VIII

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    Quelques mois avant mes 21 ans, je rencontrai Chris. J’organisais un anniversaire pour la toute première fois pour le fils d’une habituée quand je la vis dessiner dans son coin. Elle était plus jeune et plus petite que les autres enfants, elle n’arrivait pas à suivre leur rythme pendant qu’ils s’amusaient à se courir après alors elle restait à l’écart. Je m’approchai d’elle, admirant ses jolies boucles rousses, et commençai à dessiner avec elle pour lui tenir compagnie. Elle me dévora des yeux tandis que je reproduisais son portrait à la va-vite. Elle n’avait même pas 2 ans, elle devait être facilement impressionnable, pensai-je. Elle était si mignonne avec ses petites mains et ses joues pleines de feutres, elle avait dû s’essuyer les doigts sur son visage sans y faire attention, et ses grands yeux bruns me faisaient fondre. Les autres enfants vinrent me chercher pour jouer après que je me sois absenté trop longtemps et je fis signe à la petite rousse de me suivre, elle me prit par la main sans me lâcher des yeux. J’aurais voulu la ramener chez moi et la garder pour toujours mais elle devait avoir une famille, et une assez aisée pour combler tous ses petits désirs vu chez qui elle se trouvait. L’heureux élu qui célébrait sa fête poussa ma nouvelle protégée en la voyant arriver avec moi et je le maudissa en secret de s’en être pris à une enfant si adorable, je la pris dans mes bras et me mis à la consoler de peur qu’elle soit blessée quand elle se mit à pleurer en tendant les bras vers moi. Je la soulevai pour l’enlacer et la gardai dans mes bras le temps de lancer les autres enfants dans une partie de cache-cache.

   - Ne fais pas attention à lui, lui murmurai-je en parlant de son assaillant. Sa méchanceté finira par lui retomber dessus, tu verras.

   Je passai le reste de la journée à jouer avec eux, la petite dont je ne connaissais pas le nom toujours collée à moi et tout se déroula sans plus d’accroc. Je les emmenai faire la sieste en fin d’après-midi puis en profita pour m’éclipser avec trois charmantes mamans qui avaient besoin de réconfort. Je revins à temps pour le réveil de ma protégée et de ses congénères, ensuite leurs parents ne tardèrent pas à venir les chercher. Je découvris avec horreur que ma protégée portait un prénom bien trop élégant pour sa bouille d’ange couverte de feutres et décidai de raccourcir son prénom pour la renommer Chris. Cette dernière refusa de repartir avec ses parents et se précipita dans mes bras du haut de ses petites jambes, je fus si touché que je dus me retenir de ne pas pleurer. Après maintes tentatives pour l’ôter de mes bras sans la faire pleurer, ses parents durent se rendre à l’évidence ; j’étais la nounou dont ils avaient tant besoin. Ils avaient l’air complètement dépassés. Je rentrai donc avec ma précieuse Chris pour la coucher et fus embauché par ses parents pour m’occuper d’elle tous les jours de la semaine du matin au soir. Au début, je fus ravis de pouvoir passer plus de temps avec ma protégée mais plus le temps passait, moins ses parents se montraient présents. Ils blâmaient toujours leur travail pour ne pas rentrer la coucher le soir mais quel genre de travail demandait autant d’une personne ? Bien vite, cinq mois passèrent et l’été me refroidit le cœur ; les parents de Chris ne semblaient toujours pas prêts à se montrer pour plus de quelques heures et j’avais besoin d’une pause. La pole dance et la chaleur de mon petit strip club me manquaient alors je retournai y travailler de nuit, continuant à m’occuper de Chris de jour. Certains visages avaient changé depuis mais certains, comme celui de ma sœur de cœur, Missy, restaient inchangés. Elle m’accueillit à bras ouverts et se fit un plaisir de me présenter à toutes les nouvelles têtes. Parmi elles se trouvait Ysalis, une jeune fille noire d’à peine 19 ans au regard d’un vert profond qui m’hypnotisa directement. Je me liai vite d’amitié avec elle autour de notre passion commune pour la danse et nous devînmes bientôt un duo de choc sur scène. Nous dansions ensemble sur la pole, nous servant du corps de l’autre comme d’une extension du notre. Sur scène, nous étions en synchronisation totale. En dehors, c’était plus compliqué. Elle savait que je fondais pour elle et s’amusait sans cesse à me taquiner à coups de regards bien placés ou de petites caresses sur la joue. J’appris qu’elle avait un copain durant une soirée à laquelle elle m‘invita chez elle et je fus d’abord déçu mais j’avais tant espoir qu’elle m’aime aussi que je l’aurais crue polyamoureuse comme moi, surtout qu’elle était très tactile avec moi, même devant son amant. Spoiler alert : elle ne l’était pas. Elle m’utilisait simplement pour se rapprocher de son copain en le rendant jaloux. Ils consommèrent tous deux de la drogue dure devant moi, de l’héroïne, et m’en proposèrent même à plusieurs reprises mais je refusai à chaque fois, trop effrayé à l’idée que Mama puisse l’apprendre si je m’y tâtais et terrifié à l’idée de m’injecter un produit inconnu dans le corps. Je découvris les effets dévastateurs des addictions à travers Ysalis quand son amant finit par mourir d’une overdose et qu’elle plongea complètement dans la drogue ne sachant comment gérer son deuil. J’essayai de l’aider comme je le pus mais une chose qui ne changea jamais avec elle, c’est bien le fait qu’elle me rejetait toujours au final. Elle m’avait plusieurs fois laissé croire que j’aurais ma chance avec elle après que son copain l’ait plaquée mais il revenait toujours vers elle et elle le reprenait toujours, peu importe nos baisers perdus. Ne touchant pas assez pour nourrir son addiction, elle avait commencé à se prostituer en échange d’une dose. J’avais tenté de la calmer, je voulais qu’elle parte en désintox et qu’elle se refasse une santé. Je voulais juste m’occuper d’elle mais elle ne me laissa jamais faire. Chaque fois que je la suppliai d’arrêter, elle me rejetait d’une façon plus violente que la précédente : elle me répétait que je l’écœurais, qu’elle ne me choisirait jamais peu importe comme je me vendais à elle, puis elle disait me haïr et ne plus me supporter. << Tu ne me mérites pas, tu finiras seul >>, << Tu n’es pas mieux que moi, sale loser. Tu es pathétique >>, << Tu ne mérites même pas de vivre, c’est toi qui aurais dû mourir à sa place >>, << Est-ce que tu sais ce que ça fait de mourir ? Je vais te le montrer si tu continues de me tourner autour. Je vais te tuer ! >> sont quelques phrases qu’elle m’avait répétées plusieurs fois. Je n’en dormais plus. Je ressortais de mes nuits plus fatigué que la veille à force de lui courir après et de me faire rejeter mais je ne voulais pas l’abandonner. Je ne pouvais pas la laisser mourir elle aussi. Je devais la sauver, mais j’échouai et j’échouai et j’échouai encore, chaque échec me pesant plus lourd sur la conscience que le dernier. Tout ce travail était au-dessus de mes forces alors après des mois sans avoir rien que songé à me couper, je repris ma petite lame de scalpel que j’avais achetée spécialement pour me faire pleurer et la laissai embrasser mes cuisses qui devinrent très vite rouges. Je passai un moment là, à me taillader la peau en minuscules morceaux. Je voulais que mon corps disparaisse, que tout disparaisse. Je voulais juste avoir la paix enfin. Je me mis à sangloter, assis au fond de ma baignoire rouge sang, et ne pus retenir des hoquets de pleurs de me couper la respiration. Pour la première fois depuis longtemps, je pleurais à chaudes larmes quand j’entendis soudain la porte s’ouvrir. Matthieu me dévisagea avec de longs yeux fatigués et ses lunettes mal nettoyées avant de me demander :

   - Tu as besoin d’aide ?

   J’étais à bout. Je me sentais imploser et je voulais me décomposer. Je n’eus pas besoin de répondre pour qu’il comprenne que c’était sérieux. Il vit mes jambes ensanglantées, s’approcha pour me prendre la main puis s’éloigna pour aller chercher Mama au vu de la profondeur de certaines coupures qui étaient devenues blanches sous la peau. Mama débarqua bientôt, suivie de Tom et Alex qui avaient été réveillés par le boucan que Mama fit en cherchant la trousse des premiers soin. J’étais entouré de mes quatre amours et je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer alors je déversais mille larmes au creux des mains qui me caressaient les joues et les bras.

   Il me fallut une pause de presque quatre mois pour me remettre de ce que Mama appela mon burn-out. Quatre mois à ne m’occuper que de Chris et de moi sans m’inquiéter de rien d’autre. Pas de travail en plus, que des distractions déguisées en soirées entre amis ou en date avec mes trois amoureux. Je réparais petit à petit les différentes parties de moi qui s’étaient effondrées sous les mains des autres, je prenais enfin du temps pour moi et je pouvais sentir comme cela me faisait du bien. Je me mis à faire du drag avec un groupe de cinq drag queens surnommées les Queenies à qui Sugar, une de leurs membres, m'avait présenté un soir durant lequel j'avais besoin de me changer les idées et cela fonctionna bien. J’allais sur mes 22 ans quand je décidai de reprendre le travail au strip club. Missy avait été informée de mes problèmes avec Ysalis qui était partie entre-temps mais elle garda quand même un œil sur moi. Un soir, alors que je rentrais, j’avais eu la sensation déplaisante d’être suivi et j’en avais immédiatement parlé à ma sœur de cœur qui l’avait signalé à la sécurité du club. Je dansais bien et j’avais tendance à attirer l’attention des mauvaises personnes alors il m’était déjà arrivé de me faire agresser en sortant du travail, cependant cette fois-ci on ne prit aucun risque et Eli, l’un des videurs du club, se proposa pour venir me chercher et me ramener chaque soir. Ox était grand et assez baraqué mais ox avait un cœur tendre, aucune animosité n’émanait de lui. Ox portrait de courtes locs brunes remplies de bibelots argentés qui faisaient un bruit particulier que j’appréciais beaucoup dans le silence, bien que j’aimais également converser avec lui. Ox était doux et patient, ox mettait un point d’honneur à connaître toutes les personnes qui travaillait autour de lui et prenait toujours le temps d’écouter les autres quand ils avaient besoin d’une épaule sur laquelle pleurer. Je me sentais apaisé en permanence quand je le savais dans les environs, sa présence suffisait à faire fuir mes pires pensées dans mes moments de bas. En plus de cela, ox était mignon. Non, ce n’était pas le moment pour un autre brise-cœur. Je devais déjà me remettre d’Ysalis, je ne savais plus comment agir après elle mais Eli était si simple à aimer, et je voulais croire que lui s’en voudrait s’il venait à froisser mes sentiments. Il y avait quelque chose dans la façon dont il m’appelait << Gee >>, un surnom si personnel pour mon nom de scène, Glitter. Alors un soir où ox me ramenait chez moi, je l’embrassai devant ma porte d’entrée. A ma surprise, ox m’embrassa aussi puis me souhaita une bonne nuit et repartit. Le lendemain, ox m’organisa un petit date surprise sur le toit de notre strip club ; ox m’apporta du vin rosé et un bouquet de roses blanches pour me déclarer sa flamme en bonne et due forme. Ox avait vu la princesse en moi et avait su la charmer. Ox avait d’ailleurs développé la manie de s’adresser à moi uniquement au féminin et il y avait quelque chose dans la façon dont il m’appelait << sa princesse >>, ox me faisait planer haut dans le ciel. L’atterrissage fut difficile. Ox avait eu le temps de remarquer que j’évitais le sommeil comme un chat évite l’eau et nous avions longuement parlé de ma relation toxique avec Max et ce qu’elle m’avait coûté, ce fut l’une des premières personnes à qui je pus en parler. Ox m’aimait vraiment, je n’en ai jamais douté, mais je n’étais pas prêt pour une nouvelle relation. Je n’étais pas même prêt pour celles que j’avais déjà, je savais à peine comment fonctionnait une relation saine et ox craignait que ce soit trop pour moi. Ox me quitta, nous ne nous fâchâmes pas mais je ne me sentis pas capable de continuer de travailler avec lui après cela. C’était trop pour mon pauvre petit cœur, et j’étais terrifié de ce que je pourrais ressentir si ox venait à trouver un autre partenaire plus stable, plus à son goût. Alors ox me quitta et je quittai notre club. Nous partîmes chacun dans une direction différente en espérant simplement que nos chemins se recroiseraient tôt ou tard.

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