XVII
Trois mois avant mes 25 ans, Missy nous confia son fils, Eden, pour que nous l’aidions à préparer son bac. Tom lui fit travailler le français et les langues, Gwen s’occupa des sciences et Alex lui offrit son soutien en maths. L’adolescent s’inquiétait plus de sa réputation que de ses notes mais en lui donnant un petit coup de pouce, il assimila vite ses cours. C’était Kitty qui était le plus facilement distrait des deux, spécialement après avoir vu son visage ; bien que je ressemblais déjà assez à sa mère pour que nous soyons sans cesse pris pour deux frère et sœur, Eden, lui, était mon portrait craché. Ce dernier avait bien remarqué que mon Chaton l’admirait avec insistance alors il demanda l’accord du Cuple avant de le draguer, ce à quoi je lui répondis de s’assurer d’être clair dans ses intentions afin de ne pas créer de malentendus. Eden étant légèrement plus âgé, je pris soin d’informer Kitty qu’il pouvait parler de ses éventuels problèmes de cœur à n’importe qui faisant partie du Cuple pour veiller à ce que quelqu’un puisse intervenir s’il se passait quelque chose. Quelques jours plus tard, mon Chaton se mit à tourner rouge en détournant les yeux vers Eden chaque fois que nos regards se croisaient et celui-ci souriait d’un air triomphant en l’observant, j’en déduisis que tout se passait bien entre eux. Ils étaient faciles à lire, cela rendait leur surveillance plus simple. Deux semaines passèrent quand Kitty vint me voir en me confiant qu’il souhaitait demander à son amant de sortir avec lui officiellement mais qu’il craignait sa réaction, je jouai donc le rôle d’Eden quelques fois pour que l’adolescent puisse s’entraîner à lui déclarer sa flamme puis, quand il fut prêt, je l’accompagnai mais restai en retrait en tant que soutien moral. J’observai mon Chaton serrer les poings en prenant son courage à deux mains puis m’éclipsai sans un bruit quand Eden accepta ses avances. Les deux ados annoncèrent immédiatement la nouvelle au reste du Cuple et à leur entourage qui se réjouirent tous pour eux. Savoir Kitty en couple m’ôtait un poids des épaules, il arrêta de me suivre partout pour courir après Eden et je pus respirer sans avoir à m’inquiéter de lui en permanence. Je me détendis sûrement un peu trop lorsque je tentai de reprendre la cuisine histoire de nourrir Chris d’autre chose que de fast food ; j’avais mis un terme à mes tentatives de cuisiner après que Max m’y ait forcé répétitivement et ait été très dur avec moi à ce sujet pour éviter d’avoir à y repenser mais je me devais de mieux faire pour ma petite rousse adorée. Je m’essayai à une recette tout ce qu’il y avait de plus basique pour commencer : une omelette aux pommes de terre. Faire cuire les patates et les éplucher fut dans mes cordes mais quand vint le temps de les déposer dans la poêle, la vieille cicatrice à mon bras gauche se mit à me lancer. J’étais terrifié à l’idée de rater la cuisson et des pensées négatives commencèrent à se bousculer dans ma tête. Chris vit bien qu’il y avait un problème alors elle proposa de m’aider en prenant la poêle mais son lapin en peluche qu’elle trimballait partout avec elle se prit l’oreille dans le feu et se mit à brûler entre ses mains d’enfant. Elle cria de surprise et mon premier réflexe fut de jeter la peluche au loin pour éloigner la petite des flammes, celle-ci atterrit sur les rideaux roses du salon qui s’enflammèrent en un instant. Ne sachant quoi faire d’autre, je pris Chris dans mes bras et sortit de la maison pour appeler les pompiers. Ma petite rousse se mit à pleurer en réclamant son doudou mais je refusai qu’elle entre dans la maison en flammes.
- Ton M. Lapin, je peux t’en racheter un autre, lui expliquai-je. Mais toi, je ne peux pas te remplacer.
L’enfant comprit et se calma dans mes bras. Bien vite, les pompiers arrivèrent et firent taire les flammes. Par chance, les murs avaient été un peu abîmés mais rien d’autre n’avait brûlé à part notre repas. Un des pompiers proposa gentiment de nous faire à manger en voyant à quel point l’incident m’avait agité et tout finit bien. Cependant après cela, je reçus plusieurs appels de l’école de Chris se plaignant qu’elle avait commencé un feu. La petite avait toujours eu un don pour trouver des briquets oubliés mais cet accroc face aux flammes l’avait inspirée et elle savait désormais que j’accourrais sans tarder si elle était en danger. J’étais conscient qu’elle agissait ainsi surtout pour attirer mon attention étant donné qu’avec tout le travail que j’avais, je passais de moins en moins de temps avec elle et cela la blessait alors je me résignai finalement à prendre Tom au travail avec moi. Lui qui me tannait depuis quelques temps déjà, il fut ravi de pouvoir fuir l’ennui des journées longues passées seul à la maison. Il me suivit chez tous mes clients auxquels je le présentai comme mon plus-un mais une cliente qui avait mal entendu l’appela << Poussin >> et ce surnom resta. Quand il fut habitué à ce nouvel environnement et à toutes les bonnes manières, je le laissai aller voir certains de mes clients seul pendant que je restais avec Chris pour jouer avec elle.
Un mois passa sans le moindre incident quand j’aperçus Eden embrasser quelqu’un d’autre que Kitty durant un barbecue que nous organisions chez nous. Je me faufiler jusqu’à eux pour demander à Eden s’il en avait informé son copain et il m’assura qu’il n’en avait pas eu besoin parce que sa non-monogamie était << évidente >> selon lui mais pour Kitty qui débutait seulement dans le monde du romantisme, c’était loin d’être aussi clair. Je le poussai gentiment à en discuter avec lui avant d’aller voir ailleurs mais il refusa de m’écouter sous prétexte que << parler c’est chiant >>. J’essayai de lui faire comprendre que toute relation durable demandait un minimum d’effort et de communication de la part des deux partis mais il semblait déterminé à prendre les choses à la légère -et comment le blâmer, c’était un ado. Il ne paraissait pas véritablement s’intéresser à son copain mais, bien que celui-ci l’ait sûrement d’abord vu comme mon double, j’étais persuadé que mon Chaton avait développé des sentiments bien distincts pour le jeune homme et je craignais qu’il ne le blesse. Je fis donc une proposition à Eden : discuter à cœur ouvert avec Kitty ou quitter ma maison et ne jamais revenir. Je pensais que cela le motiverait, qu’il accepterait de parler à son copain mais il se dégonfla et sortit sans un mot de plus. Le lendemain, sans nouvelles de sa part, je me chargeai d’informer mon Chaton de notre conversation et celui-ci s’écroula en larmes dans mes bras. J’en voulus terriblement à Eden d’avoir non seulement brisé son cœur mais aussi de l’avoir abandonné par peur de la confrontation. Heureusement, la nouvelle que Mama et Laura nous partagèrent ensuite fit vite disparaître les émotions négatives qu’il nous avait causées ; elles choisirent un moment où nous nous mettions à table pour nous annoncer qu’elles se voyaient depuis quelques mois, suite à quoi elles avaient décidé de sortir ensemble. Sally fut la plus heureuse à l’idée que les deux personnes qu’elle considérait comme ses nouvelles mamans deviennent un couple, Tom leur demanda si cela voulait dire que nous allions également être adoptés par Laura et Mama ria devant sa question qui lui parut ridicule. Au début, j’eus du mal à savoir où me positionner par rapport à Laura puis je décidai d’embrasser pleinement la situation en la considérant comme ma deuxième maman. Le mois suivant, ce fut à Sugar de nous annoncer quelque chose ; elle réunit le Cuple et les Queenies ainsi que son copain de l’époque sous le même toit pour nous déclarer qu’elle s’était beaucoup remise en question mais qu’elle était désormais sûre d’être une femme transgenre. Son copain ne prit pas bien la nouvelle, refusant de sortir avec une femme, alors Cuple et Queenies s’unirent pour défendre Sugar. Nous nous époumonâmes contre lui jusqu’à le faire fuir, lui assurant que, de toute façon, Sugar n’avait jamais été très loin d’une femme et affirmant à cette dernière qu’elle aurait toujours sa place dans nos cœurs. Elle pleura dans nos bras tandis que nous l’enlacions tous dans un énorme câlin de groupe mais ne s’attarda pas sur la réaction de celui qui était maintenant son ancien copain, nous lui demandâmes son nouveau nom et elle choisit de garder son nom de scène qui lui allait à merveille : Sugar. Suite à son coming-out, elle perdit son nouveau travail en tant que psychiatre dans l’hôpital du coin et elle dut se reloger chez nous afin de pouvoir économiser jusqu’à retrouver un emploi, nous l’acceuillîmes donc à bras ouverts et elle put reprendre la chambre de Laura qui l’avait quittée pour celle de Mama. Quelques semaines plus tard, je l’accompagnai à l’hôpital avec Kitty et Sally pour qu’elle puisse voir un endocrinologue et commencer à prendre des hormones. Je croisai le visage familier d’une grande rousse qui sentait toujours la fleur et reconnus Eglantine, une ancienne amie trans que j’avais rencontrée au tout début de ma transition lorsque j’avais encore 14 ans. Elle en avait 17 à l’époque et commençait elle aussi à prendre des hormones, je lui avais adressé la parole en salle d’attente pour lui offrir du soutien comme je le proposais souvent aux personnes transgenres qui croisaient mon chemin ici et nous étions devenus amis. Elle me raconta comme elle avait souffert du rejet de ses parents qui l’avaient mise à la porte l’année d’avant, comme elle s’était battue pour se trouver un logement sûr et obtenir le droit de commencer un suivi dans l’optique de prendre des hormones une fois qu’elle serait majeure. Son histoire m’avait touché plus que les autres personnes que je voyais, elle m’avait touché. Je me souvenais encore de l’odeur de fleur dans son cou la première fois que je l’avais embrassée, de ses cheveux courts dans lesquels j’aimais perdre mes doigts. Je me souvenais du son qu’elle avait fait quand je l’avais prise pour la première fois. Je lui avais donné son nom avant de couper les ponts suite aux abus de Max qui me poussait à m’enfermer dans ma solitude.
- Pourquoi tu ne lui as pas demandé son numéro ? me questionna Sugar, me sortant de ma torpeur. Elle te plaît clairement.
- Je n’y ai pas pensé, lui répondis-je.
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