XVIII

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Le mois de la Pride arriva bientôt. Pour l’occasion, nous avions prévu de faire un roadtrip dans tout le pays pour rencontrer tous les queers qui nous apportaient tant d’amour en ligne. En effet, je m’étais fait un nom dans la communauté queer après avoir développer Queerland et bien vite, tous les amis d’amis -et même plus- des personnes présentes avaient été informés de ma dévotion envers notre communauté. On s’était passé le mot à travers tout le pays et un an plus tard, j’étais suivi de près par une bonne partie de la population. Nous avions tout préparé pour notre roadtrip en décorant le car à étage transformé en camping-car qu’un de mes clients m’avait dégoté, le peignant en rose pâle avant d’ajouter des tags colorés par-dessus la peinture pour les plus créatifs d’entre nous pendant que les autres rendaient l’intérieur le plus confortable possible à l’aide de coussins et de plaids tout doux. Avant de partir, nous laissâmes nos amis et quelques queers y ajouter une touche personnelle en nous écrivant de petits mots d’amour sur les côtés du bus puis Gwen, qui s’était épris du tatouage en entendant Neil parler de son métier de tatoueur, inscrivit sur chacune de nos peaux le mot “Cuple” avec un feutre semi-permanent. Kitty et Sally s’étaient pris au jeu et j’avais même réussi à convaincre Sugar de se faire graver l’inscription afin de ne pas être exclue de notre petit jeu. Notre premier arrêt fut une petite ville non loin de chez nous dans laquelle nous organisâmes un concert ; depuis que nous avions notre club, j’avais pris l’habitude d’y chanter des reprises de chansons pop en début de soirée histoire de commencer la nuit en douceur et mon Cuple m’accompagnait parfois en dansant ou en faisant les pitres sur scène, Tom aimait tout spécialement jouer au comédien et ses blagues touchaient toujours le public. Nous étions justement tous deux en train de nous amuser à faire rire notre audience quand Sugar qui me fixait d’un air bizarre m’attrapa par le cou et m’embrassa. D’abord surpris, je suivis son exemple sans réfléchir et la pris par la taille avant qu’elle ne se détache de moi pour quitter la scène en se cachant le visage, sûrement choquée par sa propre impulsion. Tom fit une vanne sur le baiser que nous venions d’échanger et je renchéris en ajoutant << Elle m’aime mais elle a trop honte pour le montrer >>, ce qui fit rire la salle. Quand nous en eûmes fini sur scène, je partis questionner Sugar sur ses intentions et elle m’avoua ce que je savais déjà, à savoir que mon charme fou me rendait irrésistible. Je comprenais désormais pourquoi elle m’avait plaqué ; ce n’était pas qu’elle ne m’aimait plus mais que j’avais deviné son inconfort en tant qu’homme et, elle me le confia ensuite, je fus la raison pour laquelle elle remit son identité en question. Je souris en l’écoutant se livrer à moi, sachant parfaitement où mènerait cette discussion, et à la fin de notre conversation, nous sortions de nouveau ensemble. Nous continuâmes notre voyage en mettant en place un groupe chat dans chaque ville à travers laquelle nous passâmes pour que les queers du coin puissent communiquer entre eux et rester safe en signalant tout lieu à éviter ou en organisant des sorties groupées pour plus de sécurité. De cette façon, chaque ville créa sa propre Meute et en ressortant plus unie qu’auparavant. Quand nous nous arrêtâmes dans la ville où vivait notre père, Dys demanda à le voir pour lui présenter Sara et reprendre contact. Je la suivis en tant que soutien moral mais restai dans l’entrée, ne souhaitant le voir ni lui ni sa femme. Pendant qu’ils échangeaient dans le salon, deux paires d’yeux me fixèrent avec insistance depuis le fond du couloir. Je leur fis un signe de la main pour les saluer et Kal, bien grande désormais, sortit de sa cachette avec son petit frère collé à son dos. Elle devait avoir 10 ans maintenant, lui semblait en avoir 4 et jetait des coups d’œil furtifs vers le salon.

- C’est toi le Skylar d’Instagram ? m’interrogea-t-elle en me montrant son téléphone sur lequel figurait mon compte.

- Oui, c’est moi, lui répondis-je en m’abaissant pour paraître moins intimidant.

- Qu’est-ce que tu fais avec Candice ?

- C’est ma petite sœur, je vais où elle va.

- Ça veut dire que tu es mon frère !?

Elle sembla surprise, elle n’avait probablement jamais entendu parler de moi. Quand je lui annonçai que je l’avais connue bébé et que j’avais même changé ses couches, elle tomba des nues. Elle insista pour que nous prenions une photo ensemble et j’acceptai en souriant, lui faisant promettre de m’envoyer l’image pour que je garde également un souvenir de ce moment. J’aurais pu passer mon après-midi à lui raconter à elle et à son frère toutes les bêtises qu’elle avait faites, comme elle attendait sagement que je quitte ma chambre pour s’y introduire et voler toutes mes peluches chaque week-end, mais sa mère nous aperçut et coupa court à notre échange. Elle les gronda pour être sortis de leur chambre et ils disparurent dans le couloir, puis leur mère retourna sa colère contre moi. Oh non, comment osais-je adresser la parole à ses enfants ? Moi qui était si sale, si perverti par mon métier de pute -je soupçonnais Ryan de leur en avoir parlé. Blablabla. Dys tenta de me défendre mais je l’interrompis, j’avais l’habitude de me prendre ce genre de réflexions. Nous partîmes nous préparer pour la Pride qui avait lieu le lendemain. Dys n’assista pas à la Pride, il y avait beaucoup trop de bruit pour un nouveau né. Elle resta dans notre camping-car géant et se reposa avec Sara pendant que nous participions à la parade sur un char que l’on nous avait prêté. Tout se passait au mieux, la fête battait son plein quand j’aperçus Kal essayer de s’extirper de la foule. Je ne vis ses parents nulle part alors je descendis du char pour aller à sa rencontre, elle m’expliqua terrifiée qu’elle avait perdu son frère, Lysandre, dans le ramassis de monde. Je la fis immédiatement monter en hauteur dans le char et arrêtai la musique puis je pris un micro pour avertir la foule que nous avions perdu un enfant. Kal nous décrivit ses vêtements et assez vite, quelqu’un le trouva et le souleva en l’air pour que les gens puissent le faire passer par-dessus la foule jusqu’à notre char. Kal le prit dans ses bras en pleurant de soulagement mais son frère réclama leurs parents, je demandai alors aux deux enfants où ils les avaient perdu quand Kal avoua avoir quitté la maison sans leur accord pour venir assister à la Pride.

- Tu as fugué ? m’étonnai-je.

- Non, je leur ai laissé un mot, m’annonça-t-elle comme si ce n’était pas la même chose.

Je ris à gorge déployée.

- J’ai toujours su que tu avais du caractère, lui lançai-je tout fier.

Elle sourit puis retourna son attention sur Lysandre qui exigeait de rentrer. Kal ne comptait clairement pas rentrer maintenant et je ne pensais pas pouvoir l’y forcer. Je me demandais quoi faire quand Mama intervint, elle rassura l’enfant en lui affirmant qu’il était en sécurité avec nous et qu’il n’avait aucune raison de s’inquiéter. Elle promit de le ramener après la parade et le petit se calma. Elle avait toujours été douée avec les enfants, sa simple présence suffisait à les apaiser. Matthieu lui offrit quelques bonbons et le tour fut joué, j’envoyai rapidement un message à Dys de façon à ce qu’elle puisse prévenir leurs parents puis nous pûmes profiter pleinement de la Pride. Kal avait une énergie folle. Une fois qu’elle confia son frère à Mama, elle ne s’arrêta pas de danser même quand nous atteignîmes le bout de la parade. Nous marchions vers le camping-car pour ramener les deux enfants à leurs parents qu’elle tournoyait toujours en riant, nous pouvions facilement deviner qu’elle avait passé un excellent moment et sa joie nous contamina tous. Lorsque nous arrivâmes au camping-car, deux visages familiers et un duo de gendarmes nous accueillèrent. Kal et Lysandre sautèrent dans les bras de leurs parents en leur racontant leur journée quand leur mère les coupa :

- C’est lui, dit-elle en me pointant du doigt. Arrêtez le.

Mon Cuple s’agita derrière moi mais j’étais si fatigué de ses bêtises que je ne pris pas la peine de réagir. Les gendarmes nous demandèrent si nous avions kidnappé les deux enfants comme leurs parents semblaient le penser et il fallut que Kal intervienne en expliquant qu’elle avait pris la décision de partir seule pour que l’on nous foute la paix. Leurs géniteurs nous firent part de leurs doutes, craignant que j’aie influencé leur fille, mais les gendarmes se rendirent bien compte qu’ils avaient juste un problème avec moi et nous laissèrent tranquille. Je quittai cette ville énervé mais aussi inquiet pour ma demi-sœur ; elle nous avait prouvé qu’elle avait du caractère et j’avais peur que ses parents ne le supportent pas aussi bien que nous, je pouvais sentir les tensions arriver. Dans la ville suivante, nous furent logés par groupe de deux ou trois chez des queers habitant là. Je pris Kitty sous mon aile tandis que Mama et Laura s’occupèrent de Sally puis les autres se répartirent entre eux. Nous nous promenâmes dans la ville en groupe et je passai le plus clair de mon temps sur le dos de Gwen comme les articulations de mes jambes restaient douloureuses après mon dernier tête-à-tête avec Max, ce qui ne me dérangea que légèrement. Un soir, dans une autre commune, nous nous installâmes dans un restaurant asiatique que nous avions loué pour la soirée afin de se retrouver entre queers. Sally repéra sur les réseaux sociaux un couple gay se faisant agresser quelques rues plus loin et filmant toute la scène en direct, je partis en courant sans penser à la douleur qui traversa mes genoux et mes hanches puis, suivit de près par Gwen, Tom et Matthieu, nous nous occupâmes des trois hommes qui s’en prenaient à nos protégés. Une fois la menace éliminée, nous les amenâmes jusqu’au restaurant où Mama et Laura se chargèrent de soigner leurs blessures. C’était pour cela que nous avions décidé de faire ce roadtrip ; pour réconforter les queers face à la queerphobie environnante et montrer au monde que nous étions une communauté unie, changer la donne en refusant de vivre dans la peur. Nous passâmes également dans de plus petites villes où la population queer était moindre bien qu’existante et nous leur offrîmes des soirées de rêve dans les forêts du coin durant lesquelles nous nous racontions des histoires improbables en nous inspirant les uns les autres. Un de mes clients me prêta même une de ses énormes résidences en bord de mer dans laquelle nous organisâmes une fête qui parut durer des jours, Tom et Sally s’amusèrent à dessiner sur les visages endormis de nos invités et je ne pus résister à la tentation de me joindre à eux. Ensuite, nous changeâmes de ville pour aller manger des glaces et s’entre-tresser les cheveux avec un groupe de queers qui vivait non loin de la plage. Kitty se couvrit la joue de glace en mangeant alors je lui léchai le visage pour ne pas faire de gâchis et, découvrant que la sienne avait meilleur goût, j’échangeais sa glace contre la mienne. Je n’aurais pas pensé le faire rougir si aisément. Nous avions dévalisé les machines à pince d’une fête foraine dans la ville suivante, Gwen qui était notre champion nous avait enseigné tous ses secrets pour gagner à coup sûr et nous avions offert toutes nos peluches aux queers qui nous accompagnaient. Nous avions fini le mois de juin sur un long concert de plage mais nous n’en étions pas resté là ; le mois suivant, des photos colorées me montrant poser pour un photographe bisexuel assez connu furent affichées dans chaque ville avec la petite inscription << tous les mois sont le mois des fiertés >> pour inciter notre public à continuer de se montrer fier et bruyant durant toute l’année. Pour couronner le tout, nous ouvrîmes les portes d’une nouvelle boutique qui visait à soutenir les petits artistes queers en proposant leurs articles à la vente gratuitement ainsi que quelques vêtements conçus par les membres du Cuple, toutes les informations furent renseignées en bas des affiches afin que les gens puissent facilement comprendre le concept. Les images eurent un succès fou et la boutique vit bientôt ses premiers adhérents proposer leurs œuvres à la vente, tout se passait mieux que ce que nous avions espéré. Nous retournâmes dans les plus grandes villes pour partager des repas faits maison avec nos protégés, empruntant les cuisines d’un grand restaurant pour faire cuire ou chauffer tous les plats que l’on nous amenaient, et j’éprouvai un certain plaisir à jouer les serveurs avec une moitié de mon Cuple tandis que l’autre moitié s’agitait en cuisine.

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