Maxence dans ses oeuvres

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réfléchir à la mission bizarre qu’on lui avait confié. En remontant la rue Visconti d’un pas de flâneur, il se demandait ce qu’il fichait là. Ni l’endroit ni le quartier ne lui plaisaient. L’immeuble où habitait la mystérieuse italienne était d’une banalité absolue et il aurait fallu le payer cher pour qu’il y habite. Il regarda les fenêtres du troisième étage en espérant qu’elle ne soit pas déjà partie. Il y avait déjà du monde dans le petit café, décrit par Florian en termes lyriques sans lui donner envie d’y entrer.

La brasserie lui parut plus accueillante en attendant le début d’une éventuelle filature. . Il s’installa à l’abri d’une plante verte et ouvrit le cahier où il avait noté à la volée les règles élémentaires dictées par Florian à partir de sa documentation professionnelle.

« Il faut s’habiller de façon neutre . Chaussures cirées, veste de cadre et petite sacoche»

. Oui, à

condition de ne pas filocher dans une rave-party, il pouvait difficilement faire plus classique qu’avec son costume de rendez-vous avec une cravate noire. Quant à la sacoche, achetée récemment, personne ne pouvait se douter qu’elle contenait cinq albums des Bidochons et un carnet sur lequel il notait les mélodies de ses futurs succès.

« Ne pas avoir de particularités physiques qui attirent l’attention »

Une fois de plus, il en voulut à ses cheveux roux et à sa tête qui ne supportait pas les chapeaux. Une fois, une seule, il avait envisagé de mettre une perruque. L’opinion unanime de son entourage l’avait dissuadé de renouveler l’expérience.

Même si au fond de lui-même il n’y croyait pas vraiment, il vit apparaitre la femme que Florian avait décrit avec beaucoup de précisions. Trop, peut-être pour une silhouette à peine entrevue ? Il sortit, le smartphone collé à l’oreille. La rue Visconti, droite et sans cachette possible, imposait une certaine prudence. En repassant devant le petit café, il remarqua à peine un homme aux cheveux blancs qui tenait un journal plié à la main. Il accéléra le pas, craignant de la perdre mais la retrouva, attendant sagement à un feu rouge. Il se rapprocha d’elle en feignant de s’intéresser à un magasin de fringues bon marché.

« Le meilleur moyen de suivre quelqu’un sans se faire repérer, c’est de le précéder »

Jusqu’ici, tout allait bien et il félicita discrètement son reflet dans une vitrine. Julia Foscari entra dans un salon de beauté au luxe discret. Son instinct de policier débutant lui déconseilla vivement de la suivre.

Il s’installa à la terrasse d’un café voisin d’où il avait une assez bonne vue sur l’intérieur. Il la vit plaisanter et rire avec une employée, puis embrasser une autre cliente avant de s’asseoir près d’elle. Il sirota sa bière en se demandant combien de tournées au comptoirun vrai policier pouvait se faire rembourser en notes de frais. Pendant que la belle italienne se faisait pomponner, il griffonna l’ébauche d’un thème musical. Finalement, cette enquête n’était pas si désagréable. Il repéra une jolie brune sosie de leur copine Ėlisabeth, mais le devoir le retint.

Elle ressortit avec la copine qui de toute évidence avait plus besoin qu’elle de soins esthétiques. Il consulta à nouveau son cahier.

« Dans la mesure du possible, il vaut mieux être deux ou trois »

Malheureusement, le stratège Florian avait réparti les rôles en fonction des effectifs et des horaires. Lui-même devait être aux prises avec son engin de nettoyage et Nanard, qui travaillait de nuit, se levait rarement avant midi. Il était convenu qu’il l’appellerait dès qu’il viendrait prendre la relève.

Les copines se séparèrent et Julia Foscari le promena jusqu’à la rue de Savoie où elle entra dans une galerie d’art. Décidément, elle aimait la peinture Il étudia l’affiche collée à la porte ouverte où s’étalait complaisamment la biographie d’un certain Georges Brozoski, peintre abstrait et lithuanien qui invitait le bon peuple à son vernissage, prévu le soir même à vingt heures. L’entrée était libre et le cocktail offert. La jeune femme discutait gaiement avec l’artiste frisottant qui prodiguait des « ma chérrie … » toutes les deux phrases. Maxence s’éloigna au moment où elle ressortait.

— Arrivederci, Giorgio, stasera !

Il la vit ensuite se diriger vers un point SNCF où elle retira un billet qu’elle rangea soigneusement dans son sac. Elle se rendit ensuite à l’ambassade d’Italie, où elle resta une bonne heure avant de revenir enfin chez elle. Il en savait assez et jugea qu’il avait bien rempli sa mission. Nanard prendrait la relève si elle ressortait dans l’après-midi. Il attendit l’heure de la relève avec la satisfaction du devoir accompli et appela Florian qui répondit à la première sonnerie.

— Agent spécial Maxence au rapport, CHEF !!!

— Spécial est le mot qui convient. Tu as du nouveau ?

— Du nouveau et de l’intéressant !

Il raconta sa matinée sans être interrompu.

— Oui, c’est intéressant !

— C’est tout ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu as une drôle de voix. Des problèmes avec ton ayatollah de supermarché ?

— Excuse-moi ! Je ne sais pas ce qui se passe mais en ce moment, il y a une vraie ambiance de merde. Tu as fait du bon boulot. Donc, ce soir, elle assiste à un vernissage ?

— Et il y aura sûrement du beau linge, le gugusse a l’air connu. Ce sera sûrement le genre de soirée où on s’extasie devant deux clous tordus plantés sur un bâton. Les quelques tableaux que j’ai aperçu me font penser à une exposition sur les maladies de cul de singe.

— Je vois que ton sens artistique est toujours aussi développé. C’est l’occasion d’en savoir plus sur elle et pourquoi pas de lui parler. Le problème, c’est qu’il faut s’y connaitre un peu en art moderne, sinon elle va avoir des soupçons. Dans ce domaine, je ne tiens pas la route.

— Je te vois venir, mais moi non plus, je n’y connais rien en art moderne. Nanard, j’en parle même pas. De toute façon, il travaille cette nuit.

— Donc, il nous faudrait quelqu’un à l’aise dans ce milieu, qui présente bien et pourrait engager la conversation. Tu penses au même oiseau rare que moi ?

— Charles-Louis ! Tu as raison. Á cette heure, il doit s’empiffrer à la cantine de son ministère.

La boite vocale enregistrée par une hôtesse de l’air sous tranquillisant eut à peine le temps d’articuler trois mots…

— Ce vieux Florian ! C’est le ciel qui t’envoie ! J’ai été désigné volontaire pour aniner un « Brain storming » avec des connards et un directeur de cabinet comme chef de troupeau.

En ce moment, on est en déjeuner de travail peu diététique. Ne t’inquiète pas si je t’appelle « Monsieur le Secrétaire d’Etat » , tu me sers d’alibi pour respirer un peu. Qu’est-ce qui t’amène ?

— J’ai un problème et tu peux m’aider à condition d’être disponible ce soir.

— Je t’écoute.

— Je voudrais que tu assistes à un vernissage où tu pourras rencontrer une Italienne que je vais te décrire. J’aimerais que tu en apprennes le plus possible sur elle avec le tact et discrétion qui te caractérisent. Epargne-moi les sous-entendus graveleux, je t’explique …

Dans le métro qui l’emmenait à Saint-Germain des Près, Florian ouvrit une nouvelle boite aux souvenirs.

Charles-Louis Saint Roch ! Huitième de sa promotion à l’ENA, un physique de latin-lover assorti d’un brushing toujours impeccable. Le complice le plus improbable qu’on puisse imaginer pour les blagues qui avaient ponctué leurs années de fac. Charles-Louis au culot imperturbable qui imitait à la perfection le professeur d’économie politique pour lui faire crier des obscénités en plein amphithéâtre.

Charles-Louis, qui cultivait son look de lord anglais alors qu’il était né à Poitiers, affichait en toute circonstances un air désabusé. Son exceptionnel talent pour parler brillamment de choses qu’il ignorait ferait merveille pour l’étrange mission qu’il avait accepté avec joie. Il n’avait pas caché ses doutes sur les motivations invoquées par Florian, mais n’avait pas insisté. Jenny lors de leurs quelques rencontres n’avait pas dissimulé le malaise qu’il lui inspirait.

Florian avait sollicité un jour de congé sans donner d’explication. Il s’accorda une longue flânerie le long des quais, avant de rallier le petit café. Tout était bon pour alléger l’absence.

Jenny aimait bien ces flâneries sans but. Peut-être se promenait-elle en ce moment sur les bords du Tibre ou dans les ruines du Forum. Seule ? il fit le bilan de la matinée qui n’était pas si mauvais. Si Nanard apportait à son tour des informations intéressantes, ils pourraient ouvrir une agence de détectives privés. Le portable sonna.. Quand on parlait du loup… Nanrd avait sa voix geignarde des mauvais jours.

— J’ai pris la relève , comme prévu. Heureusement, je n’ai pas eu trop à attendre. Elle est ressortie assez vite avec un caddie à provisions. Information numéro un, madame fait ses courses elle-même. Je l’ai suivie dans le magasin et comme il y avait des promos, j’en ai profité pour..

— Tu me raconteras plus tard. C’est ce qu’elle a acheté qui m’intéresse.

— Elle mange bio et achète sans se préoccuper des prix mais je n’ai pas l’impression qu’elle ait des bouches à nourrir. Par contre, elle aime bien le champagne. Elle n’a rien acheté pour des animaux ou des plantes vertes.

— C’est tout ?

— Presque. En revenant chez elle, on l’a appelée J’ai pu saisir quelques mots. On passait la chercher. Effectivement, elle est ressortie aussitôt et un gars est arrivé avec une voiture italienne haut de gamme, j’ai noté le numéro.

— Que veux-tu qu’on en fasse ? Tu as un copain au service des cartes grises ?

— Si tu n’es pas content…

— Te fâche pas… Il ressemble à quoi ton gars ?

— Assez jeune, je dirais dans les vingt-cinq ans, les cheveux ondulés, élégant, une écharpe blanche.

— Je l’ai déjà vu. C’est probablement le gigolo de la dame.

— Je fais quoi maintenant ? On sait pas à quelle heure ils vont rentrer.

— Á condition qu’ils rentrent. Tu peux arrêter les frais, tu finirais par te faire remarquer. On sait où elle va ce soir. J’ai téléphoné à Charles-Louis, il a hâte de faire sa connaissance.

— Le gars qui fait du ski en cravate ? Tu sors l’artillerie lourde. Et toi, tu fais quoi ?

— Je retourne au petit café. C’est un excellent poste d’observation et pour le moment, je continue à jouer mon personnage, ça peut toujours servir. On se retrouve tous demain soir chez moi pour faire le point.

— C’est pas le jour où Jenny revient ?

— Elle a été retardée, ça arrive ! Á demain !

Lorsqu’il arriva dans la rue Visconti, il oublia momentanément ses tracas. Bien sûr, jenny ne rentrerait pas demain, et peut-être pas du tout, mais il sentait que quelques pièces s’assemblaient pour construire son futur proche. L’épicier le regarda passer d’un oeil distrait, tout en acquiesçant aux préoccupations d’une ménagère soucieuse de raconter ses petits tracas. Il se demanda si on le considérait déjà comme un habitué du quartier.

L’homme aux cheveux blancs avait vu juste. Dans l’après-midi, il fut sollicité pour entamer une nouvelle partie de tarot. Il n’avait plus à se préoccuper de Julia Foscari et se concentra sur le jeu, ce qui n’empêcha pas monsieur Lestrade de gagner. Le négociant avait le triomphe peu modeste et se crut obligé d’offrir une tournée générale. Assortie d’une claque amicale dans le dos.

— Vous avez commis quelques erreurs. On dirait que quelque chose vous tracasse. J’espère que ce ne sont pas des problèmes d’inspiration ?

Des problèmes, oui ! Et qui se mêlaient sans qu’il sache comment s’en dépêtrer. Mais pas d’inspiration, pas encore… Pour rester dans son rôle, il organisa une mini-conférence sur la créativité littéraire, mêlée d’anecdotes sur les manies des grands écrivains. Son auditoire, conquis ponctuait son discours d’exclamations stupéfaites. Il se demanda même s’il n’allait pas susciter quelques vocations.

Le patron écoutait en silence, hochant la tête avec la même conviction que Nanard quand il faisait semblant de comprendre quelque chose. L’homme aux cheveux blancs s’était éclipsé discrètement. Lorsqu’il repartit, Julia Foscari n’était pas encore rentrée.

Demain soir, Charles-Henri viendrait faire son rapport. En attendant, il fallait affronter la solitude et des fichiers qui se remplissaient trop lentement.

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