté et parfums avec de bonnes sommes d’argent en liquide. Nous y passâmes des mois, à coucher à droite à gauche et à nous moquer de nos conquêtes, à comparer nos trophées jusqu’à ce que nous nous fassions prendre. Un grand homme blanc dans la trentaine que nous avions dépouillé quelques nuits auparavant nous reconnut et nous prit en chasse. Nous sortions de soirée et nous avions beaucoup bu, il ne nous fallut pas longtemps avant que l’un de nous ne tombe ; Tom dérapa en descendant des escaliers et se cassa le bras. Je m’empressai d’aller vers lui pour vérifier que tout allait bien mais fut surpris de voir un morceau de son os ressortir de son avant bras. L’homme nous rattrapa mais je le fis fuir rapidement en lui promettant de dire à la police qu’il avait couché avec des mineurs s’il ne nous laissait pas tranquilles, après quoi il disparut sans se battre davantage pour sa montre et sa petite fortune volées et j’en profitai pour emmener Tom aux urgences où Mama travaillait. Malheureusement, elle était de repos ce jour-là et le personnel médical demanda à contacter nos parents. Tom fut pris de panique en entendant cela, me répétant qu’il ne pouvait pas voir son père alors j’appelai ma mère biologique en lui faisant promettre de ne pas contacter les parents de Tom. Quand elle arriva à l’hôpital, je la pris à part pour la remercier de s’être déplacée bien qu’elle ait toujours préféré Max à Tom mais celle-ci ne tarda pas à m’avouer que le géniteur de Tom était en route, me forçant à choisir entre elle et Tom.

- Si tu pars rejoindre Tom, ma porte te sera fermée pour toujours, m’avait-elle lancé.

- Soit, lui avais-je répondu.

Et sans un regard de plus, je tournai le dos à ma génitrice pour la dernière fois. Je sortis Tom de l’hôpital en douce avant que son père ne le trouve et nous nous retrouvâmes tous deux à la rue. Au moins nous étions ensemble, et puis nous avions Mama ; elle accepta de nous loger tous les deux dans sa chambre d’amis et refusa de nous faire payer le loyer alors nous nous rachetions en lui offrant des cadeaux.

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