Balade nocturne
Florian avait découvert les écrits de Restif de la Bretonne à l’occasion d’une bronchite. Fasciné par le récit de ses pérégrinations nocturnes, il lui était arrivé de remettre ses pas dans ceux de son illustre aîné. S’il revenait aujourd’hui, que penserait-il de cette ville étrange? Les fats divers racontés en boucle lui paraitraient bien fade par rapport à la faune grouillante et dangereuse du 18eme siècle.
Il retrouva sans surprise dans le métro l’échantillon habituel de voyageurs apathiques et faussement inquiétants qui ne lui inspirait plus de portraits pittoresques. Ceux qui ne somnolaient pas dialoguaient avec leurs I-phones. Il y en avait toujours un qui se réveillait en sursaut au dernier moment et descendait en hâte,ce qui lui arrivait parfois. Autrefois, le monde était plus simple. Ceux qui parlaient tout seuls sur les quais du métro étaient des fous ou des alcooliques. Aujourd’hui, on avait l’air anormal si on n’avait pas un portable collé à l’oreille.
Aucun accident de voyageur ne perturba le trajet. C’est seulement en arrivant au coin de la rue Visconti qu’il se demanda ce qu’il fichait là. L’épicerie était encore ouverte. Avec la brasserie encore bien remplie, il constituait le seul ilot de vie et de lumière. Une petite vieille sortit avec quelques légumes dans son cabas et le regarda d’un air méfiant avant de s’éloigner à petits pas. Planté sur le trottoir, loin de son arrondissement, il se sentait étranger.
Deux hommes sortaient du petit café en discutant avec animation. Il eut le temps de jeter un coup d’œil à l’intérieur. Malgré l’heure tardive, plusieurs tables étaient occupées. Les joueurs de belote avaient changé, Un petit vieux, seul dans son coin, les regardait d’un air triste. Sa longue vie avait sans doute été riche en mésaventures. Peut-être aurait-on pu en faire un roman ?Le patron discutait avec un fort accent auvergnat. Assis au comptoir, un homme portant un panama d’une blancheur éblouissante regardait distraitement vers l’extérieur. Il fut conforté dans sa première impression. Cet endroit était un refuge d’habitués fuyant la solitude, un nouveau venu aurait du mal à s’y faire une place.
Au troisième étage de l’immeuble où habitait Julia Foscari, il distingua des ombres derrière les rideaux. Recevait-elle quelqu’un ? Il attendit un moment en s’imaginant qu’elle sortirait au bras d’un bel inconnu puis se résigna à rejoindre le métro.
Ses copains riraient bien s’ils le voyaient jouer les amoureux transis au pied d’un immeuble qui n’avait même pas de balcon. S’il voulait progresser dans sa recherche, il lui fallait absolument mettre au point une stratégie.
Dans le wagon du retour, les voyageurs étaient moins nombreux mais tout aussi inintéressants. La pluie le rattrapa à quelques mètres de son digicode.
Deux nouveaux messages l’attendaient tandis qu’il se laissait tomber sur le canapé, une bière à portée de la main. Il ne pouvait plus retarder la séance de psychanalyse sauvage avec Maxence, son dépressif préféré. Le regard de Gandalf l’encourageait dans l’épreuve. Les états d’âme de son ami auraient fait pâlir de jalousie Marcel Proust. Autant en finir tout de suite car le lendemain, il se levait tôt. Après avoir réglé la lumière et respiré un grand coup, il appuya sur la touche « rappel ». Il était vingt-deux heures quarante-huit.
― Bonsoir, vieux ! Désolé de t’avoir fait attendre mais je viens juste de rentrer.
― Pas grave ! C’est sympa de me rappeler. Figure-toi qu’il m’arrive un truc…
Florian fixait l’écran sans vie de la télé, moyen commode pour se mettre dans un état de semi-hypnose qui lui permettait d’assimiler le flot d’informations. Contrairement à ce qu’il redoutait, sur les 1h51 minutes de quasi-monologue, ses problèmes amoureux n’avaient pas occupé lus d’une demi-heure. Ses pensées étaient occupées par une serveuse de Mac-Do pour qui il était devenu connaisseur en nuggets et royal-cheese. Ce qui ne changeait rien à la froideur de la demoiselle.
Ils avaient ensuite longuement parlé de la soirée chez Elisabeth. La présence de certains invités avait déclenché un concours de commentaires acides qui avait détendu l’atmosphère. Maxence était très fort à ce jeu qui, selon ses dires, lui donnait un côté Sacha Guitry. Lui aussi s’interrogeait sur la présence éventuelle d’un nouveau chéri. Elle ne savait pas rester seule trop longtemps…
L’horloge digitale affichait minuit trente-neuf lorsque retentit enfin la phrase salvatrice.
― J’arrête avec ça, je ne veux pas t’embêter avec mes histoires. On prend un verre un de ces jours ?
― Mieux que ça, je t’invite demain soir avec Nanard, on se fera un bouffe. J’ai un service à vous demander…
Il se déshabilla sans faire de bruit comme lorsqu’il n’était pas seul. Allongé dans l’obscurité, il écouta la rumeur du monde extérieur bien amortie par le double vitrage. La respiration tranquille de Jenny lui manquait. Un coup d’oeil au radio-réveil le ramena à la dure réalité. Il se levait à six heures.
Il imagina Julia Foscari allongée près de lui mais évacua vite ses fantasmes. Elle rirait bien si elle le voyait en pantoufles Pikachu, le dernier cadeau de Jenny.
Le bruit de la pluie l’aida à s’endormir.
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