II
Je me réveillai le premier. Je profitai de mon temps seul pour déjeuner dans la cuisine quand Tom sortit de la chambre. Nous restâmes là, à nous dévisager l’un l’autre un moment avant qu’il ne s’approche de moi. Je l’observais, le cœur battant à mille à l’heure. Il me caressa la main du bout du doigt, puis remonta le long de mon bras jusqu’à mon visage. Il s’approcha encore et, sans un mot, il m’embrassa. Je l’embrassai aussi. Mes mains trouvèrent mécaniquement son corps et commencèrent à se frotter contre sa peau, il frétilla mais ne recula pas. Mes mains se firent plus insistantes, passant sous ses vêtements, défaisant le bouton de son pantalon. Je le sentis faiblir contre la table et le poussai au-dessus de celle-ci, il suivit le mouvement en m’emmenant avec lui, ses mains collées à mes joues et sa langue dans ma bouche. Je le fis jouir contre mon t-shirt noir, il s’excusa de m’avoir sali mais je ne pouvais pas m’en foutre plus. Je continuais de l’embrasser dans le cou, sur les joues, sur la bouche, je l’embrassais à en oublier tout le reste quand un rire étouffé se fit entendre dans la pièce. A l’autre bout de la pièce, trois têtes dépassaient de la chambre et nous fixaient tout sourire. Max toussa un << puceau >> dans sa manche. Tom prit la mouche et se rhabilla d’un coup, le visage pourpre.
- Tu te fous de moi depuis le début ! explosa-t-il.
Je ne comprenais pas de quoi il parlait mais je vis bien qu’un énorme malentendu s’était créé. Je tentai de l’arrêter dans son élan mais il partit en coup de vent en emportant ses affaires avec lui. Je jurai dans la direction de Max et sortis en courant sans mettre mes chaussures pour rattraper Tom.
- Tom, attends…
- Tu t’es bien amusé à m’humilier devant tes potes, hein !? s’écria-t-il.
Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’il se jeta sur moi pour m’insulter de tous les noms en me repoussant violemment.
- Je savais que je n’aurais pas dû venir. Je le savais. Ce n’est qu’un jeu pour toi, sale pute. Je te hais, je te déteste !
Ce furent des mots très durs à entendre de sa bouche. Il ne fit pas attention aux larmes qui coulèrent sur mes joues, trop occupés à retenir les siennes au bout de ses grands yeux bleus, et s’en alla en jurant encore. Je ne lui courus pas après, je le laissai partir et restai seul au milieu du trottoir, le cœur en morceaux. Max me rejoignit peu de temps après, toujours tout sourire. Il s’arrêta net en me voyant pleurer, tenta de s’expliquer en m’assurant que << c’était juste une blague >> mais il était trop tard, Tom était déjà loin et il ne me pardonnerait pas. Je ne lui pardonnerai pas non plus. << C’est fini entre nous >> lui dis-je sans même me donner la peine de le regarder. Il ne me prit pas au sérieux mais je m’en foutais, je ne voulais plus jamais le voir et je savais exactement chez qui aller me cacher pour qu’il n’ose plus m’approcher.
J’arrivai devant l’immeuble de Mama un peu après midi. Max m’avait suivi tout du long mais quand il comprit chez qui j’allais me réfugier, il rebroussa bien vite chemin de peur que les foudres de ma mère adoptive ne s’abattirent sur lui. Celle-ci m’accueillit à bras ouverts et m’offrit mon plat préféré ; du riz, du poisson braisé et du plantain frit. Elle m’écouta lui raconter ce qu’il s’était passé, jura contre Max et me laissa passer la journée chez elle. Elle me fit couler un bain, me massa les épaules et les pieds et m’embrassa de nombreuses fois le front en gage de compassion. Elle était si douce, si généreuse, si chaleureuse. Je pleurai entre ses bras et cela me fit un bien fou. Je rentrai dormir chez moi ce jour-ci mais je revins m’émouvoir chez Mama durant des semaines après cela, me languissant de mes deux amours perdus. Avais-je pris la bonne décision en coupant les ponts avec Max ? Il me manquait tant mais il avait fait du tort à Tom, je ne pouvais pas rester sans rien faire. Et Tom, ce pauvre idiot ne m’adressait plus même un regard depuis l’incident. Il n’en finissait pas de me briser le cœur chaque fois que je l’apercevais. Max, au moins, je ne le voyais plus. Il semblait avoir totalement disparu de la circulation, personne ne l’avait croisé récemment ce qui me laissa penser qu’il devait se morfondre seul chez lui. Le pauvre. Après tout, il n’aurait pas pu prévoir que ses moqueries se retourneraient contre lui. Enfin si. Mais je ne savais plus, je n’étais plus sûr de rien. La seule chose dont je ne doutais pas c’est qu’ils me manquaient tous les deux. Je me sentais terriblement seul et je n’hésitai pas à le faire savoir à tout le monde ; je profitais des soirées qu’organisait Mama pour me plaindre longuement à nos amis en commun. Parmi eux, Elianne, une grand brune aux yeux verts, m’écoutait toujours en soupirant jusqu’au soir où c’en fut trop pour elle et elle me sortit d’un air désintéressé :
- Pourquoi tu ne vas pas juste t’expliquer avec eux au lieu de nous faire chier avec ça ?
Mon coeur se serra.
- Je vous fais chier ? demandais-je, les larmes au bord des yeux.
- Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, enfin… bafouilla-t-elle à moitié bourrée.
- Elianne, la menaça Mama une première fois.
- C’est juste que tu le répètes souvent, tu pourrais quand même changer de disque de temps en temps, sortit-elle finalement.
- Elianne ! répéta Mama.
J’arrivais à la fin de ma flasque de vodka, j’étais plus émotif que d’ordinaire et il ne m’en fallut pas plus pour que je me mette à pleurer. Elianne ne savait plus où se mettre, Mama se mit en colère et fit sortir tout le monde pour me laisser respirer. Elle s’assit par terre dans l’encolure de la porte de sa chambre avec moi et me prit dans ses bras. Elle me caressa les joues puis me fit faire des exercices de respiration pour m’aider à me calmer mais j’étais triste, je n’avais plus de chéri et je me sentais bon à rien. Mama tenta de me rassurer tant bien que mal, elle me força à avaler un grand verre d’eau comme ma tête tournait et je m’endormis en fin de compte dans ses bras. Le lendemain, une fois sobre, je pris conscience qu’Elianne n’avait pas tort ; je devrais m’expliquer avec Tom et Max si je voulais que la situation change. J’attendis donc lundi pour parler à Tom au collège. Dès que j’eus passé la grille à l’entrée, je me dirigeai vers son casier dans lequel il rangeait ses affaires pour la journée. J’allais lui adresser la parole quand un de ses amis m’arrêta pour se moquer de moi comme à son habitude, mais j’avais une mission aujourd’hui alors je le repoussai d’une main pour me rapprocher de Tom quand la main de mon troisième détracteur me stoppa net en m’attrapant par le coude. Je tentai de me débarrasser de lui quand mon coude frôla ses côtes, ce que ses amis virent de suite comme une attaque à sa personne et s’empressèrent de me couvrir de coups en me balançant par terre. Je perdis une de mes lentilles de contact en me prenant un coup de pied au visage que je n’avais pas vu venir dans la confusion puis j’entendis quelqu’un crier << Arrêtez ! >> mais les coups continuèrent de voler jusqu’à ce que le fameux quelqu’un s’interpose en rendant à ces grands imbéciles leurs coups. Ce quelqu’un ressemblait affreusement à Tom. Je voyais flou d’un œil alors je dûs plisser les yeux pour mieux l’apercevoir : même coupe de cheveux, même chemise verte, mais ce furent les voix qui me mirent la puce à l’oreille.
- Tom, qu’est-ce que tu fous ? s’indigna une première voix.
- Toi, qu’est-ce que tu fous ! Qu’est-ce que vous foutez !? Il est à moi, d’accord ? A moi ! Personne n’a le droit de le toucher parce que je l’aime. Oui, je l’aime, ok !? Et je m’en fous que ça fasse de moi un loser aussi débile que lui, je l’aime !
Je ne pus m’empêcher de sourire en entendant cela.
- Je t’aime aussi, lui répondis-je.
- Vraiment ?
Il me regarda -ou du moins, je pense qu’il me regarda- alors je pris finalement mon courage à deux mains et lui racontai le malentendu dont nous avions étés victimes. Il poussa un long soupir et se jeta dans mes bras pour m’embrasser. Je dévorai ses lèvres comme pour la première fois quand un surveillant nous sépara, croyant à une bagarre.
- C’est bon, je ne lui faisais pas de mal, rétorqua Tom en levant les mains au ciel.
Je ris. Elianne avait bien eu raison ; il suffisait de s’expliquer. Ce soir-là après les cours, Tom m’invita chez lui et m’embrassa encore. Il me demanda si son attirance à mon égard le rendait gay, je lui dit que cela n’avait pas d’importance et qu’il pouvait se définir comme il le voulait. Il me demanda comment j’avais su, moi, et je me revis une année plus tôt, à chercher désespérément comment savoir si j’étais bien trans et quelles démarches faire et comment l’annoncer à mes proches. Je me rappelai la peur qui me retournait le ventre quand je lui racontai mon questionnement. Puis je dérivais sur le genre et commençai à lui expliquer la différence entre genre et sexe, entre identité de genre et expression de genre. Je lui parlai de la non-binarité où je me retrouvais plus que dans la catégorie “homme” seule, je lui expliquais que je me sentais avant tout agenre -sans genre- mais également masculin, il me redemanda mes pronoms et je lui fis une liste de mots genrés avec lesquels j’étais le plus à l’aise. Je lui racontai le poids qui se souleva de mes épaules après mon coming-out et les proches qui disparurent et il m’écouta en silence, glissa sa main dans la mienne comme pour me consoler et je sus. Je sus simplement qu’il serait dans ma vie pour toujours. Celui-là, je ne pourrais plus jamais le faire fuir. Je baignais dans le bonheur mais n’osais le risquer à mentionner Max trop vite. Notre première fois passée, je ne pus garder cela pour moi plus longtemps alors quand je n’eus plus rien à lui dire, je le questionnai à propos de Max ; il m’avoua avoir eut du mal à le supporter le peu de temps où il l’avait vu et nous nous mîmes d’accord pour que je les voie toujours séparément. Une fois arrivés à un accord, je le raccompagnai de chez Mama à son arrêt de bus et en pris un autre pour aller sonner chez Max.
A ma grande surprise, je le trouvai dans un état pitoyable ; ses yeux étaient rouges de larmes, ses cheveux d’habitude toujours bien coiffés étaient en bataille et lui qui mettait un point d’honneur à bien s’habiller portait un simple t-shirt blanc et un jogging gris foncé. Il fondit en larmes dans mes bras en me voyant, s’excusant mille fois de m’avoir mal traité et pris pour acquis. Je le pardonnai bien vite et le consolai tandis que j’entrai dans son appartement. J’eus du mal à croire que c’était moi qui l’avait mis dans cet état, je me sentais atrocement coupable de le voir s’effondrer ainsi. Je lui assurai que je regrettais de l’avoir plaqué si abruptement et il accepta de me reprendre mais il oscilla quand je lui annonçai m’être mis avec Tom également.
- Tu ne peux pas me faire ça, tu dois choisir. Moi, je ne peux pas vivre sans toi, plutôt mourir, me supplia-t-il.
J’essayai tant bien que mal de lui faire comprendre que je les aimais tous les deux et donc que je voulais être avec eux deux mais rien n’y fit. Il continua de pleurer à chaudes larmes et je me sentais responsable de la dégradation de son état, j’avais peur à l’idée qu’il puisse se faire du mal alors j’acceptai de quitter Tom pour le rassurer, ce que je fis en promettant à celui-ci que je convaincrais Max de nous laisser sortir ensemble une fois qu’il serait de meilleure humeur. Si seulement j’avais fait attention aux signes. Mais il était si charismatique ; il réussit même à convaincre ma mère de me laisser emménager chez lui sans mal du haut de ses 16 ans. J’étais si heureux de ne plus avoir à supporter les abus physiques et verbaux de mon frère aîné transphobe que je ne fis pas attention à ce qu’il se passait.
Annotations