XXV
Ils s’étaient rencontrés par hasard alors qu’ils se promenaient dehors. Kaia lui était rentrée dedans, faisant tomber les livres qu’il tenait dans ses bras, puis s’était excusée en l’aidant à les ramasser. Quand elle avait reconnu un de ses comics préférés, elle s’était exclamée de joie en lui expliquant à quel point l’ouvrage l’avait marquée mais Désiré lui avait répondu d’un signe de la main en pointant ses oreilles pour montrer qu’il était sourd. Ne laissant pas ce détail l’arrêter, Kaia sortit son téléphone pour échanger avec lui et ils devinrent vite amis, puis amants. Tout le Cuple s’émerveilla en les écoutant partager leur rencontre, ils étaient adorables. Tom et moi parlions déjà couramment la langue des signes -nous l’avions apprise afin de pouvoir se raconter des obscénités en secret- et Matthieu et Alex connaissaient les bases alors nous n’eûmes aucun mal à communiquer avec le garçon. Il était si drôle qu’il me rappelait Tom, seulement en moins provoquant, et sa façon d’être lui apportait une telle légèreté qu’il aurait facilement pu devenir ami avec n’importe qui. Son style décontracté et ses cheveux blonds sur sa peau brune complétaient parfaitement les longues mèches bleu marine de Kaia ainsi que sa façon de s’habiller avec ses shorts et ses gilets holographiques. Cette dernière commença à l’inviter plus souvent après que nos premiers échanges se soient passés sans accroc et il vint nous saluer de notre côté à chaque fois qu’il passait voir sa copine. Une fois, il resta même un week-end et je ne fus pas étonné de l’apercevoir entouré de monde durant notre sortie dans notre club. Il était toujours incroyablement souriant et prêt à raconter des bêtises, ce qui le rendait très attachant alors quand j’appris le lendemain qu’il s’était disputé avec Kaia, je ne compris pas. La pauvre ado était venue nous voir en pleurant pour nous réclamer de l’aide après que son copain l’ait rejetée quand elle était allée lui rendre visite. Elle avait dit craindre qu’il ne se fasse du mal comme il avait l’air perturbé, c’est pourquoi j’étais allé le voir en personne afin de vérifier qu’il aille bien. Toquer ne servant à rien avec lui, je lui avais envoyé un message au numéro que mon Chaton m’avait donné pour lui signaler ma présence mais ne recevant pas de réponse, je fis le tour de sa mobil home à la recherche d’un signe de vie. Je trouvai une source de lumière derrière une fenêtre et m’y penchai afin de faire signe à Désiré quand je le vis un couteau à la main, les larmes aux yeux. Sentant la tension monter, je courus à l’entrée et arrivai à son niveau juste à temps pour l’empêcher de s’ouvrir le bras. Il sursauta en constatant ma présence alors je posai son arme plus loin et lui expliquai que j’étais venu sur la demande de sa petite amie, qui avait bien eu raison de s’inquiéter de lui. Le garçon sanglota un moment en me signant que sa sœur aînée Calliopée s’était énervée contre lui après qu’il soit rentré en sentant l’alcool et l’avait laissé seul. Il ne savait pas où elle était partie mais elle avait été poussée à bout par sa cadette Alana qui avait des problèmes d’addiction et elle s’était lâchée sur Désiré en lui criant qu’il suivait le même chemin qu’elle. Je l’avais rassuré en lui affirmant qu’il n’avait rien fait de mal et que ses deux sœurs devaient résoudre leurs conflits sans qu’il n’ait à en souffrir puis, remarquant que son genou gauche saignait abondamment, je le convainquis de me laisser le soigner. Il s’était fait amputer la jambe après un accident de moto l’année précédente, ce qui avait envenimé les disputes de ses sœurs comme il était avec Alana au moment de l’accident. Il se sentait désormais responsable de leur mauvaise entente et il se coupait autour du genou pour se soulager de toute la peine qu’il ressentait. Quand Calliopée avait claqué la porte, il avait été envahi d’une telle tristesse d’avoir négligé sa sœur qu’il avait souhaité mourir. Il me confia qu’il en avait déjà eu envie auparavant mais qu’il n’était jamais passé à l’acte alors je décidai de lui proposer de rester à la maison avec nous de façon à ce que nous puissions le surveiller et l’aider à aller mieux. Il accepta. Certaines de ses marques avaient besoin de points de suture alors je l’emmenai à l’hôpital avant de rentrer à Jennyhouse, je restai près de lui pour lui tenir la main en me faisant passer pour son beau-frère pendant qu’un médecin le recousait puis nous retrouvâmes mon Cuple et Kaia qui attendait impatiemment de nos nouvelles. Désiré s’excusa de son comportement auprès d’elle et elle le prit dans ses bras, effaçant cette histoire avec un baiser. Le garçon étant suicidaire, j’avais jugé bon de prévenir mon Cuple qui s’était chargé de vider nos salles de bain de tout objet coupant afin d’éviter de le tenter et Sugar commença une thérapie avec lui de manière à le soutenir au mieux.
Plus tard dans le mois, un peu avant Noël, Adrien réussit l’exploit de retrouver les demi-fratries de Manon et Alex à travers les réseaux sociaux après qu’ils nous aient partagé leur désir de prendre de leurs nouvelles. Ils avaient perdu tout contact en quittant leurs familles abusives et s’inquiétaient du bien-être de leurs adelphes alors ils s’empressèrent de leur envoyer un message dès qu’ils en eurent l’occasion. Leurs fratries furent ravies de pouvoir communiquer avec eux et ils s’organisèrent pour aller leur rendre visite en secret. Sam, l’adelphe de Manon, devait cacher son identité genderfluid à ses parents et subir leurs réflexions désagréables sur son apparence mais le fait de voir sa grande sœur et de pouvoir être honnête avec elle li soulagea d’un poids, iel savait qu’iel pourrait venir se réfugier chez nous une fois les 18 ans atteints. Les jumeaux Adam et Mei, quant à eux, furent choqués par les propos de leur frère aîné. Alex était terrifié à l’idée que leurs parents puissent s’en prendre à Mei de nouveau. En effet, quand les jumeaux n’avaient encore que 3 ans, leurs parents avaient forcé Mei qui était intersexuée à subir une opération afin de lui retirer ses caractéristiques masculines, suite à quoi ils l’avaient régulièrement violée avec une bougie histoire que son nouveau vagin ne se referme pas. L’enfant ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait et hurlait de douleur sans que cela ne gêne ses géniteurs. Alex, qui avait 12 ans à l’époque, s’était immédiatement monté contre ses parents en les signalant aux services sociaux après quoi la garde de leurs trois enfants leur fut retirée durant un an avant qu’ils ne leur soient finalement rendus. Alex avait alors été mis de côté par sa famille pour avoir tenu tête et dénoncé ses propres parents, puis l’annonce de sa transidentité lui avait valu d’être rejeté pour de bon. Ses adelphes ne se souvenaient absolument pas de cette période, cela leur était arrivé trop jeune. Adam qui se prenait des réflexions pour son homosexualité et qui en plus commençait à se questionner sur la non-binarité n’eut aucun mal à voir le pire dans les parents qui le délaissaient déjà mais Mei étant leur petite chouchoute, elle n’y crut d’abord qu’à moitié. Elle voulait conserver l’image de sa petite famille parfaite bien que ses deux frères avaient abandonné le navire il y avait longtemps déjà. Alex lui laissa de l’espace afin de ne pas trop la brusquer et demanda à son petit frère d’en faire de même, lui assurant que leur bien-être présent était le plus important, cependant Adam avait perdu tout respect pour ses géniteurs. Il informa Alex qu’il comptait bien partir mais ce dernier le calma en le suppliant d’attendre encore deux petites années le temps de devenir majeur, tout serait plus simple alors. Noël arriva bien vite, nous partîmes à Queerland pour finir l’année en beauté -c’était devenu notre tradition- et nous en profitâmes pour décompresser après tous les problèmes que les différentes saisons nous avait apportés. Nous organisâmes un long concert durant lequel nous jouâmes les hôtes en présentant chaque petit artiste qui se lançait et en utilisant chaque entracte pour danser ou faire les pitres comme à notre habitude. Je m’agitais sur scène comme si la douleur de mes articulations au bas du corps ne me détruisait pas de l’intérieur. Mes jambes n’étaient plus les mêmes depuis ma dernière agression par Max, elles avaient perdu en flexibilité malgré tous les exercices de souplesse que je faisais au quotidien et mes joints m’auraient fait mordre la poussière si je ne supportais pas si bien le fait de souffrir. Chaque jour semblait pire que le dernier et je ne savais plus où je trouvais la force de continuer. Courir était un enfer que j’évitais au mieux mais j’aimais trop la danse pour abandonner cette pratique alors je tenais bon avec la seule conviction que si je m’arrêtais ne serait-ce qu’une seconde, je n’en reviendrais pas. Je refusais de laisser la raideur de mes nouvelles jambes avoir mon âme. La fête battait son plein et tout le monde s’amusait à sa façon. La plupart du Cuple s’en donnait à cœur joie de boire, danser et discuter avec nos invités bien qu’Adrien et Tine se maintenaient en retrait, ils avaient beaucoup de mal avec les interactions sociales alors ils s’étaient promis de rester ensemble pour pouvoir mieux faire face aux éventuelles personnes qui venaient leur adresser la parole de temps à autre. Cela faisait quelques mois déjà que le reste du Cuple entretenait des messes basses à leur sujet, le fait que le photographe passe son temps libre à tenir compagnie à la libraire dans sa boutique les avait sensiblement rapprochés et tous se demandaient si leur amitié ne se transformait pas petit à petit en romance. Fatigué des murmures et des questions, je pris les devant et les questionnai directement sur la nature de leur relation. Adrien en ria d’un air gêné tandis que Tine se referma comme une huître avant de prendre la fuite. Croyant l’avoir blessée, je la suivis jusque dans notre mobil home pour m’excuser quand elle se mit à sangloter comme si elle avait fait quelque chose de mal.
- Je n’ai pas l’habitude d’avoir de bonnes amitiés, je ne veux pas tout gâcher, me confia-t-elle.
Ses sentiments pour mon amant devinrent évidents mais je lui réclamai quand même une confirmation et me gifla sous le coup de l’émotion avant de s’écrouler. Elle se mit à agiter ses mains frénétiquement, les frappant contre le bord de son crâne. Elle était en panique. Je lui caressai doucement les avant-bras pour l’aider à reprendre son calme puis, en voyant que cela ne fonctionnait pas, j’attrapai une couverture avec laquelle je nous recouvris tous deux afin de l’installer dans un petit cocon. J’avais commencé à faire cela avec Tom étant plus jeune ; quand je sentais la crise d’angoisse arriver, il me maintenait dans un cocon de couvertures et me rassurait en m’affirmant que personne ne pouvait m’atteindre, que j’étais loin de tout. J’appliquai le même principe pour calmer ma jolie rousse en l’invitant à s’imaginer une safe place, un endroit où elle serait en sécurité. Elle visualisa une énorme bibliothèque avec de grandes vitres aux travers desquelles dansaient quelques rayons de soleil, elle reprit son souffle en errant entre ses différents rayons et bientôt, sa vilaine crise ne fut plus qu’un mauvais souvenir. C’est à ce moment qu’elle m’avoua être autiste, que la crise qu’elle venait de faire s’appelait un meltdown. Sa neurodivergence m’était bien égale mais je pouvais sentir qu’elle ne disait pas ces mots à la légère, elle avait déjà fait face plus d’une fois à des gens qui refusaient de comprendre et ma bienveillance lui était précieuse. Je mis de côté cette histoire de romance, je voyais bien que son attirance pour Adrien la tiraillait alors je lui laissai le choix de lui confesser ses sentiments quand -et seulement si- elle en aurait envie. Je l’encourageai cependant à tenter une approche comme je me doutais au vu de sa réaction que mon amoureux ne lui était pas indifférent et elle finit par se lancer. Elle le prit à part pour lui parler mais, ne trouvant pas la force de prononcer les mots, elle l’embrassa histoire de lui montrer au lieu de lui dire. Adrien l’embrassa en retour mais ne sut pas quoi penser de ce baiser. Il était confus et Tine fondit en larmes de peur qu’il ne veuille pas la même chose qu’elle. De plus, elle semblait encore avoir du mal à se faire à l’idée qu’elle avait le droit de sortir avec deux personnes en même temps, elle avait passé sa vie en tant que monogame et c’était un changement assez conséquent pour l’inquiéter. En serait-elle capable ? Pourrait-elle jongler entre deux relations romantiques sérieuses ? Le décompte de la fin d’année était sur le point de commencer alors je me permis d’aller les chercher. En les voyant tous deux paniqués, je pris les choses en main et les poussai à échanger ce qu’ils attendaient l’un de l’autre, leur demandant s’ils désiraient devenir un couple. Quand ils répondirent tous deux de façon positive, je me sentis tel un prêtre sur le point d’annoncer << Vous pouvez maintenant embrasser la mariée >> quand je leur déclarai qu’ils étaient désormais officiellement un couple. Les petits sourires maladroits sur leurs visages me couvrirent de bonheur, j’étais si fier d’eux. Le décompte se mit en route et nous retrouvâmes les autres pour finir l’année tous ensemble. J’observai mes amants le sourire aux lèvres. Tom, Gwen et Neil, toujours fourrés ensemble. Sugar et Tine, à se soutenir comme des sœurs. Manon et Felicia qui s’aimaient si fort. Matthieu et Alex, à juger les autres dans un coin. Adrien, Neil et Tine qui formaient désormais une relation V. Et Mama et Laura, notre couple lesbien préféré. Je les aimais tant. La façon dont ils se fondaient les uns aux autres sans avoir besoin de mon aide me paraissait tout bonnement magique. Sur ses pensées, j’entrai dans la nouvelle année déjà plein de satisfaction.
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