IX
Un mois après mes 23 ans et quatre mois après ses 18 ans, Gwen emménagea chez nous. J’étais allé le chercher seul à la gare, j’avais hâte de le voir pour lui offrir son premier baiser -sans compter le baiser qu’il me vola quand il eut 16 ans- mais quand je le vis, je réalisai avec horreur qu’il me dépassait de 30 bons centimètres. J’étais jusque là le plus grand du Cuple ; Alex était minuscule, Matthieu et Tom m’arrivaient à la bouche et Mama finissait à mes épaules. Non seulement Gwen faisait plus d’une tête de plus que moi, mais il était aussi beaucoup plus musclé. Je m’étais mis à la boxe pour devenir plus fort et j’avais commencé à porter des haltères mais tous mes efforts paraissaient bien vains devant la carrure de mon nouvel amour. Gwen ne comprit pas pourquoi je faisais la moue, lui qui était si heureux de pouvoir enfin vivre avec moi, mais quand je lui expliquai, il me rétorqua :
- Je me suis musclé juste pour pouvoir te porter comme une princesse mais je peux arrêter si tu préfères.
Il avait prononcé la phrase magique. Je rejetai gentiment sa proposition et lui assurai qu’il avait bien fait. Voyant mon excitation non contenue, il offrit de me porter jusqu’à la maison, ce que j’acceptai avec joie. En chemin, il me fit part de ses inquiétudes vis à vis d’Alex qu’il connaissait considérablement moins que les autres et avec qui il avait peur de ne pas s’entendre, à quoi je lui répondis << Qui pourrait ne pas t’aimer ? Tu es un amour >>, ce qui le rassura un peu. Il avait déjà rencontré Tom, Matthieu et Mama plusieurs fois quand il était venu rester quelques jours pour des Prides mais Alex était arrivé plus tard, ils n’avaient donc pas eu le temps de bien faire connaissance mais ils étaient tous deux de supers geeks, je n’avais aucun doute sur le fait qu’ils s’apprécieraient très vite et ce fut le cas. Le soir même, nous fîmes découvrir la ville de nuit à Gwen et c’est aux côtés d’Alex qu’il marcha le plus, tous deux pris dans leurs discussions sur un énième jeu vidéo dont je connaissais peu de choses. Nous croisâmes les Queenies qui nous rappelèrent notre plus gros problème du moment : notre trois pièces se faisait de plus en plus petit maintenant que nous y étions six. Heureusement, nous avions trouvé une nouvelle maison avec l’aide de quelques uns de mes habitués et nous y emménageâmes bien assez tôt. Plus qu’une maison, c’était un véritable manoir composé de sept chambres à l’étage et deux salles de bain avec un énorme sous-sol et une salle que nous nommâmes la salle de fête en plus du salon, de la cuisine et de la salle à manger au rez-de-chaussée. Il y avait plus qu’assez de place pour tout notre Cuple. Quand les Queenies y entrèrent pour notre pendaison de crémaillère, elles furent si agréablement surprises qu’elles faillirent emménager à leur tour. Elles commençaient à se disputer la chambre qui resterait vide quand j’intervins :
- Je compte bien profiter de mon nouveau pouvoir et dormir chaque soir dans un lit différent alors vous aurez deux chambres à vous partager.
- Matthieu et moi, on compte aussi dormir ensemble, renchérit Tom.
Ces deux-là s’entendaient de mieux en mieux depuis que Matthieu était arrivé. Ils avaient commencé à sortir ensemble peu de temps après et ils étaient désormais inséparables, cela me faisait tant plaisir de les voir s’aimer. Les Queenies continuèrent à se chamailler pour savoir qui dormirait où pendant un temps, puis Mama se mit à rire :
- Ne vous en faites pas, Skylar aura vite fait de nous ramener de nouveaux colocataires !
Je ne fus pas vexé par ses paroles ; il était vrai que je tombais amoureux avec une certaine facilité alors les chances que je rencontrais quelques amants à inviter à rester étaient grandes.
Notre soirée battait son plein quand nous manquâmes d’alcool. Gwen et moi nous portâmes volontaires pour aller en chercher et nous nous engouffrâmes bien vite dans la nuit qui se rafraîchissait enveloppés dans de gros manteaux. Nous achetâmes ce dont nous avions besoin et plus, au cas où, puis repartîmes vers la maison. En chemin, nous croisâmes une adolescente de pas plus de 17 ans assise seule par terre sur le petit parking devant l’épicerie de nuit où nous étions allés faire nos emplettes. Je sentis immédiatement que quelque chose n’allait pas et l’accostai donc en lui demandant ce qu’elle faisait là. Elle ne répondit pas mais je la vis frémir. Elle n’avait qu’un gilet sur les épaules mais je savais pertinemment que ce n’était pas le froid qu’elle craignait le plus. Je m’accroupis à son niveau pour lui parler :
- Je ne suis pas un pervers, promis. Je m’appelle Skylar et mon copain c’est Gwen.
- Tu veux une bière ? Ça te réchauffera, proposa ce dernier.
Elle se redressa un peu et prit la bière que mon amant lui tendait. Elle ne réussit pas à l’ouvrir de ses mains, Gwen lui reprit alors la bouteille pour la percer de son décapsuleur avant de la lui rendre. Elle nous regarda l’un après l’autre puis but une gorgée.
- Qu’est-ce que tu fais toute seule aussi tard ? retentai-je. Tu n’as pas d’endroit où rentrer ?
- Qu’est-ce que ça peut vous faire ? répondit-elle, sur la défensive.
- Si les rôles étaient inversés, je voudrais qu’on m’aide.
Elle me dévisagea quelques minutes. Ne sachant pas si elle pouvait me faire confiance, elle préféra ne rien dire. Nous l’observâmes boire en silence, nous asseyant à côté d’elle pour lui tenir compagnie un moment puis Gwen finit par se lever.
- Bon, c’est pas tout mais on est attendu, commença-t-il. Si tu veux voir des drag queens ou si tu veux plus d’alcool, tu n’as qu’à venir avec nous.
Jessica -je la nommais ainsi, ne connaissant pas son vrai prénom- sembla intéressée mais hésitante alors je pris sa bouteille de bière vide et la fracassai contre le sol avant de la lui tendre de nouveau.
- Comme ça tu peux nous planter au moindre geste suspect, lui expliquai-je.
L’idée parut lui plaire, elle prit son arme de fortune de ses deux mains et se releva pour nous suivre. Elle garda quand même ses distances mais je l’encourageai en lui criant << Allez, Jessica, tu peux le faire ! >> à chaque tournant. Quand nous arrivâmes finalement à la maison, les autres se moquèrent de notre petit groupe improbable :
- Vous vous faites racketter ? ria Tom.
Nous ne prîmes pas la peine de lui répondre mais nous leur expliquâmes que c’était pour voir des drag queens qu’elle nous avait suivi et les Queenies, folles de joie à l’idée d’avoir une nouvelle fan devant qui performer, se mirent à danser dans la grande court qui se trouvait devant la maison. Alex courut chercher de la musique et nous nous mîmes tous à encourager nos cinq stars tandis qu’elles mettaient des étoiles plein les yeux de notre invitée. Celle-ci fut tant prise d’émotion qu’elle se mit à pleurer, nous avouant qu’elle avait toujours souhaité assister à un drag show. Mama la couvrit de son manteau pour la réchauffer, lui demandant son nom. Elle hésita un moment puis se détendit.
- Je n’ai pas de nom. Enfin, je suis trans. Je n’ai pas encore trouvé de nom qui me convienne.
- C’est terrible ! m’exclamai-je. Tu m’as laissé te mégenrer tout ce temps ? Alors tu n’es plus Jessica mais Louis, comme le roi : un traître.
Louis pouffa. Les autres tentèrent de lui trouver un meilleur prénom mais c’était trop tard, l’adolescent accepta ce nouveau nom avec un énorme sourire lui saignant les lèvres. Il fut ajouté à notre liste de Chatons ; c’était le surnom que l’on donnait aux adolescents errants que nous trouvions parfois. Nous en avions déjà trois autres sous la mains, tous queers et tous à la recherche de représentation. Ils ne furent pas déçus en nous trouvant. Louis pleura encore un moment après que nous fûmes rentré dans la maison. Il fit la fête avec nous et le lendemain, Mama lui coupa les cheveux tandis qu’Alex lui offrait ses vieux binders pour cacher sa poitrine. Je ne pus m’empêcher de remarquer le sang séché sur la manche de son gilet et je pris donc notre nouveau Chaton à part le temps de le questionner.
- Je peux voir tes bras ? lui demandai-je gentiment.
Il parut surpris et tira sur ses manches.
- Je ne te jugerai pas, continuai-je. En fait, j’ai longtemps fait la même chose que toi. Je voudrais juste désinfecter tes plaies et en parler si tu le veux.
Il était trop tôt pour lui pour en parler mais il accepta de me montrer ses bras histoire de panser ses coupures. Je lui assurai ensuite qu’il pouvait se confier à n’importe qui ici et que je ne serai pas vexé s’il ne me choisissait pas. Il souria sous ses larmes et je l’enlaçai longuement avant de le rendre au Cuple et aux Queenies qui étaient tous excités à l’idée d’avoir un nouveau petit à chouchouter. Jesse, Giana et Jules, nos trois autres Chatons, arrivèrent dans l’après-midi et accueillirent le nouveau venu chaleureusement. Jules fut fou de joie quand il apprit qu’un nouveau garçon allait rejoindre leur groupe ; pour lui qui cherchait un partenaire romantique, c’était l’occasion rêvée. Mais tout son plan de séduction tomba à l’eau quand Louis avoua préférer les filles. Il passa les six mois qui suivirent à se plaindre d’à quel point c’était dur d’être gay dans une ville aussi grande et diversifiée que la notre. J’eus le temps d’avoir une aventure de quelques mois avec Sugar, ma Queenie préférée avec ses frisottis rouge pétant signature. Comme j’avais aimé me retrouver couvert de son rouge à lèvres et de traces de griffures laissées par ses longs ongles couleur sang. La seule chose qui me dérangeait chez elle, c’est qu’elle semblait performer en permanence sauf quand elle était habillée en drag. Je lui en avais parlé en lui demandant si elle se sentait mieux en tant que femme et elle m’avait plaqué sans explication. Je ne compris pas ce que j’avais fait de travers. En attendant, Jules continuait de se plaindre de ne pas trouver de copain alors je me concentrai sur ce que je pouvais faire et lui sortis un jour :
- Aujourd’hui, c’en est assez. Je vais te trouver le copain de tes rêves et pour se faire, je suis prêt à inviter tous les queers de la ville sur l’île que j’ai achetée !
- L’île que tu as quoi ? s’indigna Mama.
Celle-ci me regarda avec des yeux si ronds qu’ils ressemblaient à deux billes.
- Oui, reprenai-je un peu moins sûr de moi sous le poids de son regard, j’ai acheté une île avec une de mes clientes et on travaillait jusqu’ici à la rendre habitable pour en faire un paradis queer. Je pensais l’appeler Queerland.
- Tu as acheté une île !? s’écria Mama.
Je tentai de la rassurer en lui affirmant que ce n’était pas un coup de tête et que j’avais reçu beaucoup de donations de mes clients pour m’aider à donner naissance à ce projet, j’étais loin d’avoir tout payé moi-même. Je lui parlai de ma sugar mommy qui était une cliente mais aussi une amie bisexuelle à qui l’idée d’avoir un endroit safe où se réfugier du monde avait fait écho et qui avait investit encore plus que moi dans ce projet pour rendre l’île habitable et confortable. Il nous fallut deux mois de plus pour organiser un évènement et synchroniser nos calendriers avec toutes les personnes queers de notre entourage pour pouvoir se retrouver sur l’île en même temps. C’était la première fois que je la voyais en vrai et je ne fus pas déçu ; elle était incroyablement grande ! Quelques habitations avaient déjà été construites et un grand abri sous lequel se trouvait des dizaines de table se tenait devant nous, il ne manquait plus qu’à décorer. Le Cuple et les Queenies qui étaient venus tout préparer avec moi furent estomaqués devant la grandeur et le potentiel de l’île, à tel point qu’ils commencèrent tous à m’appeler Daddy en me demandant où poser les guirlandes que nous avions apportées pour l’occasion. Nous couvrîmes les cabanes d’ornements en forme de cœur -étant donné que tout ceci était pour trouver un partenaire à Jules- et installâmes les guirlandes lumineuses au plafond de l’abri qui nous servirait de salle à manger. Quand nos invités arrivèrent le jour suivant, l’île était pleine de ballons roses et de décorations en forme de cœur. J’entendis des cris de surprise et je vis des regards comblés ; Queerland plaisait. J’étais si fier de moi, j’avais tant investis dans ce projet et ma plus grande peur était que cette île ne remplisse pas sa tâche mais si elle plaisait alors tout allait bien. Il ne fallait plus que trouver un copain à Jules. La plupart de ses candidats vinrent vers moi en apprenant que j’étais celui qui avait acheté l’île mais je détournai leur attention vers Jules en faisant un annoncement quand il y eut suffisamment de monde. L’île se remplissa à une vitesse folle, ce dernier aurait donc l’embarras du choix. Il aurait fallu que l’univers travaille contre lui pour ne pas qu’il trouve. Pendant que Jules flirtait à droite à gauche, que les Queenies performaient devant leur plus grand public et que mon Cuple profitait de l’île, je pris Jesse à part.
- J’ai entendu dire que c’était ton anniversaire aujourd’hui, commençai-je.
- Ça veut dire que tu vas accepter de sortir avec moi ?
Celui-ci avait des vues sur moi depuis que nous nous étions rencontrés aux abords de son lycée une année auparavant et je ne comptais pas le faire attendre plus longtemps pour lui donner ma réponse. Je lui offris un baiser comme promis mais refusai gentiment de sortir avec lui, n’étant pas intéressé. Bien évidemment, il fut déçu mais notre baiser suffit à lui rendre le sourire. Suite à cela, Jules lancera la tradition selon laquelle j’acceptais d’embrasser toute personne queer le jour de ses 18 ans. Jules, quant à lui, se trouva finalement le copain idéal et nous repartîmes de Queerland tous heureux. Le fait que je fus le visage derrière ce projet me valut d’être mieux connu des centaines de queers que nous avions réunis et de leurs amis, et j’acceptai avec joie de goûter à la célébrité que cela m’apportait.
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