XXI

10 minutes de lecture

Quelques semaines plus tard, Tone toqua à ma porte. Il cherchait son frère, je ne l’avais pas vu. Quelque chose me parut bizarre dans le comportement de mon ex, je le connaissais depuis des années mais je ne l’avais jamais vu si décontracté et si souriant. Lui qui portait le poids du monde sur ses épaules depuis que sa mère était morte d’une overdose le laissant seul avec Colin, je l’avais toujours trouvé trop sérieux ; cela ne lui ressemblait pas de jouer avec mes cheveux en flirtant presque avec moi. Je sondai son regard, tentant de deviner ses intentions quand je m’aperçus que ses pupilles étaient minuscules au milieu de ses beaux yeux bruns.

- Tu es défoncé ?

Les mots m’avaient échappé. Il avait longtemps souffert d’addictions étant plus jeune et je craignais de l’avoir blessé, je me préparais donc à m’excuser quand il me sourit. Il détourna le regard et partit avant que je ne puisse dire un mot. Ce n’était pas lui. Ce n’était pas possible, je devais m’être trompé. Sous le choc, je restai debout dans l’entrée sans rien faire un moment avant de reprendre mes esprits. Il fallait que je l’aide. Nous n’étions peut-être plus ensemble mais je tenais toujours à lui et il risquait de perdre la garde de son frère si sa rechute s’apprenait, j’abandonnai donc mon Cuple pour le retrouver chez lui. Il m’ouvrit la porte et me laissa entrer sans broncher.

- Tone, tu sais comme je tiens à toi, commençai-je. Notre rupture n’y change rien.

- Moi aussi je tiens à toi, chuchota-t-il en me caressant le bras. J’ai toujours envie de toi.

Sa déclaration me déconcerta, je fis un pas en arrière et serrai mes mains dans les siennes pour tenter de reprendre le dessus avant que la discussion ne dévie sur autre chose. Je n’avais plus envie de penser à lui de cette manière, c’était trop douloureux.

- Non, déclarai-je sèchement. Tu m’as insulté, tu te souviens ? On ne peut pas refaire les mêmes erreurs, je ne suis pas là pour ça.

- Pourtant tu as bien laissé Max faire, rétorqua-t-il.

La mention de mon abuseur me prit de court, je ne sus pas quoi lui répondre. Je n’étais même plus sûr de le comprendre. Qu’avais-je laissé Max faire ? Il me murmura << Ça >> à l’oreille en m’agrippant l’entrejambe et je le repoussai violemment. Je me mis à rire nerveusement, ça devait être une blague. De très mauvais goût, certes, mais une blague. Il ne pouvait pas être sérieux. Il me raconta qu’il m’avait toujours considéré comme ça, qu’il voulait me dominer, m’écraser. Je lui donnais envie d’être méchant. Je ne savais pas si c’était la drogue qui parlait ou ses pensées sobres mais je refusai d’en entendre plus :

- Tu sais quoi ? Crève si tu veux. Crève et laisse Colin tout seul mais ne me mêle plus à tes histoires.

Sur ces mots, je pris la porte pour ne pas le laisser me voir pleurer puis je rentrai auprès de mon Cuple et m’écroulai sans un mot sur les genoux de Mama. Adrien attendit quelques heures que Tone soit bien redescendu puis il partit lui parler d’addict à addict. Il ne me répéta pas ce dont ils parlèrent -je ne l’aurais probablement pas écouté s’il avait essayé- mais il m’avertit quand même que leur conversation ainsi que la nôtre avaient aidé mon ex à y voir plus clair et il avait choisi de se reprendre en main. Kitty aussi entrait dans une période sombre ; ses amis Graham et Vincent lui en voulait de ne pas avoir été là pour Colin, bien qu’il ne l’ait pas informé des problèmes de son frère, et le trouvaient trop différent de l’époque où ils n’étaient que tous les trois. Ce qu’ils ne réalisaient pas, c’était que Kitty avait dû cacher qui il était vraiment à ses proches pour sa propre sécurité. Il avait été forcé d’aller à l’encontre de tous ses désirs et de les renier pour se protéger, et maintenant qu’il pouvait enfin laisser tomber le masque pour être lui-même, ses amis le lui reprochaient. Alors, non, il ne voulait plus faire semblant d’aimer les jeux vidéos et de se comporter comme un gros dur mais en quoi cela était-ce si mal ? Ils ne pourraient jamais comprendre mais ils auraient pu faire preuve de plus de sympathie. En apprenant ce qu’ils avaient dit, Colin vint chercher Kitty à la maison pour tenter de s’excuser à leur place mais celui-ci était trop blessé pour accepter de le voir. Après deux semaines que nous passâmes tous deux à déprimer, le Cuple nous força à sortir de la maison pour aller visiter un refuge pour chiens dans lequel je passais beaucoup de mon temps libre. Nous fûmes accueillis par Kara, une Pitbull au pelage beige qui me faisait toujours la fête chaque fois que je venais. Je l’avais rencontrée un an plus tôt alors qu’elle n’avait que quelques mois, une cliente l’avait adoptée avec son compagnon avant de se faire plaquer et de se retrouver seule avec un chien dont elle ne voulait pas. Elle la gardait enfermée en cage, ne l’en sortant que pour qu’elle fasse ses besoins dans son jardin. Sa petite mine toute triste me faisait tant de peine, elle tenait à peine sur ses jambes alors un soir, après que ma cliente m’ait confié ses clefs pour faciliter mes va-et-viens, j’ouvris sa cage et la volait. Comme je lui offrais des gourmandises et quelques caresses à chacun de mes passages, elle s’était attachée à moi, je pus donc la faire sortir sans mal. Je la pris dans mes bras et marchai jusqu’au refuge le plus proche afin qu’elle puisse être adoptée par une meilleure famille, elle avait passé la nuit à me lécher le visage tandis que je trottinais dans l’obscurité. Après cela, je revins régulièrement la voir en tant que bénévole afin de m’assurer qu’elle reprenne bien ses forces mais elle était si terrifiée par les autres que personne ne s’intéressait à elle. Je l’aurais bien gardée pour moi mais c’était sans compter sur Tom qui détestait les chiens, il n’était pas du genre jaloux mais je pouvais sentir son sang bouillir dans ses veines quand je m’attendrissais devant les petits chiots que l’on trouvait en vague sur Internet. Pour cette raison, je fus touché d’apprendre que c’était lui qui avait décrété qu’il fallait absolument m’amener voir Kara pour apaiser mes maux. Il me connaissait si bien. De plus, une nouvelle portée de Beagles croisés Labradors avait vu le jour récemment et tout le Cuple -excepté Tom, bien sûr- s’émut devant ces adorables petits chiots. Nous passâmes une après-midi entière à jouer avec tous les chiens du refuge et repartîmes le cœur léger, cette petite sortie avait fait son effet.

La semaine suivante, Kitty me confia qu’il dormait mal depuis des mois et que c’était pire depuis sa rupture avec ses amis. J’en discutai avec mon Cuple puis nous décidâmes de lui offrir sa première vraie séance de thérapie afin de l’aider à résoudre les problèmes qui le tourmentaient. Matthieu, qui était psychomotricien depuis 7 ans déjà, prit notre Chaton en charge. Le contenu de leurs séances resta secret mais l’adolescent nous parut plus détendu après quelques sessions et il retrouva bientôt des habitudes de sommeil saines. Suite à cela, Camille commença finalement la prise d’hormones et Angel décida qu’iel pouvait s’en passer, bien qu’iel conserva le désir de subir une mammectomie afin de réduire sa dysphorie. Rory, quant à lui, vécu son tout premier crush. Kitty en était tout retourné ; les deux Chatons étaient très proches, à tel point qu’ils avaient régulièrement des rapports. Ils étaient quasiment inséparables, si bien que cette romance, au lieu de les diviser, les rapprocha encore plus. Kitty mit tout en œuvre pour s’assurer que son ami obtienne son happy end, il ne parlait plus que de ses plans merveilleux pour faire tomber son crush Oliver dans ses bras, alors quand Rory lui annonça qu’ils s’étaient embrassés, le garçon explosa de joie. On n’entendait plus parler que de cela dans toute la maison, une ambiance de joie et de légèreté régnait partout. C’est dans cette atmosphère guillerette que nous accueillîmes de nouveau Eden, sa mère devant s’absenter pour visiter les strip-clubs que j’avais rachetés pour elle un peu partout dans le pays afin que leur personnel soit mieux protégé. Missy ne faisait plus confiance à son fils, bien qu’il soit majeur, comme il était incroyablement immature. En effet, son activité favorite du moment consistait à coucher avec des gens peu recommandables qui laissaient des bleus sur son corps et les traces de leurs mains contre son cou, le tout agrémenté de quelques billets. C’était fou à quel point il me ressemblait, et pas seulement physiquement. Des années auparavant j’avais également connu une mauvaise passe durant laquelle j’avais laissé mes clients me traiter comme un déchet juste pour obtenir un plus gros pourboire, c’étaient les larmes de Mama en constatant l’état dans lequel je me mettais qui m’avaient poussé à mettre fin à ces pratiques. La troisième fois qu’il rentra avec des bleus, je le pris à part pour tenter de le raisonner. Je pouvais voir que quelque chose n’allait pas à la façon dont il fuyait mon regard mais je ne réussis pas à lui arracher les vers du nez. Ce fut Kitty qui comprit le premier. Je rentrais avec Tom un soir lorsqu’Eden surgit de la cage d’escalier menant à l’étage pour m’accoster en bégayant, paniqué. Je ne saisis pas de quoi il parlait alors qu’il me répétait << Ce n’est pas ce que tu crois >> puis << Kitty ne sait pas de quoi il parle >> mais je devinai sans mal qu’il avait fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire. Je le contournai pour monter à l’étage et j’allai toquer à la chambre de Kitty qui était seul comme les autres Chatons étaient tous en vadrouille, je le trouvai en larmes dans son lit. Je le pris dans mes bras en lui demandant ce qu’il avait mais j’eus du mal à le calmer.

- Il ne m’a jamais aimé, sanglota-t-il entre deux larmes. Il s’est servi de moi pour t’impressionner.

Il me fallut un moment pour assimiler l’information, je me rendis compte qu’il parlait d’Eden mais je n’arrivais pas à faire le lien avec moi. Pourquoi aurait-il voulu m’impressionner ? Je le connaissais depuis tant d’années qu’il était devenu comme un frère pour moi, lui et Colin m’étaient tous les deux chers malgré nos récents accrocs. Il n’avait pas besoin de s’imposer avec moi, du moins je le pensais. Il fallut que mon Chaton me souffle les mots pour que je comprenne ce qu’il se passait : il m’aimait. Je n’avais rien vu, je ne m’étais douté de rien. Je ne savais pas quoi en penser. Kitty me supplia de ne pas lui en vouloir, il savait ce que cela faisait de se faire rejeter par un être aimé et il ne voulait pas voir Eden souffrir plus qu’il ne souffrait déjà. Je restai une minute à consoler l’adolescent en larmes puis nous descendîmes auprès des autres. Tom avait fait boire Eden pour l’aider à se calmer mais cela avait eu l’effet inverse, il sanglotait comme un enfant sur le canapé. Il devait être terrifié à l’idée que je puisse mal le prendre, je m’en voulus d’avoir été dur avec lui. Je le pris dans mes bras pour le réconforter puis il s’endormit bientôt contre moi. Missy revint de son voyage d’affaires le jour suivant et son fils l’accueillit en s’excusant de son comportement, nous avions longuement échangé et j’avais réussi à le convaincre de cesser ses aventures dangereuses. Nous nous retrouvâmes le week-end d’après pour fêter la crémaillère d’Alistair et Caspian qui s’étaient acheté une jolie maison avec leurs salaires d’avocats. Eden et Kitty décidèrent de rester amis et regagnèrent une bonne entente malgré la colère de Rory envers celui qui avait blessé son ami, pendant ce temps ma langue avait disparu dans la bouche de Gwen quand nous entendîmes Sally crier dans le jardin. Nous sortîmes et assistâmes à une course-poursuite entre notre benjamine et une inconnue à lunettes qui semblait avoir trop bu. Lorsque notre Chaton s’arrêta pour nous expliquer que la petite adulte qui la fuyait avait mélangé traitements médicamenteux et alcool, nous nous empressâmes de l’attraper afin de la faire dessaouler. Je lui passai plusieurs fois mes mains mouillées sur le visage puis la força à boire un verre d’eau alors que Gwen la tenait et elle s’assura que l’on sache qu’elle nous détesta pour cela. Sally lui fit la morale en lui précisant qu’il pouvait être dangereux de mêler médicaments et alcool mais la binoclarde était encore trop ivre pour la prendre au sérieux et quand elle nous annonça qu’elle était venue de loin juste pour rencontrer le Cuple, nous la ramenâmes à la maison avec nous en espérant en apprendre plus sur sa personne et ses intentions. Elle se leva le lendemain avec une gueule de bois monstre, Mama la nourrit tandis que Laura lui apportait un Doliprane pour le mal de crâne puis nous l’interrogeâmes sur sa venue. Elle commença par nous dire son nom, Ambre, puis elle nous raconta que sa mère l’avait gardée enfermée chez elle pendant des années en utilisant ses troubles mentaux contre elle pour l’empêcher de sortir. Elle n’avait jamais tenté de fuir auparavant parce qu’elle n’avait nulle part où aller et sa génitrice l’ayant poussée à finir ses études en ligne, elle n’avait pas d’amis sur lesquels compter. Elle passait ses journées sur les réseaux si bien qu’elle avait fini par tomber sur les vidéos de Sally, elle les avait toutes dévorées et avait découvert que le Cuple avait déjà adopté plusieurs enfants dans le besoin alors, bien que son âge la rapprochait plus du Cuple que des Chatons, elle était venue nous chercher en comptant sur notre hospitalité pour pouvoir rester chez nous. Touchés par son histoire, nous acceptâmes de la loger sans problème et elle devint ainsi notre plus vieux Chaton.

Annotations

Vous aimez lire heskaype ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0