XVI
Nous profitâmes de ma convalescence pour sortir tester tous les gay bars du coin histoire de nous trouver un nouveau bar préféré, comme il était hors de question que je retourne dans celui où Tone travaillait, mais aucun ne me parut aussi bien que le sien et flirter avec les autres barmans n’était pas aussi marrant. Tom remarqua sans mal que je n’étais pas en forme et me proposa de faire une pause pour prendre le temps de ressentir pleinement mes émotions. Nous nous assîmes sur un petit muret en pierre dans un parc et je lui partageai toute la colère mais surtout la tristesse que j’avais ressenties, j’avais l’impression d’avoir été manipulé par le mensonge de Tone. Je me vidai de mes larmes dans ses bras alors qu’il me consolait en m’assurant que j’avais peut-être le cœur brisé mais que ni lui ni le reste de mon Cuple ne me laisseraient tomber et je me sentis terriblement chanceux de les avoir. Je redressai la tête et l’embrassai, passant mes mains sous son pull bleu marine pour sentir la chaleur de son corps.
- C’est dommage qu’il n’y ait pas de bar avec une option love hotel, songea-t-il entre mes lèvres.
- Ou mieux : un club avec des lits pour pouvoir baiser ou se reposer au milieu d’une fête, renchéris-je.
Tom sembla adhérer à l’idée, il ajouta qu’il faudrait adapter l’établissement aux enfants de façon à ce que nous puissions y amener Kitty et Sally pour leur faire découvrir les joies des boîtes de nuit et je continuai en installant une scène à notre night-club imaginaire pour que des drag queens et kings puissent performer devant un grand public. Nous jouâmes à ce jeu un moment, cherchant quoi ajouter pour rendre notre club parfait, quand Tom réalisa :
- Mais on a les moyens de le faire en vrai, non ?
Je n’y avais pas pensé sérieusement mais cela pourrait être notre nouveau QG, nous qui venions de perdre le notre ! L’idée m’emballa beaucoup et je m’empressai de sortir mon téléphone pour tout noter histoire de nous en souvenir quand nous serions sobres. Une fois tout noté, nous ressortîmes du parc pour faire le tour des clubs afin de nous en inspirer pour créer le nôtre. Nous atteignîmes une partie de la ville dans laquelle nous n’étions jamais allés jusqu’ici, nous découvrîmes une petite boîte de nuit dans laquelle criait une musique envoûtante. C’était de la techno mélangée à de la pop sur laquelle il était assez facile de danser et nous nous en donnâmes à cœur joie, nous restâmes là jusqu’à ce qu’il y ait un changement de DJ pour quelqu’un qui passait de la musique beaucoup moins entraînante. Nous étions en train de finir nos verres pour ressortir quand je vis une femme qui portait le même masque tengu que la précédente mixeuse s’approcher du bar. Quand je le lui fis remarquer, elle confirma que c’était bien elle et nous la couvrîmes de compliments. Nous échangeâmes avec elle pendant un petit moment puis proposâmes de lui offrir un verre dans un gay bar un peu plus loin pour pouvoir papoter plus tranquillement, elle accepta et nous lui racontâmes notre projet de construire un night-club dans lequel nous aimerions faire passer de la musique similaire à la sienne -si elle était intéressée- puis elle nous parla de ses problèmes d’argent qui lui demandaient beaucoup de travail. Ce n’était encore qu’un projet mais nous étions si sûrs de nous que nous offrîmes de bien la payer si notre collaboration avait bien lieu et elle en fut ravie. Nous quittâmes le bar tout contents -et bien bourrés- sans savoir où aller quand Tom lui demanda si elle souhaitait rentrer avec nous afin de pouvoir goûter au délicieux pain perdu que Mama nous cuisinait toujours après une bonne cuite, elle fut aux anges quand elle nous entendit parler de manger et s’empressa d’accepter. Elle nous guida à travers les rues que nous connaissions mal pour retourner vers le centre-ville puis dans notre quartier lorsque nous nous aperçûmes que nous étions suivis. Felicia -c’était son nom- nous fit couper par une petite ruelle en espérant les perdre, cependant trois d’entre eux nous attendaient à la sortie. Notre nouvelle amie nous fit signe de rester derrière elle quand un des trois hommes pouffa.
- Alors comme ça, il faut deux homos pour baiser une fille ?
Je pouvais sentir Tom bouillir de rage à côté de moi, il supportait très mal les insultes et était du genre à frapper dès qu’on le provoquait alors je l’attrapai par le bras le temps d’essayer de désamorcer la situation en communiquant. Les deux hommes qui se trouvaient derrière nous se rapprochèrent en serrant les poings et mon copain se jeta sur lui quand il fit la blague homophobe de trop. Je maitrisai rapidement son ami puis me retournai vers Felicia pour vérifier qu’elle allait bien quand je la vit mettre à terre les trois autres en à peine quelques mouvements.
- Damn, tu bouges comme une ninja ! s’écria Tom, surprit.
- Ça s’appelle du kung-fu, le remballa-t-elle.
Elle nous expliqua avoir été élevée par un homme chinois qui lui avait appris à se défendre et être elle-même en partie asiatique, bien qu’elle ne connaisse pas ses origines exactes comme elle était orpheline. Nous reprîmes ensuite notre chemin jusqu’à la maison, où nous nous endormîmes sur les grands canapés bleus du salon sans perdre de temps une fois arrivés. Nous nous réveillâmes le lendemain matin devant du pain perdu que Felicia dévora tout en faisant la connaissance du reste du Cuple. Elle nous partagea qu’elle devait parfois choisir entre manger et payer son loyer certains mois et qu’elle était donc très émue de notre hospitalité, après cela nous nous sentîmes tous si mal pour elle que nous lui offrîmes tous nos restes. Après tout, nous ne manquions jamais de nourriture chez nous.
Je repris le travail la semaine suivante après que l’on m’ait retiré mes points de suture. J’avais promis à mon Cuple de faire attention alors je commençai par des petits boulots qui ne me demandèrent pas trop d’effort comme m’occuper de babysitter Chris, ma petite rousse préférée. Je m’amusais toujours beaucoup avec elle, nous détruisions les meubles de chez elle et peignions les murs de mille couleurs différentes étant donné que ses parents se fichaient des dégâts. Après quelques jours qui se passèrent à merveille, je recommençai à prendre des boulots plus physique tel que faire de la pole dance ou la prostitution. Ce jour-là, je voyais une cliente que je n’avais jamais croisée auparavant. Quand j’arrivai chez elle, elle me guida dans une petite cabane dans son jardin dans laquelle se trouvaient un grand lit, une table de nuit et un fauteuil jaune. Elle m’ordonna d’enlever mes chaussures et de m’asseoir au bord du lit, ce que je fis, puis elle vint s’installer sur mes genoux. Elle me caressa les épaules avant de déclarer :
- Tu ne te souviens vraiment pas de moi, hein ?
- Je devrais ? répondit-je, troublé.
- Clara ? On était dans le même lycée.
Je me souvenais bien d’une Clara aussi blonde qu’elle ; elle m’avait un jour accosté parce que j’avais la cote auprès des autres lycéens queers en me réclamant de sortir avec elle comme elle était également populaire et j’avais refusé ses avances. Je l’avais trouvée trop froide et trop imbue de sa personne mais je le gardai pour moi. Je tentai de lui faire la conversation en lui demandant ce qu’elle était devenue mais elle ria :
- Tu te souviens à peine de moi et pourtant je n’oublierai jamais la façon dont tu m’as humiliée.
Maintenant elle me prenait juste la tête. Je lui avais refusé quelque chose qu’elle convoitait alors ça faisait de moi un grand méchant ? Il serait temps qu’elle apprenne que l’on n’a pas toujours ce que l’on veut dans la vie. L’argent ne peut pas tout acheter. J’essayai néanmoins de rester souriant et apaisé quand je sentis quelque chose s’enrouler autour de ma cheville gauche. Je tentai de l’attraper mais Clara qui se tenait toujours sur mes genoux m’empêcha d’atteindre mon pied.
- Aujourd’hui, je vais te rendre la pareille, souria-t-elle.
Je n’aimais pas ça. Je la repoussai sur le côté mais il était trop tard, on m’avait enchaîné le pied. Quand je baissai les yeux pour voir qui m’avait attaché, je fus surpris de croiser le visage de Max, tout sourire. Je tentai de fuir en grimpant sur le lit mais il m’attrapa par la chaîne et me tira vers lui.
- Tu vas enfin être à moi, me dit-il.
Clara se releva puis lissa sa robe rose pâle.
- Le bateau sera prêt à 19 heures, annonça-t-elle. Après ça, je ne veux plus jamais entendre parler de lui.
Quel bateau ? Que se passait-il ? Me haïssait-elle vraiment au point de me vendre à Max ? Je ne voulais pas y croire, elle ne pouvait pas être si fâchée pour une histoire de gamins. Qu’avait-il possiblement lui promettre qu’elle n’avait pas déjà ? La petite blonde quitta la cabane d’un pas léger, je ne pus pas la retenir pour la faire changer d’avis. Mon bourreau m’attrapa par la gorge en m’assurant que cette fois, je ne lui échapperais pas et que j’allais payer pour ce que je lui avais fait. Il commença par me défigurer en me frappant cinq fois au visage, je me sentais déjà glisser en dehors de mon corps quand il me prit par la jambe et me brisa le fémur en me tordant la cuisse. Je ne pus retenir un cri de douleur alors que celle-ci se propageait du haut de ma cuisse à mon genou. Max me prit l’autre jambe et répéta ses mouvements, me faisant hurler une deuxième fois, puis il se baissa à mon niveau et me chuchota à l’oreille :
- Comme ça, tu ne t’enfuiras pas.
Je n’aurais pas pu m’enfuir même si j’en avais eu le courage comme il avait enchaîné ma cheville au mur mais je ne prêtai pas attention à ce qu’il disait, la douleur étant beaucoup trop forte pour que je puisse penser. A partir de là, je glissai totalement hors de mon corps et me mis à observer la scène de loin. C’était comme voir un film au cinéma ; tout ce qu’il se passait ne m’affectait plus. Je regardai mon bourreau s’énerver sur un corps sans vie, le frappant de toute part et lui aboyer dessus mais je ne comprenais rien à ce qu’il criait. Mes oreilles semblaient enveloppées dans du coton à travers duquel le son passait très mal. Je contemplais la scène sans un mot, l’esprit vide. J’avais l’impression que le temps s’était arrêté et que la scène se répétait en boucle devant moi. Max s’agitait, montrait le corps du doigt, le rouait de coups et le corps restait inerte, ne bougeant qu’avec les mains de son bourreau. “Je” n’existait plus. Une éternité sembla s’écouler avant que mon tortionnaire ne se calme. Il soupira longuement puis embrassa le corps, le prenant dans ses bras. Ce qu’il dit ensuite, je l’entendis aussi clairement qu’une cascade le long d’une montagne :
- On n’en serait pas là si tu m’avais juste aimé.
Mais je l’avais aimé. Je l’avais aimé si fort que je m’en étais haïs. Je l’avais autorisé à me détruire par amour avant que la peur ne prenne le dessus. Je l’avais aimé. Un bruit de bois qui se brise le fit tourner la tête, puis je vis l’effroi se dessiner sur son visage.
- Mama, je peux t’expliquer… bafouilla-t-il. Ce n’est pas ce que tu…
Une main brune le tira au loin avant qu’il ne puisse finir. Je ne reconnus pas Mama sur le coup, ce n’est qu’en voyant les visages de Tom et Matthieu apparaître que je compris ce qu’il se passait. Ils m’avaient trouvé. Au fur et à mesure que mes deux amants me caressaient les joues en appelant mon nom, je revins peu à peu dans mon corps. La première chose qui me prit fut la douleur. J’en avais presque oublié à quel point j’avais mal partout mais je vis le visage inquiet de Gwen qui appelait les secours et tout ceci parut un peu plus supportable. Je pouvais entendre Max hurler de douleur au loin, sûrement sous l’effet de la rage de Mama, mais je ne le voyais pas. Je n’osais pas bouger un muscle tant j’avais mal. Tom et Matthieu me parlèrent tendrement en continu pour s’assurer que je sache que j’étais en sécurité désormais, jusqu’à ce que l’ambulance arrive. Mon corps redevint flou durant mon passage aux urgences alors je n’en gardai pas beaucoup de souvenirs, je me laissai juste aller sous les mains attentives des médecins et infirmiers tel une feuille morte le long d’un ruisseau. Après plusieurs opérations pour remettre mes hanches en place et plâtrer mon bras gauche qui s’était cassé, je pus enfin rentrer. J’aurais du rester à l’hôpital plus longtemps mais il était hors de question que je passe la nuit là-bas, mon Cuple l’avait bien compris et s’occupa de tous les papiers à remplir avant ma sortie. Dys s’effondra en me voyant dans ce triste état. Elle n’avait jamais été témoin de ce dont Max était capable auparavant et je me sentis coupable de lui infliger cela, bien que Mama nous assura qu’il ne s’en prendrait plus jamais à moi. Je ne savais pas à quoi m’attendre exactement quand elle me dit qu’elle s’était << occupée de lui >> mais je craignais trop sa réponse pour lui demander des explications. Cette fois-ci, je ne pus pas échapper à l’arrêt du travail pour une plus longue période, j’en profitai donc pour me pencher avec Tom sur notre projet d’ouvrir un club. Nous cherchâmes le bon bâtiment puis les bon employés et après quelques retouches, tout fut bientôt prêt pour l’ouverture. Par la suite, il me fallut deux mois de rééducation et de repos pour guérir mais même après cela, je gardai certaines difficultés pour marcher. Beaucoup de changements se firent ensuite ; après un temps de réflexion considérable, Kitty demanda à ne plus se faire appeler par son prénom légal étant donné qu’il ne lui convenait plus et Neil emménagea chez nous, Alex lui laissa sa chambre pour déménager dans celle de Gwen avec qui il s’entendait très bien. Quelques jours plus tard, Adrien sortit de l’hôpital et ce fut à son tour de s’installer chez nous. Il fut décidé qu’il partagerait une chambre avec Neil, avec qui il se découvrit plein de points communs, et bientôt ils commencèrent à sortir ensemble. Il va sans dire que j’étais ravi de voir mes amoureux si bien s’entendre entre eux, nos relations s’entremêlaient de plus en plus les unes dans les autres et cela donnait un magnifique bordel dont j’étais très fier.
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