les Branquignols en action

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En se retrouvant le lendemain dans une rue voisine de la brasserie, ils s’aperçurent qu’ils avaient choisi le même costume sombre avec chemise blanche et cravate discrète. La théorie commençait à rentrer. Nanard, visiblement satisfait d’être là avait le moral en hausse , mais ça pouvait ne pas durer. Il avait même poussé le souci du détail jusqu’à se munir d’un attaché-case dont il avait masqué les plus grosses éraflures avec du cirage noir. Avec des chapeaux et des ray-bans, ils auraient éclipsé les Blues Brothers. Julia Foscari et son amie étaient installées dans un recoin à plantes vertes. Il s’assirent de l’autre côté de la muraille végétale, à la fois proches et invisibles avec l’air décontracté de cadres en goguettes’offrant un moment de détente bien mérité. Florian eut à peine le temps de passer la main sur sa barbe naissante avant de s’apercevoir que les deux femmes parlaient italien.

Maxence, le mieux placé pour les apercevoir, contempla La copine assise de profil. Grande et mince, un peu plus âgée que Julia, les cheveux et les yeux très noirs, elle incarnait parfaitement la beauté transalpine mythifiée par Sophia Loren. Nanard ferma les yeux et se laissa aller contre la banquette.

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

— On rend hommage à la clairvoyance de Charles-Louis qui nous a traité de Branquignols… De vrais espions auraient prévu d’enregistrer la conversation.

Maxence se gratta le crâne, dans le plus pur style Stan Laurel.

— Quelque chose qui ressemblerait à la fonction audio-vidéo de mon smartphone que j’ai allumé et posé derrière la plante verte ? L’image fixe du ficus ne sera pas très passionnante mais le son devrait être correct si on ne parle pas top fort et s’il n’y a pas de conversations parasites. Je prendrai bien une petite bière.

Florian une main paternelle sur son épaule.

— Je ne te traiterai plus jamais d’abruti.

Comme un signe du destin, Le portable de Florian vibra. Le nom de Charles-Louis apparut.

— Salut les champions, Je fais une pause dans une réunion encore plus chiante que les autres. Vous êtes dans la brasserie ?

— On est surtout dans la merde. Elles discutent en italien. Maxence les enregistre mais on n’est pas plus avancé.

—Tu vois qu’il ne faut jamais désespérer. Tout le monde peut avoir un coup de génie. Tu me transféreras leur conversation. Je ferai semblant de prendre une communication urgente. Ne me remercie pas, tu me rendras service. Je me suis rarement aussi emmerdé qu’à cette réunion.

— Je ne voudrais pas que tu aies des ennuis.

— Ne t’inquiète pas, j’adore prendre l’air soucieux et m’éclipser en murmurant : « C’est le ministre ! »

Ils attendirent patiemment en discutant à voix basse de la soirée chez Elisabeth. Les deux femmes finirent par se lever. La copine s’efforçait de calmer Julia visiblement agacée. Maxence se hâta de transférer. La réponse arriva alors qu’elles discutaient encore sur le trottoir. Ils sortirent à leur tour et firent semblant de convenir d’un rendez-vous. La réponse arriva vite.

— Je vous la fais courte, je n’ai pas tout écouté mais j’ai saisi l’essentiel. La belle Julia a revu son ex-mari, probablement ton mâle grisonnant que tu as aperçu. Il veut recoller, elle hésite mais n’a pas vraiment l’air enthousiasmée. Sa copine l’est encore moins et l’encourage à le larguer définitivement. Le mari en question, un certain Gianni, a l’air d’un sacré loustic qui navigue en eau trouble. Tu avais raison pour Venise, elle a fait une allusion qui laisse entendre que c’est là-bas qu’elle s’est mariée. et qu’elle a rompu. Sans être devin, tu peux imaginer à quel endroit ?

— Au Florian.

— Ton Q.I te rendrait presque digne de travailler dans un ministère. C’est probablement en rapport avec la phrase que tu as entendu.

— Charles-Louis, l’homme qui dissipe le mystère. Pas d’allusion au gigolo ?

— Je n’ai rien remarqué. . Elles ont toujours parlé du même. Je vais réécouter tout ç au calme et je t’appelle si je découvre d’autres choses intéressantes. Bonne chance les gars ! Je dois vous quitter, mes connards m’attendent.

Comme dans une mise en scène bien réglée, les deux femmes se séparèrent enfin. Florian tapa sur l’épaule de Nanard.

— Tu suis la copine. Nous on s’occupe de Julia. On se rappelle en cas de besoin. On se

retrouve à six heures comme d’hab avant d’aller chez Elisabeth.

Leur filature fut décevante. Julia Foscari rentra directement chez elle. Maxence en profita pour aller voir un ami musicien qui préparait à sa future bande-son. Florian, puisqu’il était à côté, fit acte de présence au petit café et noircit sans conviction quelques pages. Il vit pour la première fois l’homme aux cheveux blancs discutant au comptoir avec monsieur Lestrade. Par chance, cet après-midi-là, il n’y eut pas de partie de carte. Avant de repartir, « Monsieur l’écrivain » insista pour payer sa tournée ponctuée de réflexions profondes sur la crise politique qui faisait la Une des journaux. Il faisait maintenant partie des habitués.

Les trois amis avaient depuis longtemps l’habitude de se retrouver dans la Brasserie des Halles qui offrait une vue imprenable sur le centre Beaubourg. Florian et Maxence avaient eu juste le temps d’aller se changer, et contemplaient les touristes en extase devant les immenses tubes rouges et bleus qui commençaient à prendre un coup de vieux. Nanard finit par les rejoindre avec, pour une fois , un costume sobrement élégant et se laissa tomber sur le siège.

— Je suis vanné. Je sais pas si je vais vous accompagner. En plus, j’ai le moral dans les chaussettes.

— Arrête tes conneries. Tu bois une bièr, tu nous raconte ta filature et on y va.!

— Ça va pas être long… La dame a écumé les boutiques de luxe, où elle a l’air d’avoir ses habitudes. On a fait l’avenue Montaigne d’un bout à l’autre. Gucci, Armani, Versacce, de quoi vous dégouter des pizzas. Elle restée une heure chez Nina Ricci d’où elle est ressortie avec deux sacs bien remplis. Il y avait un banc pas trop loin. J’ai pu lire en détail le Figaro Economique.

— Tu as bien fait ; Dans ce quartier, l’ « Huma » aurait manqué de discrétion.

— Ensuite, je vous le donne en mille ! Elle est rentrée chez elle. Elle vit dans un modeste clapier au coin de l’avenue Kleber de la rue de Presbourg. Le genre avec une cour intérieure protégé par de hautes grilles en fer forgé aux pointes en métal doré et des caméras un peu partout. Je me voyais mal faire le pied de grue, alors j’ai préféré aller me changer avant de vous retrouver. Et vous, quoi d’intéressant ?

Nanard, qui prenait très au sérieux son rôle d’enquêteur, leva le doigt.

— Qu’est-ce qu’elle est allée faire à l’ambassade? On n’a pas besoin de visas pour l’Italie.

— Tu as raison, c’est un mystère de plus.

Ils attendirent le plat dans un silence méditatif que Nanard se fit un devoir de rompre.

— Qu’est-ce que vous pensez de mon costume ?

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