Chapitre 1 La terrasse des Bernardins

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Florian Solis avait installé sa carcasse de Grand Duduche à la terrasse des Bernardins, au bord des quais de Seine. C’était un de ces après-midi parisien comme en rêvent les cinéastes. Un de ces moments où le temps se fige, où l’été finissant incite à la nostalgie, aux souvenirs et, comme en ce moment, à une paresse baignée de mauvaise conscience. Il pouvait y oublier la séance de dédicaces qui avait un peu moins bien marché que d’habitude. Il savait que l’incident n’aurait pas de conséquence sur les ventes mais il se sentait agacé. Le doute finirait par battre en retraite même s’il restait toujours en embuscade. La renommée était un combat sans fin où les défaites étaient nombreuses. Il regarda autour de lui. Un couple se disputait sur le trottoir, situation banale qu’il ne notait plus sur son carnet depuis longtemps. Á quand remontait sa dernière dispute avec Jenny ? Peut-être à sa dernière panne d’inspiration ? Lorsqu’elle s’aventurait dans son univers, c’était le plus souvent pour se moquer de son air inspiré. Il ne pouvait pas lui donner complètement tort.

Comme tous les créateurs de chefs d’œuvres autoproclamés, il réfléchissait mieux dans un bar, devant un café crème qui refroidissait toujours trop vite. C’était déjà le deuxième et l’inspiration était aux abonnés absents. En une heure, il avait écrit cinq pages, en avait déchiré trois et la dernière cartouche de son stylo à encre donnait des signes de faiblesse.

La séparation sur le quai de la gare lui laissait un gout amer. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle partait couvrir une manifestation artistique et Rome n’était pas le bout du monde. Son silence le tracassait même si elle n’était pas très bavarde au téléphone. Il essaya une nouvelle fois de se concentrer sur son histoire. Quand il bâtissait une intrigue, le personnage principal apparaissait très vite, avec une épaisseur et des traits si précis qu’on aurait pu le dessiner. Cette fois, il lui échappait complètement et n’était guère plus qu’une silhouette qu’il promenait au hasard dans les rues brumeuses d’une ville sans nom à la recherche d’une femme qu’il avait aimé autrefois. Plus il s’acharnait, plus il lui apparaissait que c’était une mauvaise idée. Bien sûr, il essayait de se persuader que Sartre et Hemingway avaient connu de tels moments au café de Flore ou à la Closerie des Lilas, mais ce n’était qu’une maigre consolation. La douceur de l’automne ne lui était d’aucun secours. L’inspiration ne faisait bon ménage avec le doute.

Un groupe bruyant s’installa à quelques tables de lui. Il essaya de trouver parmi eux des personnages intéressants, quelques comportements révélateurs, des phrases piquantes attrapées au vol qui sentaient le pittoresque, tous les détails correctement retranscrits sur la feuille blanche et qui faisaient la différence entre un tâcheron et un auteur reconnu. Une fois de plus, il fut déçu.

Les garçons cultivaient la négligence vestimentaire et les filles étaient banalement jolies. L’une d’elles ressemblait à une voisine d’amphithéâtre lors de sa fugace tentative en fac de droit. Ils étaient allés ensemble au cinéma, un seule fois.

Il ferma les yeux et se rappela l’époque, pas si lointaine, où il faisait ses premières armes en jouant les babacools intellos dans les cafétérias et quelques bistrots confidentiels promus au rang de maisons de la culture. Il avait certes fait du chemin mais où le menait-il? Que devait-il faire encore pour que son rêve devienne réalité? D’autres souvenirs revenaient mais ils n’étaient pas les bienvenus. Il passa une nouvelle fois le film de sa consécration sur son écran intérieur. Il ne restait plus qu’à lancer la première bobine, comme au bon vieux temps des ciné-clubs.

Bien entendu, l’interview était diffusée sur une chaine publique à une heure de grande écoute. Il adopterait l’air modeste de ceux qui ont réussi mais ne veulent pas écraser les autres.

« ― … Florian Solis, votre dernier livre s’est vendu à dix mille exemplaires et va être adapté au cinéma. Votre nom a été cité pour le Goncourt et la critique unanime salue l’originalité de votre intrigue. Comment, aujourd’hui, un romancier, peut-il encore avoir des idées nouvelles ?

― En réalité, depuis que la littérature existe, on n’a plus rien inventé sur le fond. Il faut donc faire la différence sur la forme et laisser vagabonder son imaginaire. Dans le cas de ce roman, j’étais à la terrasse d’une brasserie au bord de la Seine d’où je pouvais apercevoir les tours de Notre-Dame. C’est alors que l’idée m’a traversé l’esprit comme un trait de feu … »

Non ! Là vraiment, il faudrait trouver autre chose.

L’arrivée d’une jolie blonde interrompit la séance. Elle ressemblait à celle qu’il avait connu autrefois et il ferma les yeux, le temps que la machine à remonter le temps cesse de lui donner le vertige. Elle ne l’avait même pas remarqué et rejoignit un garçon baraqué comme un champion de surf. Il étira ses jambes qu’il trouvait un peu trop maigres dans ses éternels jeans délavés et sortit ostensiblement le carnet en moleskine sans lequel il ne saurait y avoir de véritable écrivain. Il relut ses dernières notes. Sa plus récente trouvaille lui sauta au visage comme un reproche.

« Il faut avancer comme le monde avance. La vie est un train infini qui nous conduit jusqu’à la dernière gare »

Il posa son stylo bien en vue sur l’une des feuilles qui avait survécu au griffonnage Il savoura avec un plaisir masochiste la profonde stupidité de cette phrase. Cette crise de lucidité n’arrangeait rien.

Le groupe de jeunes ne semblait pas pressé de partir et leurs discussions creuses, reflet des réseaux sociaux polluaient le fond sonore. Comme souvent dans ces cas-là, ceux qui avaient la voix la plus désagréable parlaient le plus fort. La bobine du film était définitivement rompue et il essaya de faire le bilan de sa journée. Il se remémora un dessin de Sempé. Un petit bonhomme solitaire arpentait les rues de la grande ville et observait la frénésie urbaine.

Rentré chez lui, il ouvrait son journal intime et notait d’une plume appliquée : « Aujourd’hui : Pluie, bruit, vent ».

Si Florian avait eu la même habitude, aujourd’hui, ce serait « vent » pour éviter d’écrire « Jenny n’a pas appelé. Il doit faire beau à Rome. »

Il regarda avec un air de reproche son stylo qui avait peu fonctionné et referma son carnet, découragé avant de se rendre à l’évidence, ce n’était pas le jour des pensées profondes.

La gourmette en argent, seul souvenir d’une mère qu’il avait à peine connue, tinta contre le faux marbre de la table. Ne sachant que faire, il sortit son paquet de cigarettes puis le remit dans sa poche. Á une certaine époque, il avait fumé la pipe pour se donner des airs de philosophe existentialiste. Il consulta son agenda, ce dont il aurait pu se dispenser car en ce moment son emploi du temps était d’une désespérante monotonie. La grande consécration à la télé n’était pas à l’ordre du jour.

Il essuya ses lunettes rondes. Le décor lui refusait toute fantaisie. Seuls les étalages des bouquinistes semblaient lui faire signe. Il n’avait plus rien à faire ici. Ce n’était pas dans ce décor banal, au milieu d’une clientèle sans intérêt, qu’il donnerait un nouvel élan à son inspiration. La jolie blonde avait emporté avec elle les souvenirs de rêves inaccessibles. Il fallait revenir à la réalité et de toute façon, il n’était pas question d’avaler un troisième café.

Un couple vint s’asseoir près de lui. L’homme, grand élégant les cheveux argentés lui tournait le dos. La femme avait un profil attirant et mystérieux. Ils discutaient à voix basse avec animation. Il rouvrit son carnet pour éviter de les regarder et essaya d’écouter leur conversation où il crut reconnaitre des mots d’italien.

― Rendez-vous au Florian !

Les mots prononcés par la femme avaient claqué, chargée de colère et de défi. Son regard se figea sur sa tasse vide. Des images se déversaient, comme un barrage qui se rompt et un flot d’images qui emportait tout. Il se revoyait dans le célèbre café de la place Saint Marc, avec ses salons aux dorures fanées, ses miroirs reflétant de belles inconnues en perruque buvant le thé dans des tasses armoriées. Les pigeons s’envolaient, les cloches sonnaient. Venise ressurgissait du passé, fascinante et cruelle, lointaine et si proche.

Il la regarda discrètement. Sa voix avait les intonations de Marlène Dietrich. L’homme dont il ne voyait que le dos s’éloignait en louvoyant entre les tables. Même en traversant la rue, il conservait une allure nonchalante de grand fauve. Il disparut brusquement au coin d’un mur aveugle et c’était comme s’il n’avait jamais été là. Florian ne savait pas encore mais il ne verrait jamais son visage.

La femme referma son sac avec des gestes nerveux. Ses yeux verts aux reflets gris reflétaient un mélange de tristesse et de colère. Il fit semblant de chercher quelqu’un pour détailler son visage aux traits de vierges préraphaélite, ponctué de rides à peine naissantes.

« Rendez-vous au Florian »

L’étrange invitation résonnait dans sa tête comme un défi. Les image se déversaient toujours, charriant des souvenirs de ville fantôme qui se reflétaient dans l’eau sombre, les palais anciens masquant leur décrépitude, les visages de madones dans l’ombre des églises. En la regardant à nouveau, il eut la certitude irrationnelle que ce rendez-vous n’aurait jamais lieu.

Elle rajusta son chapeau digne d’un grand Prix d’Amérique, empoigna son sac et se leva.

Le bruit de la chaise l’arracha à sa torpeur. Il lui fallait absolument comprendre ce que signifiait cette phrase et qui l’avait prononcée. Il ne fallait pas qu’elle disparaisse avec son secret. Il n’eut que le temps de poser à côté de sa tasse un billet de cinq euros avec l’air dégagé de celui qui ne se préoccupe pas du montant des pourboires.

Les jeunes gens étaient toujours plongés dans des bavardages insipides dont il ne connaitrait pas la fin. Il la suivit tandis qu’elle remontait la rangée des bouquinistes. Il ne se préoccupait pas de son comportement absurde, il fallait qu’il sache. Dans un roman de Simenon, le ciel serait lourd et chargé. Mais la douceur de l’air lui permettait au moins de jouer les flâneurs désoeuvrés. Elle s’arrêta devant un étalage de vieux magazines, ce qui lui permit de consulter sa messagerie qui n’affichait aucun nouveau message. Il relégua ses interrogations dans un coin de son esprit. Elle s’arrêta devant un bouquiniste aussi barbu que le père Frédé du Lapin Agile pour s’intéresser à un vieux Cinémonde. Il reconnut en couverture la belle Alida Valli et ses lointains souvenirs de cinéphile revirent le hanter.

Il lui laissa prendre un peu d’avance alors qu’elle traversait d’un pas vif l’île de Cité sans accorder un regard à la statue d’Henri IV.

« Elle a pris à droite sur la rive gauche ».

Il n’eut pas le temps de s’interroger sur la profondeur de cette pensée qu’il n’avait pas le temps de noter sur son carnet fétiche. Puisqu’il s’était transformé en policier, il était plus que temps de réviser ses classiques et d’aviser les règles élémentaires de la filature. Par chance, il les avait étudiées pour les besoins d’un polar déjanté qui prétendait renouveler l’univers du commissaire Maigret. L’œuvre immortelle avait tout de même atteint le tirage honorable de mille exemplaires, y compris les invendus et ceux qu’il avait offert. Ses copains, comme toujours, avaient beaucoup apprécié. Il se mit dans la peau d’un de ces privés américains qui avaient bercé son adolescence et adopta instinctivement la démarche fatiguée de Philippe Marlowe.

L’inconnue s’arrêta une nouvelle fois et passa le doigt sur la reliure d’un livre fatigué qui traitait de l’architecture des palais vénitiens. Elle examina ensuite une édition déjà ancienne du « Rivage des Syrtes ». Il l’avait lu autrefois mais le livre avait disparu dans un déménagement.

Elle se retourna brusquement et regarda dans sa direction d’un air inquiet. Il n’eut que le temps de se pencher sur un lot dépareillé de la Pléiade. Il imagina le regard méprisant de Marlowe et maudit sa silhouette trop repérable. Jamais un filocheur n’aurait l’idée de suivre un suspect avec une veste à franges des années 80. Il lui laissa prendre un peu d’avance en griffonnant les titres des livres qui pourraient peut-être, plus tard, éclairer sa personnalité.

Elle avait ralenti, un I-phone collé à l’oreille. Une accalmie relative dans le bruit de la circulation lui permit de surprendre d’autres mots en italien. Il se rapprocha lentement, tout en suivant du regard les bateaux-mouche qui se croisaient sous les vieilles arches.

Elle tourna au coin de l’Académie Française et il la perdit de vue quelques instants. Il s’était promené un jour dans ce quartier avec Jenny qui préférait Montmartre et les Champs-Elysées. C’était un endroit où les souvenirs ne pouvaient pas se mélanger. Il pressa le pas au mépris de toute prudence et eut juste le temps de la voir entrer dans une galerie de peinture de la rue de Seine. Á travers la vitre, un gros homme sosie d’Orson Welles la serrait affectueusement dans ses bras. Tous deux entamèrent une discussion animée en passant en revue des tableaux aux couleurs épaisses et aux sujets énigmatiques. Avec un de ses amis, surnommé le Peintre Maudit, il s’était initié aux tendances de l’art contemporain. Même de loin, Florian eut la certitude qu’ils ne lui plairaient pas.

Il s’assit sur un banc et suivit à distance leur discussion comme dans un film du cinéma muet. Jenny et lui ne s’étaient séparés que depuis le matin. Il se rassura en pensant que ce n’était pas la première fois. Il refusa d’en tirer des conclusions et se changea les idées en convoquant ses souvenirs.

Au premier étage d’un immeuble qui faisait le coin de la rue voisine, il avait eu une aventure avec une étudiante irlandaise. Il venait d’arriver à Paris, prêt à toutes les rencontres.

Á l’époque, ils aimaient regarder le spectacle de la rue derrière des rideaux plissés. On les avait remplacés par des stores sans âme. Un peu plus loin habitait le vieux Barney, un pochard néo-zélandais qui prétendait avoir joué sous le maillot des All-Blacks. Florian se promettait régulièrement d’aller vérifier sur Internet. Ils s’étaient rencontrés au cours d’une soirée arrosée chez une copine un peu fofolle qui collectionnait les aventures. Une sympathie bruyante était née, ponctuée de retrouvailles épisodiques dans tout ce qui pouvait ressembler à un pub. Jenny ne l’avait rencontré qu’une fois et, chose étrange, l’avait trouvé amusant et sympathique. La discrétion n’était pas sa qualité principale mais par chance, il n’était pas en vue.

L’inconnue ressortit après avoir embrassé le galeriste sur les deux joues et remonta la rue de Seine. Il put à loisirs admirer sa silhouette de vamp italienne et regrettait de plus en plus de ne pas ressembler à Mastroianni. Les passants étaient rares et il prit soin de garder ses distances. Il reconnut la vitrine d’un luthier où une contrebasse majestueuse paradait toujours au milieu d’un troupeau de violons.

L’inconnue s’arrêta au coin de la rue Visconti devant une petite épicerie dont l’étalage débordait de fruits et légumes multicolores. Plus la filature se prolongeait, moins il sentait à l’aise. Son coeur battait de plus en plus fort et il avait l’impression que derrière chaque fenêtre des regards le suivaient. Ce genre de femme devait être habituée à attirer le regard des hommes. La femme l’avait-elle repéré ? Elle devait être habituée à attirer l’attention des hommes. Ėtait-il possible qu’elle ne l’ait pas déjà remarqué ?

Elle disparut dans la rue Visconti. Quelques années plus tôt, il y était venu à l’occasion d’une fête foireuse. Il était toujours surpris du nombre de rues dans lesquelles il avait semé des souvenirs. Lorsqu’il arriva au coin, il la vit entrer dans un immeuble banal.

L’entrée était protégée par une porte de verre épais aux ferrures torsadées. Il distingua un hall recouvert de faux marbre où deux plantes vertes montaient la garde. L’inconnue refermait sa boîte aux lettres, la deuxième vers le haut, rangée de droite. Pour se donner le temps de la réflexion, il sortit à nouveau son portable et consulta une boîte de réception qui n’avait toujours rien à lui dire.

― Pardon, jeune homme !

Une élégante sexagénaire l’observait en restant à bonne distance du digicode enchâssé dans une plaque de cuivre dorée. La coiffure de ses cheveux argentés semblait sortie d’une publicité pour un coiffeur de luxe. Ses doigts chargés de bagues étaient crispées sur un sac qui n’avait pas été acheté dans un magasin de soldes.

― C’est moi qui m’excuse, madame. C’est la première fois que je viens, et mon amie a oublié de me donner le code. J’étais justement en train de l’appeler.

Il pria pour qu’elle ne lui demande pas le nom de cette amie. Elle le regarda en fronçant les sourcils, visiblement étonnée qu’un étudiant attardé portant une veste à franges puisse fréquenter quelqu’un dans son immeuble. Il fit un pas en arrière en prenant l’air contrit qui lui réussissait souvent avec les filles. Elle esquissa un sourire puis composa le code tandis qu’il prenait soin de regarder ailleurs. Le ciel était avec lui, il fit semblant de rassurer son « amie » et rangea son portable. comme dans tout bon roman policier, il ne fallait négliger aucun détail. Il lui tint poliment la porte et entra derrière elle.

La femme se dirigea vers l’ascenseur en le suivant des yeux grâce aux glaces murales. Elle ouvrit la porte et le regarda d’un air interrogateur. Il la remercia avec son plus beau sourire et prit l’escalier avec le pas décidé de celui qui sait où il va. Il monta deux étages, guetta le bruit de l’ascenseur et redescendit sans faire de bruit. Le hall était désert. Sur la batterie de boîtes aux lettres, il lut la petite étiquette blanche. Les mots étaient calligraphiés dans une police de caractères qui restituait les pleins et les déliés comme sur un ancien cahier de cours élémentaire.

« Julia Foscari- 3eme gauche »

Il nota soigneusement le nom et referma son carnet. Et maintenant? Il se tourna vers les ficus. Si les plantes vertes avaient un regard, nul doute qu’elles lui manifesteraient un mépris écrasant. Allait-il frapper à sa porte? laisser un message dans sa boite?

« Vous ne me connaissez pas mais… »

Il se revit, des années auparavant, avec une bande de copains. Un de leurs jeux favoris consistait à laisser des messages dans des boites aux lettres inconnues.

« Tout va bien, j’ai caché le corps »

« La marchandise arrive cette nuit, sois à l’heure »

« Je suis revenue, rendez-vous où tu sais »

Qu’étaient devenus, ces joyeux plaisantins? Responsable de management? cadres bancaires? professeurs? Á l’avènement des réseaux sociaux, il avait essayé d’en retrouver quelques-uns, sans grand résultats. Dans ce domaine comme dans d’autres, Il n’était pas bon de regarder en arrière.

Il n’eut pas le temps de laisser ses pensées vagabonder davantage. L’ascenseur redescendait. Il retrouva le monde extérieur avec le soulagement du plongeur remontant à la surface. Quelqu’un sortait derrière lui. Pour se donner une contenance, il consulta sa mesagerie désespérément vide. Le portable était une invention géniale quand on voulait avoir l’air naturel dans une rue déserte. Un homme en complet veston le frôla sans lui accorder le moindre regard. Son visage maigre et froid évoquaient, selon l’humeur, les pompes funèbres ou une compagnie d’assurance.

Florian jugea plus prudent de repartir en sens inverse, espérant que la dame au brushing ne le regardait pas derrière sa fenêtre. Maintenant, il avait besoin de réfléchir.

En revenant vers la rue de Seine, il découvrit, caché derrière l’épicerie, un café-tabac rescapé d’un film de Marcel Carné, avec sa façade étroite aux fenêtres ornées de rideaux bleus. L’une d’entre elles était ouverte. Il découvrit un décor de chaises et de tables en bois avec un comptoir à l’ancienne. Un endroit idéal pour les amours illégitimes, les romances à deux sous et les rencontres discrètes entre flics et indicateurs.

Un homme aux cheveux blancs était assis dans un coin, immobile, absorbé par la lecture de son journal. Il leva la tête et Florian eut l’impression que son regard le suivait. Il pressa le pas en se maudissant de sa stupidité. Décidément, il était trop parano pour faire un bon flic.

La brasserie voisine était plus banale donc plus rassurante. Il s’installa à une table d’où on avait une bonne vue sur l’extérieur. On pouvait voir la rue Visconti en enfilade jusqu’à la rue Bonaparte. Il commanda un demi et réalisa brusquement qu’il ne pouvait pas rester des heures à guetter cette femme. Et même s’il pouvait la suivre à nouveau qu’est-ce qu’il en aurait de plus ? espérait-il vraiment découvrir des secrets qui lui permettraient de démarrer son histoire. Il relut ses quelques notes avec une pensée pour le commissaire Bourrel et écrivit en grosses lettres sur une page vierge de son carnet :

« Pourquoi? »

S’il s’obstinait dans son idée, le petit café constituerait un bien meilleur poste d’observation mais son manège ne passerait pas inaperçu très longtemps. Il avait lu une biographie d’Hemingway. Son illustre modèle avait écrit certains de ses chef-d’œuvre dans la pénombre tranquille et quasi-déserte de la Closerie des Lilas. Le problème est qu’Hemingway ne surveillait personne. Il posa quelques euros sur la table et se leva.

« Allons futur prix Nobel, il est temps de regagner ton sixième étage où personne ne t’attends. »

Il repartit par le métro de la rue Bonaparte, ce qui lui permit de repasser devant le café. Deux tables étaient occupées par des joueurs de belote. Des consommateurs discutaient au comptoir. L’homme aux cheveux blancs lisait toujours. Cette fois, il ne leva pas la tête. Plusieurs fenêtres étaient éclairées dans l’immeuble, celles du troisième étage étaient fermées, les rideaux tirés. Un dernier rayons de soleil s’attardait sur le toit.

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