I
J’avais 14 ans quand je suis né pour la deuxième fois. C’était le début de l’année, le froid nous rongeait encore les doigts et les cours venaient de reprendre quand j’ai annoncé ma transidentité à mes proches. Les réactions furent mitigées ; une partie de ma famille ne me prit pas au sérieux et les quelques amis que j’avais disparurent après cela mais ma petite sœur, Dys, accepta cette nouvelle avec joie alors je me sentais capable d’affronter les remarques et regards désapprobateurs sans trop rien en penser. Seule son opinion comptait à mes yeux, le reste du monde pouvait bien aller se faire voir. C’est donc avec fierté que je m’affichais enfin sans plus un seul doute ni l’ombre d’un regret, bien qu’une longue période de doute et de questionnement précéda mon coming-out. J’avais passé presque un an à vivre comme un reclus avant cela, j’avais affronté le déni, la peur de ce que signifiait cette transidentité suivie de la terreur et des angoisses tard le soir quand j’imaginais ce qu’on me ferait pour avoir eu le malheur de naitre transgenre en lisant tous ces affreux articles qui contaient le résultat de la transphobie de certaines personnes. Une fois le pire moment passé et les émotions retombées, c’est le sourire aux lèvres que je répondais aux petits malins du collège qui s’amusaient à se moquer de moi ; si la pire réaction que je devais subir restaient leurs injures, je les laisserais chanter avec joie ! Après tout, ce n’est pas de leur histoire qu’il s’agit. D’ailleurs, pour être totalement honnête, je trouvais au regard bleuté du leader de ce petit gang quelque chose de plus mignon qu’effrayant, mais passons.
Cette année me réussirait bien, je le sentais. J’avais laissé mes anciens amis qui prirent mon coming out pour une mauvaise blague et mon ancienne vie de gamin terrorisé derrière moi ; j’étais désormais prêt à commencer à vivre pleinement en tant que garçon. Je devais pouvoir prendre des bloqueurs d’hormones sous peu et après ça viendra la puberté masculinisante, j’avais si hâte !
Les premiers mois d’attente passèrent plus vite que je n’aurais osé l’espérer. Je recevais toujours quelques regards en coin et on chuchotait parfois mon nom quand j’entrais dans une pièce mais à part ça, ma transition sociale se passait plutôt bien. La plupart des élèves prirent l’habitude assez vite de mon changement de pronom et les professeurs, eh bien, ils firent de leur mieux malgré quelques gaffes. Je ne pensais honnêtement pas que cela ferait aussi peu de vagues. Enfin, c’est sans compter sur Tom et sa bande d’imbéciles, toujours prêts à m’offrir quelques insultes que je contrais sur un ton léger. Mon calme imperturbable et ma confiance en moi inébranlable ne cèderaient rien devant les petits durs du collège. La seule fissure dans mon bouclier invisible que nourrissait Dys et ses milles sourires provenait du fait d’entendre mon deadname, ce prénom qui n’a jamais été le mien. Je ne pourrais pas l’écrire même si j’en avais la force. Mes détracteurs s’amusaient à me le cracher au visage ou à le tousser dans mon dos tant et si bien qu’un jour il en fut assez ; j’attrapai leur meneur par le col, le poussai contre un mur de casiers et lui lançai d’un ton ferme :
- Tu sais très bien que je ne m’appelle plus comme ça.
- Je t’appellerai comme je le veux, siffla-t-il.
Ses mots me mirent hors de moi mais je tentai tant bien que mal de garder mon sang-froid. Je fis sonner ma main contre les casiers derrière sa tête et manqua de l’embrasser tant je m’approchai de lui pour m’assurer qu’il m’entende quand je lui ordonnai :
- Dis mon nom.
- Quoi ?
- Dis. Mon. Nom.
Je me rapprochai encore, ne laissant plus aucun espace entre son torse et le mien. Il hésita un moment puis bégaya << S-Skylar >> et s’empressa de disparaître dans la foule, assez vite pour que ses deux amis le perdent de vue. Ils me laissèrent quelques autres insultes en s’enfuyant mais après cela, plus personne n’utilisa mon ancien prénom. Je ne saurais jamais si c’était mon autorité et ma présence menaçante ou leur dégoût à l’idée de se faire embrasser par un trans qui leur fit si peur mais en tout cas, ce fut terriblement efficace.
Je le remarquai pour la première fois quelques jours après cet accroc. Il attendait non loin de la grille du collège. Il portait un jean déchiré et il faisait une tête de plus que tous les élèves même en courbant le dos pour se faire petit, il avait des cheveux mi-longs qui étaient bien rangés derrière ses oreilles et semblaient contenir des rayons de soleil entre leurs mèches et des yeux d’un magnifique bleu ciel avec une touche de brun en leur centre. Je me souviens m’être fait la réflexion qu’il n’avait pas l’air à sa place. Je passais à côté de lui et croisai son regard par inadvertance, suite à quoi je m’empressai de détourner le regard. Sa présence me perturbait mais je n’y fis pas attention. Au bout de quelques jours, je m’étais habitué à le voir à chaque fois que je sortais de cours. Le sixième jour, je pris le bus pour rentrer chez moi comme à mon habitude et je le vis monter après moi. Je n’en pensai rien. Le dixième jour, il descendit aussi à mon arrêt. Je n’en pensai rien. La semaine d’après, il changea d’itinéraire et passa jusque devant chez moi avant de continuer son chemin. Je n’en pensai rien. Le lendemain matin, je le retrouvai devant mon arrêt de bus pour aller en cours. Quelque chose ne tournait pas rond. A partir de ce moment, je le vis chaque matin et chaque soir en allant et sortant du collège. J’ai commencé à le voir quand je sortais avec ma petite sœur les weekends aussi, il semblait être partout. Alors un soir, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai accosté devant mon collège.
- Hé, on se connait ?
Il eut l’air surpris, comme s’il ne s’y attendait pas. Il regarda autour de lui pour vérifier que c’était bien à lui que je m’adressais et me sourit :
- Je crois bien, oui. Je m’appelle Max. C’est bien toi Skylar ?
Je mis un moment à me rappeler d’où on se connaissait, puis cela me revint :
- Max de Facebook ?
- Oui ! répondit-il tout enjoué. Tu te souviens bien de moi alors.
C’était un garçon avec qui j’avais beaucoup échangé en ligne durant mon questionnement mais que je n’avais jamais rencontré en vrai. Je ne savais même pas où il habitait.
- Qu’est-ce que tu fais là ? Comment m’as-tu trouvé ? demandai-je interloqué.
- Tu avais renseigné ton collège sur ton profil et je voulais te voir. Ça te dirait d’aller boire un verre ou autre ?
Je ne savais pas comment réagir. Ce moment me semblait irréel. Demander à un collégien de 14 ans d’aller “boire un verre” ? Et pourquoi me suivait-il ? J’avais trop de questions en tête mais je décidai finalement de le suivre chez lui pour plus d’explications. Il vivait étonnamment près du collège. Quand je lui demandais ce qu’il faisait vers chez moi, il ne tarda pas à avouer qu’il me suivait. << Je ne savais pas comment t’aborder >> m’affirma-t-il, et je le crus. Il me servit ensuite un grand verre de jus d’orange auquel il ajouta un fond de vodka. Je découvris quelque chose d’important ce jour-là : l’alcool. Nous parlâmes longtemps de ma transition puis de ma vie scolaire, il ne me raconta pas grand chose sur lui mais il m’écouta très attentivement et j’appréciai d’avoir une épaule contre laquelle m’appuyer après tout ce temps de solitude ; je n’avais plus personne avec qui échanger autre que ma soeur et je ne pouvais pas tout lui dire. Je manquais cruellement d’amis et Max tomba au bon moment, j’accueillis sa compagnie avec joie. L’alcool me faisait légèrement tourner la tête et donna à cette soirée une dimension des plus fantastique. Le soleil se couchait dehors et dedans, je récitais des mots comme une chanson sans fin. Quand il fut l’heure de rentrer, j’acceptai sans mal de le revoir le lendemain. Nous nous vîmes régulièrement après cela, le temps passa très vite et bientôt il m’embrassait pendant que je divaguais encore. Je sentis ses joues chaudes contre les miennes, ses longs doigts autour de mon visage et je l’embrassai aussi.
- Je te veux pour moi tout seul, me murmura-t-il entre deux baisers.
- D’accord, répondis-je simplement.
Et ce fut cela. Nous fûmes un couple. Notre première fois ensemble arriva peu de temps après ; il me demanda << top ou bottom ? >>, je répondis << top >> et il me guida, d’abord avec nos doigts puis avec un jouet qu’il gardait dans un tiroir près de son lit. J’éprouvai un certain plaisir à le faire jouir mais quand il me proposa d’en faire de même avec moi, je me fis petit en lui disant non. Je ne voulais pas être touché de la façon dont j’avais tant aimé le toucher, je préférais amplement donner plutôt que de recevoir et il l’accepta sans mal. Il commença à m’inviter à des soirées alcoolisées remplies de lycéens tout comme lui ou de personnes déjà majeures, et je fus bien accueilli mais j’eus du mal à trouver ma place. Je passais mon temps accroché à Max ou à mon verre comme si ma vie en dépendait. Une de ses amies le remarqua et me tint la main durant ma première soirée, elle resta à mes côtés quand mon copain fut appelé dans une autre pièce et je l’en remerciai intérieurement. Je ne pus m’empêcher de deviner sa poitrine voluptueuse à travers son débardeur blanc duquel dépassait son soutien-gorge noir aux contours en dentelles. Je ne sais pas ce qui m’attira le plus : ses formes ou la lingerie qu’elle portait si bien. Elle dut s’en apercevoir comme elle me demanda si je voulais toucher, je n’étais pas sûr de quoi elle parlait mais je lui dis << oui >> et elle posa ma main contre son sein gauche. C’était doux et tout mou, c’était étrangement agréable à toucher. Je me sentis comme un enfant jouant avec une balle en mousse. Un enfant à moitié bourré perdu dans la cour des grands. Elle se rapprocha de moi et me demanda un baiser. En la voyant si près de mon visage, je ne pus m’empêcher de tendre mes lèvres jusqu’à atteindre les siennes ; elles étaient douces et pulpeuses. Son corps était si différent de celui de Max et pourtant si similaire à la fois. Max. Je la repoussai d’un coup.
- Je ne peux pas, je sors avec Max, répliquai-je.
Sans aucune hésitation, elle se releva en me prenant la main et m’amena dans la pièce d’à côté où Max riait de je-ne-sais-quoi avec trois autres personnes. Elle se dirigea vers eux et coupa court à leur discussion en s’écriant :
- Dis, Max, je peux coucher avec ton copain ?
Je crus que mes oreilles me jouaient des tours quand j’entendis cela. Max se tourna vers nous, nous dévisageant chacun notre tour, puis répondit :
- Seulement s’il en a envie aussi.
Je ne comprenais pas bien ce qu’il se passait mais je suivis le mouvement quand son amie me tira vers une pièce vide. Ce n’était pas comme si l’idée me déplaisait alors pourquoi en faire toute une histoire ? Une fois la porte de la chambre refermée, elle se tourna rapidement vers moi et m’embrassa à pleine bouche. Je me rendis compte que je ne connaissais même pas son nom, je lui demandai donc poliment mais elle ne m’offra comme réponse que son rire envoûtant et un nouveau baiser. Ce n’était pas important. J’avais envie de la toucher, je voulais la voir jouir comme je l’avais fait avec Max. Elle me guida, la voix tremblante de désir et je me sentis bien. J’avais trouvé ma place. Quand je lui expliquai ensuite que je n’avais pas besoin de réciprocité, elle fouilla dans ses poches et en sortit un billet de 20 euros qu’elle me tendit. << Pour tes bons services >> me souria-t-elle. Je ne comptais pas accepter son argent au début, puis elle m’avoua qu’elle se sentirait coupable de me laisser repartir sans rien alors je pris son billet et le fourrai dans ma poche pour lui faire plaisir. Ce fut ma première aventure, et sûrement la plus marquante. D’autres suivirent, et d’autres encore. On m’offrait des bijoux, de l’alcool ou de l’argent à chaque fois, j’avais la sensation que le monde m’appartenait. Mon frère se moquait de moi en me traitant de “pute” parce qu’il ne voyait qu’une explication à la montagne de cadeaux que je faisais à notre petite sœur une fois rentré à la maison et il n’était pas bien loin de la vérité ; bien que je ne considérais pas cela comme de la prostitution, le terme ne me dérangeait pas. Mon apparence changea en conséquence, je devins beaucoup plus à l’aise avec mon corps malgré ma poitrine qui semblait ne pas vouloir s’arrêter de pousser et bientôt je laissais mes conquêtes me peloter sans gêne.
La seule qui eut un problème avec la sexualisation grandissante de mon corps d’adolescent se faisait appeler Mama, une femme imposante de part sa morphologie ronde et sa peau foncée. De tous les amis de Max, c’était bien elle qui paraissait la plus mature. Personne ne connaissait son véritable nom mais cela n’avait pas d’importance. Elle fut la seule à s’étonner de mon si jeune âge, elle lança un regard désapprobateur à Max quand elle l’apprit et veilla toujours à ce que je sois bien traité. Plus qu’une amie, elle fut une figure maternelle importante dans ma vie de collégien. Je pouvais tout partager avec elle et elle m’écoutait simplement en me caressant doucement la tête ou en tressant mes cheveux frisés. C’est elle qui me conseilla de tenter de me faire des amis de mon âge quand elle réalisa à quel point la solitude me pesait sur les épaules. Après tout, les amis de Max n’étaient que cela ; les amis de Max.
Alors à l’arrivée du printemps, après avoir commencé les hormones, je pris mon courage à deux mains et écrivis à Tom pour l’inviter à une soirée à laquelle je ne voulais pas aller seul. Pourquoi Tom ? C’est très simple ; j’avais un faible pour lui et j’étais persuadé que lui aussi, quelque part, m’aimait bien malgré que son comportement semblait vouloir prouver le contraire. Sa façon de remettre ses cheveux bruns presque noirs en place d’un secouement de tête m’hypnotisait à chaque fois et de toute façon les autres élèves m’évitaient à cause de mes relations avec des personnes plus âgées. Je devais leur paraître plus impressionnant que je ne l’étais vraiment. J’utilisai donc le compte Facebook d’une amie de Max pour convaincre Tom de venir seul à une soirée le weekend qui venait en lui promettant de l’alcool et l’attention d’une paire de jolies filles. Il va sans dire qu’il mordu à l’hameçon et je le retrouvai le vendredi soir à attendre comme convenu devant l’arrêt de bus. Il comprit immédiatement qu’il s’était fait avoir quand il me vit mais je le rattrapai vite et lui proposai autant d’argent qu’il voulait pour faire semblant d’être mon ami une soirée, il me demanda 100 euros en pensant probablement que je refuserai mais je me dépêchai de les sortir de mon porte-monnaie et de les lui donner. Après quoi, il poussa un très long soupir et accepta. Il me fallut un effort monstre pour contenir mon excitation : j’avais enfin un ami ! Enfin, un faux ami mais un ami quand même. Une fois arrivés sur le lieu de la soirée, Tom resta collé à moi tel un enfant perdu, ce qui ne me déplut pas. Je lui appris comment se faire un flash avec de la vodka et du Red Bull, le mis en garde contre les risques de boire trop vite et lui conseillai de penser à boire de l’eau pour éviter la cuite trop rapide. Je pouvais voir que je l’impressionnais d’en savoir autant et j’en fus peu fier. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’il détourne le regard vers le petit groupe qui riait derrière nous. Je le vis observer longuement la jolie blonde aux yeux bleus qui pendait au bras de Max et semblait se nourrir de ses paroles sans prêter attention au reste alors qu’il me demanda :
- Hé, c’est qui ça ? Tu peux me la présenter ?
- Non, tu es censé être mon ami, répondis-je sèchement.
Il râla rapidement puis se ravisa. Elle avait l’air trop intéressée par mon copain pour le remarquer de toute façon. Je fis la moue. C’était donc ça son genre. Décevant. Avec mes cheveux frisés et ma peau métissée, je n’avais rien pour lui plaire. J’avais dû me tromper, peut-être était-ce une erreur de l’avoir invité. Mais il était si adorable ; il n’était clairement pas dans son élément mais il essayait si fort et il ne m’avait pas mégenré une seule fois depuis que nous étions arrivés, ce qui me laissa penser qu’il pouvait changer pour le mieux entouré des bonnes personnes. La nuit sembla passer à une vitesse folle ; Tom me maintint éveillé à coups de blagues en tout genre, il réussit même à détourner la jolie blonde qu’il convoitait des lèvres de Max à force de faire le pitre. Il me demanda entre autres pourquoi on diluait la liqueur mais pas le vin ni la bière et combien de chips je pouvais cacher entre mes seins -la réponse étant beaucoup. Nous buvâmes tant que nous titubions quand nous partîmes prendre l’air sur le balcon pendant que les autres se mettaient à fumer et il me fit rire si fort que je manquai de réveiller tout le voisinage, il dut me couvrir la bouche de ses mains pour me faire taire. Soudain son regard devint étrangement sérieux tandis qu’il me fixait, il retira ses mains de mes lèvres et s’avança vers moi lentement. Il allait m’embrasser. Il voulait m’embrasser. Je pris peur à l’idée que ce soit juste l’alcool qui lui soit monté à la tête et qu’il puisse le regretter demain alors je l’arrêtai pour lui faire promettre de recommencer quand il aurait les idées claires demain matin et nous rentrâmes nous coucher. Si ce n’était pas pour tous les flashs que nous nous étions enfilés, je n’aurais probablement pas dormi de la nuit dans l’attente de sa réponse mais je dormis comme un bébé.
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